Ainsi va le sous-d'veloppementT'manchir

H'mimed s'adonne à la corruption. Il exige de ses administrés des pots-de-vin généreux pour avantager les uns au détriment des autres.Il ne s'en cache pas. Pourtant, il passe son temps à pester contre toute cette pagaille qui règne dans ce pays, contre la malhonnêteté de ses fonctionnaires et même contre cette incroyable passivité de ses concitoyens qui acceptent de se faire pressurer sans réagir.
Bouzid est professeur de CEM. Il est l'archétype de l'incompétence. Il a échoué dans ce métier sans l'avoir vraiment choisi. Il arrive difficilement à transmettre à ses élèves un tout-venant de connaissances décousues. Il s'adonne machinalement à l''uvre d'abrutissement pour laquelle il est payé. Mais il a un loisir, qu'il paie largement en subissant la compagnie de ces potaches turbulents, c'est de pouvoir, chaque jour, casser du sucre sur le dos de tous les confrères avec son collègue Mansour pendant que les élèves somnolent sur le devoir qu'il leur a donné pour les occuper.
Momoh est un jeune chômeur et fier de l'être, en attendant de traverser. Il ne se lève jamais avant midi et se met chaque jour devant la porte du café, dans une attitude de cerbère.
Là, il se réveille doucement en sirotant un café sirupeux. Il observe le va-et-vient des gens avec l'air de les déshabiller. Il grille cigarette sur cigarette jusqu'à l'après-midi, à l'heure où arrivent les amis pour la partie de dominos. Alors là Momoh se déchaîne et déverse un flot de cancans sur les habitants du quartier, leurs frasques, leurs liaisons amoureuses, leurs moindres scènes de ménage.
Les Algériens appellent cette propension à médire sur le compte des autres alors qu'on est soi-même mouillé jusqu'au cou «t'manchir». C'est un sport national dont la pratique s'est généralisée jusque dans les mosquées. Nul n'y échappe et tout le monde casse du sucre sur le dos de tout le monde, allègrement.