Mercredi dans la soirée, l'État hollandais a annoncé avoir acheté de nouvelles actions d'Air France-KLM lui permettant de détenir 14% du capital du groupe, comme l'État français. Pour plusieurs observateurs, cette nouvelle composition du capital fait le jeu de la compagnie américaine Delta, troisième actionnaire du groupe, laquelle, en cas d'opposition entre les deux États, se retrouverait en position de jouer les arbitres.
On y est. Mercredi 27 février dans la soirée, au lendemain de l'annonce de son entrée dans le capital d'Air France-KLM à hauteur de 12,68%, le gouvernement hollandais a annoncé avoir atteint les 14% du capital qu'il s'était fixé pour détenir la même participation que l'État français, dans le but, dit-on à La Haye, de défendre les intérêts hollandais.
Cassure nette
Un raid qui traduit la cassure qui s'est créée à tous les niveaux, entre les deux pays d'une part, entre le groupe aérien français et sa filiale hollandaise d'autre part, et enfin entre Ben Smith, le directeur général d'Air France-KLM, et Pieter Elbers, le président du directoire de KLM. Ce dernier différend est peut-être le plus important. Il est probablement l'élément qui a convaincu les autorités néerlandaises de lancer une telle opération, alors que l'idée d'entrer au capital d'Air France-KLM remonte à plus longtemps. L'ancien PDG Jean-Mac Janaillac, qui avait ouvert le capital à Delta et China Eastern en 2017, l'avait suggéré aux Hollandais. Pour autant, entre une opération menée en coopération avec le management et toutes les parties prenantes, et une opération masquée et inamicale, la différence est de taille.
Delta dans un rôle d'arbitre
Si certains estiment que l'entrée de l'État hollandais est le moyen d'obtenir une gouvernance plus équilibrée, d'autres au contraire ne cachent pas leur inquiétude.
"Les Hollandais ont certes fait un joli coup, mais cette opération ne peut ni amener le calme dans le groupe ni améliorer sa gouvernance. Elle risque au contraire de déboucher sur une relation conflictuelle grave avec des conséquences négatives sur l'avenir d'Air France-KLM", estime un très bon connaisseur du groupe. "Je ne vois pas en quoi une répartition du capital, qui fait de Delta l'arbitre d'éventuels désaccords entre la France et les Pays-Bas, va améliorer la gouvernance", ajoute-t-il.
Pour plusieurs sources proches du dossier, le grand gagnant du raid hollandais est... la compagnie aérienne Delta, le troisième plus gros actionnaire d'Air France-KLM avec China Eastern. Depuis leur entrée dans le capital en 2017 à l'occasion d'une augmentation de capital qui leur était réservée, Delta et China Eastern détiennent chacune 8,7% d'Air France-KLM.
"Ce rôle d'arbitre constitue un changement fondamental dans les rapports de force au sein du groupe", analyse l'une de ces sources, qui ne voit pas aujourd'hui China Eastern, qui est davantage dans un rôle de "sleeping partner", tenir ce rôle.
D'autant plus qu'à partir de septembre prochain, Delta (China Eastern aussi) disposera d'un droit de vote double, comme le permet la règlementation pour les actions détenues au nominatif pendant deux ans.
La menace d'une alliance entre Delta et les Hollandais
Une autre fin connaisseur du groupe va même plus loin en redoutant un jour l'alliance entre l'État hollandais et Delta. A eux deux, ils représenteraient 23% du capital, et pas loin du double en droit de vote le jour où, dans deux ans, les droits hollandais vaudront double. "Un tel rapprochement balaierait les intérêts français et le management avec", fait-il valoir. On n'en est pas là, évidemment. Mais la menace existe.
Car l'influence de Delta est déjà très forte au sein du groupe. Première compagnie mondiale, présente au capital d'une multitude de compagnie aérienne grâce sa puissance financière, sa voix est forcément très écoutée. En juin 2018, c'est la compagnie américaine qui avait rué dans les brancards en remettant en cause le choix du comité de nomination du groupe de proposer à la tête d'Air France-KLM un profil qui ne lui convenait pas (Philippe Capron, l'ancien directeur financier de Veolia). Et certains ont vu la main du groupe américain dans le choix de Ben Smith. Ce que réfutent d'autres sources.
Vives tensions entre Paris et Amsterdam
La montée sans préavis de l'Etat néerlandais dans le capital d'Air France-KLM a suscité mercredi une vive réaction du gouvernement français qui a jugé cette opération "inamicale", "surprenante" et "contestable", digne d'un raider boursier, rompant ainsi avec les habituelles conventions du langage diplomatique pratiqué d'Etat à Etat.
Alors qu'il était absent du capital de la compagnie, l'Etat néerlandais a annoncé mardi qu'il détenait désormais 12,68%, une participation qu'il a portée mercredi à 14%, soit au même niveau que l'Etat français, afin de pouvoir influencer la gestion de la compagnie franco-néerlandaise.
Cette opération, d'un coût total de 744 millions d'euros pour l'Etat néerlandais, intervient alors que le président du directoire de KLM, Pieter Elbers, avait semblé menacé il y a quelques semaines - suscitant une vive campagne de soutien de la part de responsables politiques et syndicaux du pays - avant d'être confirmé par le nouveau P-DG du groupe, le canadien Ben Smith, qui a toutefois resserré son emprise sur la compagnie.
"La façon dont cette participation a été prise rappelle les techniques de raider plutôt que d'Etat actionnaire", a estimé une source au sein de Bercy.
"Cette initiative est inamicale, surprenante et très contestable", a-t-elle ajouté, précisant que ni le conseil d'administration d'Air France-KLM ni les autorités françaises n'avaient au préalable été prévenus.
Adoptant un ton plus mesuré, Emmanuel Macron a également appelé les Pays-Bas à clarifier leurs intentions.
A l'issue d'une réunion extraordinaire, le conseil d'Air France-KLM a averti qu'il serait très vigilant sur les conséquences de cette décision "pour le groupe, ses collaborateurs, sa gouvernance et la perception du marché".
Il a également précisé qu'il s'apprêtait à confirmer ses engagements vis-à-vis de l'Etat néerlandais visant à renforcer le développement de Schiphol comme hub européen et soutenir le développement de KLM.
L'état compte saisir l'AMF
Bercy a indiqué ne pas avoir reçu à ce stade de demande formelle des Pays-Bas d'être représenté au conseil d'administration de la compagnie, qui comporte actuellement quatre administrateurs néerlandais.
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui le premier avait exprimé mardi soir sa surprise face à cette décision des Pays-Bas, recevra d'ici la fin de semaine son homologue néerlandais à Paris.
Alors que la rentabilité de KLM a atteint 9,8% l'an dernier tandis que celle d'Air France se traînait à 1,7% en raison d'une longue et coûteuse grève des pilotes, la partie néerlandaise entend défendre ses intérêts économiques, en particulier ceux représentés par l'aéroport d'Amsterdam-Schipol face au hub français constitué par Orly et Roissy-CDG.
Les déclarations de Ben Smith sur une montée en gamme d'Air France ont également fait craindre chez KLM que la compagnie ne soit reléguée au rang de "low cost".
Les marchés ont très vivement réagi à cette irruption de l'Etat néerlandais dans le capital d'Air France-KLM, interprétée comme le signe d'un futur bras de fer entre Etats, destructeur de valeur et préjudiciable à la gouvernance.
Le titre du groupe a ainsi terminé la séance sur une chute de 11,74% à 11,235 euros, alors que le titre avait repris des couleurs depuis le début de l'année (+21%).
Bercy a indiqué à ce titre que le gouvernement français allait solliciter les services de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour enquêter sur les mouvements en Bourse de l'action.
En France, la CFDT d'Air France, présente au conseil d'administration du groupe et ainsi qu'à celui d'Air France, s'est également émue de la situation.
"La CFDT Groupe Air France (...) sera particulièrement vigilante et exigeante quant au développement harmonieux de toutes les composantes du Groupe AFKL (Air France-KLM), en France, aux Pays-Bas et partout dans le monde où notre groupe est présent", déclare le syndicat dans un communiqué.
Bercy dénonce "une forme de duplicité"
Bercy a dénoncé une opération surprenante, inamicale, mais aussi une "forme de duplicité" dans la mesure où un protocole d'accord avait été finalisé entre la direction du groupe et l'État hollandais qui garantissait les intérêts hollandais.
L'annonce ce mardi du gouvernement néerlandais de l'achat en catimini sur le marché de 12,68% du capital d'Air France-KLM avec la volonté de porter cette participation au niveau de celle de la France, afin de peser sur les décisions du groupe, crée de fortes tensions entre la France et les Pays-Bas. A Bercy, on ne comprend pas cette "opération surprenante et inamicale", ni sur le fond ni sur la forme, qui plus est, "destructrice de valeur pour les actionnaires". Le cours de Bourse a en effet perdu jusqu'à plus de 10% ce matin.
"Bruno Le Maire a été informé hier à 19 heures par le ministre des Finances hollandais, Wopke Hoekstra, juste avant la date limite pour déclarer les franchissements de seuil à l'autorité des marchés financiers (AMF). Cette façon de faire, qui ressemble à un raid d'un fond activiste, est surprenante et inamicale à l'égard du conseil d'administration d'Air France-KLM et des autres actionnaires comme Delta et China Eastern (8,7% chacun, Ndlr) qui, à l'instar de l'État français, n'ont pas été informés", explique-t-on à Bercy.
D'autant plus que, selon le ministère de l'Économie et des Finances, un protocole d'accord avait été négocié entre la direction d'Air France-KLM et l'État hollandais pour réaffirmer les intérêts hollandais, notamment la place de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol au sein du groupe. Ce protocole d'accord était finalisé et devait être distribué hier aux administrateurs pour approbation.
"Il y a une forme de duplicité du gouvernement hollandais de discuter d'un côté d'un protocole d'accord et de se comporter dans le même temps comme un fond activiste", déplore-t-on à Bercy.
"Pieter Elbers aurait pu être le directeur général d'Air France-KLM"
Ce dernier réfute par ailleurs l'argument des Hollandais d'un manque de prise en compte des intérêts néerlandais.
"S'il l'avait souhaité, Pieter Elbers, le président du directoire de KLM, aurait été directeur général d'Air France-KLM", rappelle-t-on à Bercy. "Après la démission de Jean-Marc Janaillac en mai 2018 et après le refus du choix du directeur financier de Veolia à l'époque (Philippe Capron, Ndlr), nous avons proposé à Pieter Elbers, le président du directoire de KLM de devenir le directeur général d'Air France-KLM, ce qu'il a refusé", ajoute-t-on.
En effet, selon nos sources, Pieter Elbers ne voulait pas quitter la présidence de KLM.
Sur le fond, Bercy ne comprend pas dans quelle mesure la stratégie de Ben Smith remet en cause les intérêts néerlandais."S'il y a un sujet sur la stratégie, ils devront être très clairs. Car ils disent agir pour défendre l'intérêt des Pays-Bas; nous, nous défendons celui du groupe."
Trois représentants de KLM au conseil d'Air France-KLM' "Illégitime" (Bercy)
En attendant, le bras de fer ne fait que commencer. Alors que certaines voix aux Pays-Bas demandent que trois sièges soient attribués à KLM au conseil d'administration du groupe, Bercy juge une telle revendication "illégitime", dans la mesure dit-on, où il y a déjà plus d'administrateurs hollandais (quatre, dont un nommé par le gouvernement néerlandais) que d'administrateurs nommés par l'État (trois)".
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Posté Le : 02/03/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Le Maghreb
Source : www.lemaghrebdz.com