Algérie

«Al-Qoloub el-mouhtariqa» d?Ahmed El-Maanouni : La magie de la psychanalyse par la création


« Al-qoloub el-mouhtariqa» (Les coeurs brûlés) d?Ahmed El-Maanouni constitue un moment dans le cinéma maghrébin. C?est le premier film autobiographique dans cette aire culturelle. A travers Amine, son principal personnage, le réalisateur, et en même temps producteur de son film, El-Maanouni a donné à voir sa propre enfance et sa propre trajectoire. Le film commence par une dédicace «à ma mère que je n?ai pas connue», qui nous prépare sur les révélations à venir. Amine, qui a réussi sa carrière professionnelle en France, revient à Fès dans sa ville natale pour régler son problème avec son passé. En parcourant les petites venelles de l?ancienne médina, il se remémore les exactions qu?il avait subies pendant son enfance. De la part des petits comme lui. Mais surtout de la part de son oncle maternel chez qui il vivait et travaillait dans son atelier de ferronnerie. D?ailleurs, lors de son retour, il tentera de tirer des informations de son oncle, se trouvant sur un lit d?hôpital, sur sa mère. Mais en vain. Dans ses déambulations, il rencontrera d?anciennes personnes qui avaient manifesté de la compassion à son endroit. L?un d?eux lui lancera que le mal ainsi que le salut se situent en nous.

Avec une jeune de sa ville, il se révèle dans l?incapacité de construire des relations amoureuses durables. Après de longs détours, il se retrouve dans la mosquée de la ville totalement abandonné. Une personne lui ordonne de se relever. Un autre message qu?il recevra comme une invitation adressée à lui pour se ressaisir. Le film nous fait l?économie du happy end. Une façon de nous dire que la reconstitution de soi est une entreprise de longue haleine, sinon de toute une vie. Pour mieux illustrer cette quête dans le passé, ce travail de prospection de soi, le réalisateur a opté pour le noir et blanc. Il faut dire qu?il est photographe et donc l?usage du noir et de la lumière traduit très bien cette volonté d?élucider un passé très opaque. Néanmoins, quelques séquences sont en couleur. C?est quand le dialogue engagé entre Amine et un sage de la ville passe à un autre palier de la réflexion. Traitant un sujet très grave, le film ne sombre pas pour autant dans le misérabilisme ou la déprime. Il est égayé par des scènes d?amour, d?ironie, de poésie. La musique occupe une place de choix dans cette oeuvre. Tous les genres musicaux populaires au Maroc sont présents. Selon les situations, on passe du gnaoui au haouzi. Certaines scènes sont totalement théâtralisées.

Avant d?arriver au cinéma, le réalisateur a eu une expérience théâtrale intéressante dans son pays. Il est à noter que le film a presque abusé des vues mettant en exergue la dimension touristique de Fès. Il s?en défend que son oeuvre soit destinée à un public friand d?exotisme. Charriant un problème d?identité sur le plan personnel, il est très inscrit dans sa culture locale. D?ailleurs, parmi ses relations, on relève des noms consacrés de cette culture. C?est Mohamed Derham, pièce maîtresse du groupe mythique Djil Djilala, qui a signé la musique de ce film.

« El-Qoloub el-mouhtariqa » est un film politique ? Oui, quoique le sujet, tel que traité traditionnellement dans le cinéma, soit absent dans ce film autobiographique. Mais il traite de l?individu, catégorie éminemment politique. Qui plus est, un individu en quête de réalisation et de reconstitution. Mais le film est un hymne à l?enfance. Il décrit un fait gravissime au Maroc et dans les pays du sud en général: l?exploitation de l?enfance. Dans certains ateliers de production artisanale, l?exploitation de l?enfance est bien mise en images. D?ailleurs, Amine fera tout pour échapper à cette exploitation. Il entreprendra des études presque à l?insu de son oncle et père adoptif. Mais dès le départ, Amine réalisera que l?art, et au-delà le travail de création, peut être une issue. Il vendra ce qu?il gribouille en cachette dans le cimetière aux touristes étrangers.

D?un autre côté, lors de son retour à sa ville natale, Amine finira par détruire le portrait de son oncle qu?il avait confectionné. Une façon de signifier qu?il a tourné une page de son passé.




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