Algérie

Air de Cologne



Air de Cologne
Passer une semaine dans une ville ne permet sûrement pas de la connaître profondément et de manière exhaustive. Mais on peut toutefois en capter l'esprit.Car, de même qu'il existe en allemand un esprit du temps (Zeitgeist), l'esprit du lieu est ce qui fait l'identité d'une ville, un air particulier qui imprègne autant son architecture que le caractère de ses habitants et enfin sa culture. De nos six jours passés à Cologne, nous vous rapportons ici ? faute de son Eau légendaire ? l'air de la ville dans un abord forcément subjectif et impressionniste. Mais il faut se méfier de la première impression, disait Talleyrand, c'est souvent la bonne. Cologne est la plus romaine des villes allemandes. Ville natale de l'impératrice Agrippine, elle fut, depuis l'an 50, la colonie la plus nordique de l'Empire romain. Les quelques mètres de remparts de la ville romaine sont d'ailleurs jalousement conservés comme de rares reliques sauvées du bombardement massif des Alliés de 1942 à 1945. En effet, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, la ville était détruite à 90 %. Parmi les rares édifices épargnés, la monumentale cathédrale gothique qui culmine à 157 mètres (les habitants racontent qu'elle aurait servi de point de repère aux pilotes de chasse, ce qui l'aurait ainsi préservée).Aujourd'hui, Cologne s'est bel et bien relevée des heures sombres de son passé. Elle est l'une des villes les plus cosmopolites d'Allemagne. La kölsh, bière locale, cohabite, tant bien que mal, avec le kebab et le baklava. La ville abrite, en outre, une des plus grandes mosquées d'Europe, actuellement en construction au quartier Ehrenfeld.Cologne revendique surtout son identité européenne à travers un melting-pot architectural inspiré, entre autres, de Paris, de Vienne et d'Anvers. La spécialité la plus fameuse de la ville est d'ailleurs l'?uvre d'un immigré européen. L'inventeur de l'eau de Cologne était un Italien nommé Jean Marie Farina, installé à Cologne au début du XVIIIe siècle. Le créateur du célèbre parfum, initialement nommé Eau admirable, voulait recréer la senteur des «matins de printemps après la pluie» de son Italie natale. Aujourd'hui, sa maison est transformée en Musée du parfum et la huitième génération de ses descendants conserve farouchement le secret de fabrication du précieux liquide commercialisé sous la marque 4711, qui n'est autre que le numéro de la maison de son créateur. Au risque de sombrer dans un algéro-centrisme primaire, commençons par évoquer la perception de l'Algérie par les Colonais que nous avons rencontrés. Un chauffeur de taxi, découvrant ma nationalité, fut ravi de m'énumérer les villes qu'il avait visitées durant ses vacances? en Tunisie ! Un autre, partageant ses connaissances géographiques, dira : «Algeria, haupstadt Casablanca» (Algérie, capitale Casablanca). Le triste constat est que notre pays reste très méconnu à l'étranger.La gérante d'un restaurant hallal nous parlera toutefois des exploits des Verts et de leur qualification en Coupe du monde (elle était Bosniaque, comme Vahid Halilhodzic, l'entraîneur de notre équipe nationale). Mais apprenant que notre pays possédait une langue nationale en plus de l'arabe, elle demandera : «Quand l'avez-vous inventée '» Enfin, un serveur du fameux club de jazz Papa Joe's finira par nous consoler en confiant : «Je suis marocain et je prépare un album raï. Je pourrais le faire au Maroc, mais je veux le sortir d'abord en Algérie car c'est la patrie du raï.» Cette méconnaissance de l'Algérie, dont nous portons une grande part de responsabilité en lien avec la pauvreté internationale de notre tourisme, est d'autant plus dommageable que cette ville a traversé une partie de l'histoire de l'Algérie durant la guerre de Libération nationale.Cologne a joué un rôle central dans la propagation des idées et le soutien international à la lutte pour l'indépendanc. C'est un immigré algérien, installé dans la ville après quelques années en Italie, qui nous apprendra que le comité fédéral de la Fédération de France du FLN était basé à Cologne à partir de 1958.Fuyant la forte répression policière qui sévissait en France, les militants ont trouvé dans cette ville frontalière un soutien inespéré et un moyen de préparer les opérations dans l'Hexagone. Ils y publiaient notamment l'organe de soutien international à la cause algérienne Freies Algerien (Algérie libre) avec l'aide de Hans Jürgen Wischnewski, membre du parlement allemand et président de la section Cologne du SPD (parti social démocrate). Président des Jeunes socialistes ouest-allemands, Wischnewski était également l'initiateur du «Arbeitskreis der Freuden Algériens» (Cercle de travail des Amis de l'Algérie). Les milieux estudiantins et syndicalistes colonais étaient particulièrement sensibles aux revendications des Algériens. Indubitablement, Cologne est un prototype de ville cosmopolite et internationale. Les drapeaux Coca-Cola qui trônent au sommet de l'immense pont traversant le Rhin annoncent la couleur. La culture américaine est ici fortement présente. Le musée Ludwig abrite par exemple la plus grande collection pop-art hors Etats-Unis. Les ?uvres d'Andy Warhol, de Robert Rauschenberg et de Roy Lichtenstein y côtoient les installations façon readymade de Marcel Duchamp. On y trouve notamment la légendaire Roue de vélo dont l'auteur avait dit : «Quand j'ai mis une roue de bicyclette sur un tabouret la fourche en bas, il n'y avait aucune idée de readymade ni même de quelque chose d'autre, c'était simplement une distraction.»Cet aspect ludique et «interactif» domine dans les ?uvres exposées au Ludwig. La rétrospective de l'Américaine Louise Lawler comprend par exemple de grands dessins simplement tracés en noir sur blanc avec des espaces numérotés, à la manière des livres de coloriage, laissant le soin au spectateur d'imaginer les couleurs qu'il pourrait y placer. Une illustration assumée de l'idéologie américaine du Do it yourself (faites-le vous-mêmes).Dans la suite de Warhol, cette artiste «conceptuelle» interroge la notion-même d'auteur en faisant imprimer ses dessins sur de grandes feuilles adhésives réalisées spécialement pour l'exposition au musée Ludwig. Les toiles de Picasso (le musée en compte environ 900 !) apparaissent comme une chaleureuse parenthèse organique dans l'atmosphère industrielle de l'art conceptuel. La période surréaliste est également évoquée par des toiles de Magritte et de Picabia. On trouve aussi les fameux monochromes bleus de Klein et les sculptures filiformes de Giacometti? Bref, la visite du musée Ludwig est un véritable voyage dans l'histoire de l'art contemporain tout au long du XXe siècle.Au-delà du pop-art, l'art est véritablement populaire à Cologne. Pour preuve, à quelques mètres du Ludwig on peut assister gratuitement aux répétitions de l'excellent orchestre de la DWR (Deutsh Welle Radio, ou radio internationale allemande). Cette fois-ci, la formation de la DWR offre une merveilleuse interprétation, tout en légèreté, de la Sicilienne de Fauré (extraite de Pélléas et Mélisandre) ainsi que de pièces d'Ernst Chausson et d'Alexandre Von Zemilinsky sous la direction du jeune et brillant chef d'orchestre Juraj Valcuha. Et les Colonais ne se privent pas de ce plaisir musical. La grande salle de la Philharmonie est en effet archicomble. Un jeudi par mois, les habitants de la ville et des environs viennent ? pour la plupart en famille ? s'offrir un moment de grâce en ce lieu d'excellence qui exprime pleinement l'amour de l'harmonie.Notre séjour à Cologne coïncidait par ailleurs avec le Salon international du meuble (du 14 au 20 janvier) qui rassemble chaque année plus de 100 000 visiteurs entre designers, hommes d'affaires et particuliers en quête des dernières innovations en matière de design.En marge de ce grand événement, plutôt orienté business, Cologne abrite le Passagen (semaine du design intérieur). Pendant six jours, la ville se transforme en véritable Mecque du design. Du prestigieux musée des arts appliqués, le Makk, aux squats artistiques, en passant par les innombrables galeries privées, le Passagen déploie son étendard orange et noir sur plus de 190 espaces d'exposition répartis sur plusieurs quartiers.L'artisan local y côtoie le designer international sur les rythmes des groupes pop et de la musique électronique. «La foire du meuble est centrée sur la production et le business. Le Passagen vient la compléter dans la mesure où l'événement est surtout tourné vers l'innovation et les nouveaux concepts comme le ??design durable'' par exemple», nous explique Sabine Vogenreiter, initiatrice de l'événement. Revenant sur l'historique du Passagen, elle se souvient : «Cette idée me trottait dans la tête depuis 25 ans. J'avais une galerie de design. Je faisais environ quatre expositions par an et je trouvais cela très insuffisant par rapport au nombre de designers dans la ville. J'ai donc fait part de cette idée d'organiser des expos design en marge de la foire du meuble. Au début, en 1990, nous étions vingt à le faire. Et cela a pris de l'ampleur d'année en année, arrivant à 190 espaces d'exposition pour l'édition 2014.»Le c?ur du Passagen se situe cette année à Ehrenfeld. Ce quartier multiculturel et créatif de Cologne a été entièrement transformé pour l'occasion. Vous ne traverserez pas une ruelle sans trouver un espace consacré au design, à la photographie, à la mode ou encore au street art. «On est dans la limite entre le design et l'art, explique Sabine Vogenreiter. L'art est totalement libre de toute contrainte, tandis que le but du designer est d'améliorer la vie quotidienne. L'idée du Passagen est d'insérer justement le design dans le quotidien des Colonais. Le design n'est pas l'affaire d'une élite, il est fait pour tout le monde.»Design et art ne doivent certes pas être confondus mais l'art est effectivement présent dans le programme du Passagen, et on y trouve même une belle exposition intitulée «Métamorphose» de l'Algérien Lamine Driss Dokman qui a transformé des cravates récupérées au marché d'El Harrach en compositions chamarrées aux couleurs chatoyantes. Une manière, affirme-t-il, de transformer ce symbole de conformisme en explosion picturale ; une sorte de revanche de l'art sur la bureaucratie et les conventions.Cette exposition s'est tenue au Musée des arts appliqués, le Makk, en marge de celle de Rolf Sachs (voir interview p. 14) qui interroge pour sa part l'identité allemande à travers une série d'installations intitulée «Typish Deutsch '» (Typiquement allemand '). Le musée a également abrité une série de conférences, en collaboration avec la coopération algéro-allemande GIZ, sur le thème de «la transformation» abordé sous plusieurs angles comme le développement durable, le design ou encore la culture. En présence d'intervenants algériens, les conférences ont surtout consisté en un dialogue durant lesquels l'assistance a montré une vive curiosité au sujet de l'actualité algérienne. Au bout de notre court séjour d'une semaine, nous gardons de Cologne le souvenir d'une ville moderne, avec l'ouverture d'esprit et l'innovation que ce terme suppose mais aussi avec ses paradoxes : on y trouve autant de grandes banques que de SDF fouillant les poubelles en quête de nourriture? La modernité de la ville réside également dans ce mariage entre industrie et art, d'une part l'art contemporain qui s'inspire de l'imagerie et des procédés de la société post-industrielle, et de l'autre le design qui est finalement la part de l'art dans l'industrie. De bien des manières, derrière le romantisme de son Eau légendaire et son goût pour la musique classique, Cologne apparaît comme une usine créative.




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