Algérie

Al Boussiri, un maghrébin panégyriste du prophète



Un symbole des tiraillements entre Maghreb et Machrek décidément, Sanhadja, cette grande tribu maghrébine n?en finit pas de nous étonner. Grand vivier d?hommes d?Etat, de guerriers, de jurisconsultes, d?exégètes, elle poussa encore l?audace jusqu?à aller donner naissance, en terre d?Egypte, à un poète exceptionnel : Al Boussiri (1213-1295), auteur du fameux panégyrique du Prophète, connu, depuis le XIIIe siècle, sous le titre Al Borda. Frappé d?hémiplégie, Al Boussiri dit avoir entrepris la composition de son panégyrique au lendemain d?un rêve qu?il fit, et au cours duquel, il vit le Prophète. Ne voilà-t-il pas que, quelques jours plus tard, et au grand dam de ses détracteurs, il reprit force, ainsi que l?usage de ses membres déficients ! Il y eut, bien sûr, foule à le suivre, à l?encenser et à le voir à travers le prisme de la passion. L?on se mit même à apprendre par c?ur son poème, à la sonorité magique, il faut le dire, à le réciter, dans les mosquées, dans les mausolées en s?évertuant, en même temps, à le pasticher. Mais, que se passe-t-il lorsqu?un poète de sa valeur devient, du jour au lendemain, victime de sa propre renommée ? Apparemment, Al Boussiri, dans sa franchise et sa droiture, ne sut pas gérer son nouveau statut à la suite de cette exceptionnelle composition poétique. Il ne s?attendit guère à être la proie facile de ceux qui, de son temps, prétendaient être les seuls détenteurs de la véritable foi, et qui furent relayés par les Wahhabites depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle. En fait, Al Boussiri est, par excellence, le symbole de ces tiraillements de la pensée caractérisant, depuis des lustres déjà, les relations entre Machrek et Maghreb. La preuve en est qu?il n?a jamais été en odeur de sainteté auprès des hanbalites d?une manière générale. Ces derniers continuent de voir en lui un poète entaché d?hérésie, c?est-à-dire méritant d?être publiquement lapidé aux côtés du soufi, Ibn Arabi, du philosophe, Ibn Rochd et de tant d?autres grands penseurs du Maghreb. Son péché capital, selon eux, c?est d?avoir prêté au messager d?Allah, dans son fameux panégyrique, des qualificatifs et des pouvoirs dépassant son statut de Prophète : intercession, attributs démiurgiques, pouvoir de guérison, finalité de toutes les finalités en ce bas monde, etc. Drôle de pâture ! Elle ne parvint tout de même pas à détourner de notre poète la foule des adeptes. L?on se mit alors à dire qu?il n?était pas quelqu?un de recommandable, à user de la politique du pire en fouinant dans ses relations intimes avec son épouse ! On le voit encore, aujourd?hui, dans les écrits et les interprétations doctrinales wahhabites. Non, on n?insulte pas l?avenir, même si on a le meilleur des atouts ! Al Boussiri, tout dépourvu qu?il fut de toute ambition temporelle, laisse derrière lui une école florissante de poètes panégyristes. La première du genre, on le sait, avait émergé du vivant du Prophète à Médine avec, en tête, Kaâb Ibn Zoheir, le plus célèbre de tous les panégyristes, Ibn Rawaha, Hassan Ibn Thabit et tant d?autres. La seconde, d?obédience chiite, était, surtout, composée de poètes dont le but essentiel consistait à glorifier les gens d?Al-Bayt (famille du Prophète et ses descendants) pour des raisons politiques et de gouvernance en général. On peut dire qu?Al Boussiri, qui fut un modèle de tempérance, a, en quelque sorte, rectifié le tir de cette dernière en lançant un nouveau genre littéraire sans aucune coloration d?ordre politique. Il n?est que de faire le tour des panégyristes populaires maghrébins depuis le XIIIe siècle pour avoir une idée de l?impact exercé sur eux par leur illustre prédécesseur. Revenons encore au poème Al Borda, c?est-à-dire la cape, les hommes de lettres et les gouvernants arabes, toutes tendances confondues, ont raté la belle occasion de créer leur prix Nobel de littérature il y a plus de quatorze siècles. D?une certaine manière, Al Boussiri n?a fait que rappeler le geste du messager d?Allah à l?endroit du poète Kaâb Ibn Zouheir qui, condamné à mort, errant dans le désert, n?eut d?autre choix que de revenir à de bons sentiments à l?égard de la nouvelle foi. Le Prophète, on le sait depuis, l?a hautement récompensé en lui offrant sa borda, laquelle avait valeur d?un prix Nobel de littérature avant la lettre.


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