Algérie

Akli Moussouni, expert agricole, diagnostique l’activité du secteur «Le trésor est dans les sous-produits des huileries»


Akli Moussouni, expert agricole, diagnostique l’activité du secteur «Le trésor est dans les sous-produits des huileries»
Publié le 05.12.2023 dans le Quotidien l’Expression

«Le noyau d'olive dispose d'un pouvoir énergétique de 6000 kcal/kg égal à celui du gasoil alors qu'on brûle du gaz de ville pour faire fonctionner une unité de production d'énergie». Akli Moussouni est un expert agronome membre de la Fondation Savoir -faire et Développement. Depuis des années, il ne tarit pas de conseils et de recommandations afin de mettre l'activité agricole sur la voie de la performance. Des contributions et des articles spécialisés sur tous les supports médiatiques ont fait que Moussouni figure parmi les experts les plus consultés aux niveaux national et international. Dans cet entretien, il revient sur les entraves qui freinent les efforts de développement de plusieurs filières et émet des recommandations pratiques pour lever ces freins qui empêchent encore les produits algériens de s'imposer à l'international, malgré leur grande qualité.
L'Expression: Avec un relief à dominance montagneuse, quelles sont, selon vous, les filières à développer dans l'agriculture locale?

Akli Moussouni: Malheureusement, le caractère accidenté du relief de la montagne, qui incarne une contrainte naturelle pour l'agriculture, s'est conjugué au phénomène de l'héritage qui continue de morceler le peu de sol que nos aïeuls ont, de tout temps, travaillé. Mais, à présent, ces propriétés, de par leur taille réduite, ne sont plus rémunératrices, ce qui est à l'origine de l'abandon de ce patrimoine appartenant à présent à des familles largement éparpillées. Les filières à développer dans les régions montagneuses sont les cultures qui se sont adaptées depuis des millénaires. Mais il faut retenir que le terme filière en Algérie ne sert qu'afin de désigner des produits, sans aucun dispositif légal et organisationnel qui puisse permettre aux agriculteurs d'agir dans un cadre organisé pour générer des offres collectives.

On parle beaucoup de la labellisation de notre huile d'olive mais cela semble patiner. Quelles conditions faut-il vraiment réunir pour relever ce défi?
La labellisation de certains produits notamment les figues de Beni Maouche, l'huile d'olive dite de Kabylie et la datte de Tolga n'est qu'une opération de charme qui n'aura aucune suite. Tout d'abord, la labellisation ne peut être que «la cerise sur le gâteau» qu'on n'a même pas préparé en Algérie. Le
«gâteau» consiste d'abord en la construction d'un marché normalisé qu'on a jamais entamé ni pour l'huile d'olive ni pour aucun autre produit agricole. Pour preuve qu'en est t-il de la figue de Beni Maouche si ce n'est qu'un brouhaha sans suite. Le défi dans son vrai sens est un objectif économique par rapport auquel on conjugue l'humain, l'économie et la technologie. Il ne suffit pas d'en faire un slogan pour faire évoluer la situation

Notre huile d'olive ne parvient toujours pas à se vendre sur le marché national et encore moins à l'international. Quelles recommandations proposez-vous pour parvenir à créer un marché national d'abord et exporter par la suite?
Sur le plan national, il faut faire la promotion de l'huile d'olive afin de faire évoluer les habitudes alimentaires des régions qui n'en consomment pas. À l'exportation, je répète qu'il faut construire des chaînes de valeur autour de ce produit, par territoire homogène. Les quelques opérateurs qui agissent individuellement, en se distinguant à l'international, et que je salue pour les efforts consentis, doivent savoir qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. Ils ne font malheureusement qu'entretenir le sous-développement de cette «filière», en agissant en rangs dispersés, dès lors qu'il leur est impossible de fidéliser les clients potentiels avec quelques éventails de produits. Le marché international est hyper compliqué. Pour le conquérir, il faut s'organiser par groupes de dizaines d'agriculteurs et aligner la technique et le savoir-faire sur le marketing. Pour dire que l'Algérie figure quelque part, il faut d'abord savoir ce qu'on produit, qui produit, ou l'on produit et comment produire? Ce à quoi malheureusement on n'a aucune réponse précise, tant que la branche agricole est anarchique et que tous les intervenants agissent en dehors de toute planification. On a bien dit qu'on s'est trompé sur le nombre de moutons qui passe de 27 à 15 millions; c'est valable pour toute l'agriculture. Encore une fois, il faut retenir que dans les conditions actuelles du fonctionnement de l'agriculture algérienne, on ne fera qu'aller de mal en pis.

Qu'en est-il des sous-produits des huileries? Peut-on les exploiter?
C'est l'une des contraintes qui entravent le développement de cette «filière», lorsque l'on sait qu'un litre de margines rejetées dans la nature pollue 600 litres d'eau de l'écosystème. Le grignon d'olive, en tant que résidu solide rejeté dans des espaces sauvages devrait servir d'apport important en termes de fertilisant organique capable de constituer une alternative aux engrais chimiques, pour une grande part, le noyau d'olive disposant d'un pouvoir énergétique de 6000 kcal/kg égal à celui du gasoil alors qu'on brûle du gaz de ville afin de faire fonctionner une unité de production d'énergie. Tous les pays producteurs d'olives ont adopté des mesures pour introduire des systèmes d'extraction à deux phases, sauf chez nous, ou l'on continue à agir en marge.
Kamel BOUDJADI