Un hebdomadaire
français bien-pensant titre: La
Palestine oblige l'UNESCO à suspendre certains engagements.
Diable! Une information m'aurait-elle échappé? Les autorités palestiniennes
auraient-elles pris en otage la Direction Générale de cette honorable
institution? Auraient-elles «oublié» de verser leur cotisation comme la loi les
y contraint désormais en tant que responsables d'un État membre? Auraient-elles
pris le pouvoir au sein de cet organisme au point de lui dicter son agenda?
Que non ! Ce sont
les États-Unis qui se refusent à verser leur contribution financière annuelle.
Cette contribution représente 22 % du budget de l'UNESCO; ainsi s'explique le
renoncement à certaines opérations...
Les autorités
étasuniennes soulignent que ce refus est dû à sa présence au sein de l'UNESCO.
Parce qu'elle s'y
est introduite par effraction?
Pas vraiment.
Elle a bénéficié d'un vote massif, 107 voix pour, 14 contre, 52 abstentions.
Alors, de quoi
est-elle coupable au juste?
Elle est
coupable, aux yeux des États-Unis, d'Israël, du Canada et de quelques autres,
d'avoir osé braver une loi non écrite qui consiste à ne jamais tenter de
s'émanciper sans en référer à ceux-là mêmes qui le lui interdisent.
Le Point, à
l'instar de bien d'autres organes de presse français ou étrangers, est dans la
même ligne de pensée. Plutôt que d'accabler les États-Unis et ceux qui leur ont
emboîté le pas en s'alignant comme un seul homme sur l'injonction israélienne,
il préfère pointer du doigt les Palestiniens, coupables d'avoir sollicité et
OBTENU une reconnaissance de fait de la part de la VRAIE communauté
internationale... Les difficultés que va traverser l'UNESCO du fait de cette
ponction sur ses ressources seront subies par quelques milliards d'hommes dont
le crime est d'avoir, par la voix de ses dirigeants, offert un modeste strapontin
dans le concert des nations à un peuple soumis depuis plus de soixante ans à un
déni de justice d'une aveuglante évidence.
Un raid israélien
vient d'avoir lieu sur Gaza dans la nuit de dimanche 12 à lundi 13 novembre. La
routine... Les télévisions rapportent l'information du bout des lèvres, le plus
souvent sous la forme d'une brève sur le bandeau qui défile au bas de l'écran.
Le Point en parlera-t-il? Probablement non. On ne saurait en être surpris.
Après tout, il n'y a qu'un seul blessé...
Le lendemain, on
découvre, par les réseaux sociaux, la presse arabe et quelques très rares
journaux de gauche en France, que le blessé en question n'est autre... que le
Consul de France! On apprend également que sa femme et sa fille ont aussi été
touchées. Silence radio sur les ondes. Il est vrai que le Consul s'appelle Majdi Shakoura, un nom jugé sans
doute peu propice à des élans d'indignation vertueuse. Peut-être faut-il le
rapprocher du nom d'un autre ressortissant français, pas consul certes mais
incontestablement français, retenu en otage dans les geôles israéliennes depuis
sept ans après un jugement prononcé par un tribunal militaire siégeant en zone
occupée, sans que sa condamnation n'ait été étayée par un quelconque fait
matériel. Ce français-là s'appelle Salah Hamouri. Ce
n'est pas beaucoup mieux que Majdi Shakoura, il faut bien l'avouer...
Pour sonder la
géographie du monde, il va falloir apprendre à se servir d'une loupe. Il faut
au moins ça pour détecter le Qatar sur une carte de géographie! Sa superficie
représente 2 % de celle de l'Algérie; son influence est bien plus grande
toutefois. Il le doit à sa fortune, bien sûr. Il est, devant l'Arabie Saoudite
et la Russie,
le premier exportateur mondial de gaz liquéfié. Cela lui permet de prendre des
libertés avec les puissants de ce monde. Dernier exemple : l'humiliation
infligée par le PDG de Qatar Airways, Akbar Al Baker,
aux dirigeants de Boeing et Airbus, jugés incapables… juste avant de leur
adresser des méga commandes, de nature à leur faire ravaler leur amertume!
Mais ce n'est pas
tout. L'Émirat joue un rôle de plus en plus important et de moins en moins
discret dans les affaires du monde. Il est très présent en Libye aux côtés du
CNT. En Syrie, en Algérie, son influence se déploie avec une ampleur sans
commune mesure avec sa taille. Il est un pion essentiel dans la bataille de
l'ombre que livre l'Occident à l'Iran. Il a également participé à la mise au
pas de l'opposition au Bahreïn. Il a à sa disposition une arme très lourde et
très sophistiquée qu'il s'emploie à peaufiner depuis des décennies. Il s'agit
de la chaîne El Jazeera, référence fondamentale dans
l'ensemble du monde arabe. Son but est sans doute d'aider à l'implantation de
régimes musulmans « modérés », à l'image de celui qui s'est installé en Libye !
BRUITS DE BOTTES
DU COTE DE L'IRAN...
Les indignations
sélectives de l'Occident ont perdu leur charge comique. Obama,
dernier avatar de la chaîne des Auguste étasuniens (non, pas les empereurs, les
clowns!) trouve encore le moyen de se démonétiser chaque jour davantage auprès
des peuples arabo-musulmans, ceux-là mêmes qu'il
s'employa naguère à enrôler sous sa bannière dans le très oublié discours du
Caire. Après avoir puni la
Palestine de la manière la plus mesquine qui soit, en
refusant de payer sa cotisation à l'UNESCO, il essaie de nous convaincre du
péril iranien tout en faisant semblant de freiner les ardeurs de son
indéfectible allié israélien.
Israël, en effet,
se prépare bruyamment à attaquer l'Iran. Simple rodomontade ou réelle menace?
On ne le sait pas vraiment. Ce que l'on sait en revanche, c'est qu'Israël
dispose d'un stock de 200 à 300 têtes nucléaires. Il serait savoureux, si les
circonstances n'étaient pas aussi dramatiques, qu'un État voyou, disposant
d'armes de destruction massive, se fichant du droit international comme de sa
première culotte, brandisse l'étendard du droit pour mettre à la raison un
contrevenant potentiel !
Les autres pays
occidentaux, du moins ceux qui disposent de la bombe atomique tels que les
États-Unis, la France
ou la Grande-Bretagne
(Chine et Russie s'en tiennent à une prudente réserve dans l'affaire iranienne)
ne sont pas plus honorables. Ils invoquent le Traité de Non Prolifération
(TNP), signé par l'Iran, pour contraindre ce pays à abandonner ses projets.
C'est oublier que le TNP interdit certes à ses signataires de tenter d'accéder
à la technologie militaire en matière nucléaire mais qu'il appelle aussi les
États disposant de cette technologie à travailler à la disparition de leurs
armes. Aucun de ceux qui s'étranglent d'indignation à l'idée de voir rejoindre
l'Iran rejoindre le club n'a fait le moindre pas dans cette direction.
FAILLITE DU
MODELE DEMOCRATIQUE EUROPEOCENTRISTE...
Les limites du
modèle en question ont été atteintes dès lors qu'il s'est trouvé en défaut dans
son propre environnement. La crise économique a agi comme un révélateur.
L'annonce de l'organisation d'un référendum sur le plan d'austérité en Grèce a
provoqué un tollé dans les chancelleries européennes. Pas question de permettre
au peuple de débattre de choses sérieuses, telles que son avenir par exemple !
Le choix des gouvernements obéit de plus en plus aux diktats de marchés sans
visage. Les traders ne règnent plus seulement sur l'économie. Ils ont pris en
charge les affaires du monde. C'est le résultat le plus patent de la dérive
individualiste, consumériste, de la perte de sens qui frappe le monde
occidental. Or, un monde qui a abandonné l'idée même de se donner un horizon
peut-il en proposer un aux peuples du monde? Certes non. C'est ainsi que les
cris d'orfraie que poussent les intellectuels maison, ceux qui ont organisé
cette dérive, devant les évolutions dans les pays arabes, ne suscitent plus que
haussements d'épaules. Dans l'imaginaire collectif des peuples du tiers-monde
s'est gravée la conviction que la modernité ne peut en aucun cas être un
article d'importation mais qu'elle doit se construire sur le substrat culturel
des peuples. Jacques Berque disait: « C'est par l'identité, non par l'imitation
de l'autre, qu'on accède à l'universel ». Et que dire de cet Autre qui s'est,
non seulement rendu coupable des crimes du colonialisme et de l'esclavage, mais
qui, de plus, n'a jamais vraiment accepté de les revisiter pour changer, en
quelque sorte, la carte mentale qui lui sert depuis des siècles à appréhender
le monde?
Vu à la
télévision: un dîner rassemble un jeune couple et le père de la jeune femme,
dans un petit appartement confortable de la banlieue parisienne; scène banale
de la vie quotidienne. A la fin du dîner, l'homme se lève et prend congé après
avoir embrassé sa fille et salué son gendre. La porte se ferme. La caméra suit
un instant l'homme et on comprend alors qu'il vit dans la rue. On revient dans
l'appartement que l'on vient de quitter; la jeune femme explique : « Vous comprenez.
Il n'y a pas la place pour le loger ici... » L'équipe s'en va. La jeune femme
referme sa porte en réprimant un frisson; il fait grand froid ce soir là. En
France, 80 % des gens meurent seuls...
ET LA LAÏCITE ?
L'anecdote qui
précède est un scandale bien plus important que le caractère laïc ou non d'un
État. La laïcité, parlons-en justement. C'est une spécialité française, à la
notable exception de l'Alsace et de la Moselle, toujours régies par le Concordat (traité
passé entre un pays ou une région et le Vatican) qui reconnaît et organise les
cultes catholique, protestant et juif). Elle n'a pas cours en Angleterre où
l'anglicanisme est religion d'État, la
Reine en étant le chef. En Italie, le catholicisme a cessé
d'être religion d'État en 1984 seulement. Le Danemark reconnaît l'église
luthérienne comme église de l'État qui doit assurer son financement. En
Norvège, elle est aussi considérée comme Église d'État et financée directement
par le gouvernement. En Suède, il a fallu attendre 1951 pour qu'une loi vienne
garantir la liberté religieuse. Cela n'empêche pas ces pays d'être des modèles
dans le domaine du respect des droits de l'homme.
Il est donc clair
que la laïcité, version française, n'est pas forcément un passage obligé pour
l'accès à la modernité. On peut même penser qu'elle ne constitue pas une
panacée contre les éventuelles dérives extrémistes. En France, depuis quelques
années, l'extrême droite enfourche le cheval de la laïcité pour ostraciser les
immigrés musulmans. Un des sites les plus actifs de l'extrême droite se nomme «
Riposte Laïque ». On retrouve d'ailleurs beaucoup de militants d'une laïcité
pure et dure dans les combats pour la reconnaissance de l'héritage chrétien de la France. Alain Finkielkraut parle de son attachement à la France « du Sacre de Reims
» et y voit un élément structurant de la société française. Ainsi, tel député
trouve scandaleux qu'après trois ou quatre générations, des enfants d'immigrés
continuent de s'appeler Brahim ou Mohamed plutôt que Pierre...
La laïcité, notion
honorable, se trouve ainsi instrumentalisée pour devenir une arme de
destruction massive contre l'immigration musulmane. Loin de prémunir la société
française contre l'établissement d'un régime clérical liberticide, elle est
utilisée comme marchepied pour l'instauration d'une société purifiée,
débarrassée de sa part allogène et de tout prurit démocratique, recentrée sur
les valeurs qu'elle a combattues hier et pour lesquelles tant de têtes de curés
ont été exhibées au bout de piques par des foules révolutionnaires en
transe....
Beaucoup de ceux
qui prônent l'imposition d'un régime laïc dans les pays arabes, en particulier
ceux qui se sont débarrassés de leurs dictateurs, ont abondamment cité la Turquie en exemple, la Turquie de la période
durant laquelle l'armée était maîtresse du jeu politique. L'avènement de l'AKP a démontré l'échec du placage forcé d'un modèle à une
société qui n'est pas prête à l'accueillir. La Turquie officielle d'avant
l'AKP était laïque, la société ne l'était pas...
L'avènement de ce nouveau régime, jusqu'à plus ample informé, n'a d'ailleurs
pas débouché sur une dictature sanglante. Il a même permis un remarquable essor
économique du pays qui en a fait l'une des puissances incontournables du
Moyen-Orient.
Alors,
pourrait-on demander aux fonctionnaires de l'imprécation de cesser de se
comporter en directeurs de conscience du monde? Ils n'en ont pas le talent et
leurs destinataires n'ont aucun désir de les entendre. Il n'y a plus grand
monde pour croire que la clef de l'accès au progrès se trouve entre les mains
de la petite coterie d'intellectuels qui trottine derrière la ligne d'horizon
que figure la chemise immaculée de leur chef Bernard-Henri Lévy.
DE QUOI SERA FAIT
DEMAIN ?
La formulation
d'une question dans ce type d'exposé suppose, préfigure une réponse. Ce n'est
pas le cas ici. Il faudrait être un sacré devin pour dessiner ne serait-ce
qu'une esquisse du monde à venir. Peut-être pouvons-nous le dessiner en creux,
en disant ce qu'il ne sera assurément pas…
Demain, la Chine, l'Inde, le Brésil,
l'Afrique du Sud et quelques autres (pas forcément la Russie, puissance rentière,
donc précaire) seront au moins au même niveau de développement que l'Occident.
Ils pourront ainsi, à bon droit, prétendre au même niveau de confort : vacances
au bord de la mer, au ski, randonnées en quatre-quatre, climatiseurs à tous les
étages fonctionnant à plein régime pour contrer les étés étouffants des
tropiques ou de l'Asie du Sud. Ils ne pourront pas satisfaire ces désirs. Cela
demanderait en effet que la production de pétrole soit quintuplée, en supposant
que le reste de l'Humanité qui vit actuellement dans les pays pauvres reste
vouée pour l'éternité au sous-développement. Actuellement, un dixième de la
population du globe (Europe, Etats-Unis, Japon, quelques dragons asiatiques)
consomme 60 % de la production énergétique disponible dans le monde. La Chine, l'Inde, le Brésil et
l'Afrique du Sud représentent plus de la moitié de l'humanité. Ces pays, avec
les pays sous-développés qui concentrent 40 % de la population, sont réduits à
se partager les 40 % de l'énergie disponible. Un compte simple fait apparaître
qu'un Chinois, un Indien, un Brésilien, un Sud-Africain, dispose pour sa
consommation de moins de 20 % de celle dont jouit un Français, un Américain… Il
serait étrange que les Chinois… acceptent encore longtemps un tel partage alors
même qu'ils seraient à niveau avec les Américains… sur le plan technologique,
économique. Ce serait d'autant plus étrange que la Chine est créancière nette
de la plupart des pays occidentaux et qu'elle intervient désormais
régulièrement pour aider au redressement des entreprises étasuniennes. Elle est
même sollicitée de toutes parts pour le rachat de dettes de pays en voie de
faillite comme le Portugal ou l'Italie. En Grèce, elle a acquis la
quasi-totalité des énormes infrastructures portuaires, l'une des rares
richesses de ce pays. Le Brésil est aussi sollicité pour mettre la main à la
poche pour aider les économies européennes en déshérence. Ironie de l'Histoire
: lui-même était naguère en situation de banqueroute, il y a une trentaine
d'années ! Il avait sollicité le soutien de l'Europe et des Etats-Unis qui ne
le lui avaient accordé qu'en échange de son acceptation des prescriptions
mortifères du FMI. A présent, c'est l'Europe qui tend la sébile et ce sont les
dirigeants brésiliens qui l'admonestent et exigent d'elle une application
rigoureuse des plans de ce même FMI !
Ce qui se
dessine, c'est une perte d'influence et une paupérisation de l'Occident qui ne
sera plus le centre du monde. Les Etats-Unis ne s'y trompent pas. Ils essaient
de ne pas se laisser décrocher et négligent de plus en plus l'Atlantique pour
se tourner vers le Pacifique. Ils ne pourront pas maintenir leur leadership
actuel sur la marche du monde. Ils pourront tout juste négocier un statut de
partenaire avec les futures grandes puissances asiatiques. Peut-être seront-ils
tentés de maintenir leur position actuelle, en mettant en avant, non plus leur
poids économique réduit comme peau de chagrin, mais leur énorme potentiel
militaire. Les germes d'un conflit avec la Chine sont bien là. Le pire n'étant pas probable,
il y a fort à parier qu'ils repousseraient une tentation dont la réalisation
signifierait une crise gravissime, sinon la fin de l'humanité…
ET NOUS ?
Quel devenir pour
l'Algérie ? En l'absence de tout projet d'inscription dans le nouvel ordre
mondial, le scénario le plus probable est celui d'une dilution du pays, voire
de sa disparition en tant qu'entité indépendante dans la guerre pour l'accès
aux ressources énergétiques. Il est à craindre que l'irruption de
l'interventionnisme occidental dans le printemps arabe, forme inaugurée en
Libye, peut-être à l'Å“uvre demain en Syrie, préfigure un scénario de dépeçage
des pays arabes. L'Algérie ne peut pas ne pas être dans le viseur. Le seul
moyen de faire échec à cette stratégie consiste à précéder en quelque sorte le
mouvement et engager un processus de réformes profondes de nature à rendre à la
population sa liberté et sa fierté et de lui permettre de dessiner son avenir
autrement qu'en envisageant des solutions extrêmes de séparatismes,
d'irrédentismes locaux, de pactes avec des puissances étrangères. Il faut noter
que des Etats arabes participent à cette stratégie de l'Occident. Les Emirats
Arabes Unis, le Qatar, avec l'approbation silencieuse de l'Arabie Saoudite, ont
participé à l'écrasement de la révolte populaire au Bahreïn tout en la
soutenant en Libye. Au Bahreïn, les insurgés étaient en majorité chiites, donc
susceptibles d'iranophilie. Leur victoire aurait
représenté un revers pour l'Occident. Le CNT Libyen ne présentait aucun risque
de cette nature…
Kadhafi a été
doublement coupable envers son peuple et envers son pays, d'abord en
asservissant le premier, ensuite en ouvrant la possibilité d'une intervention
étrangère. Bachar El Assad
marche sur ses traces. Il finira sans doute de la même façon. Le Yémen, trop
pauvre n'intéresse pas grand-monde. L'Algérie, le
Maroc, la Jordanie
auraient tout intérêt à méditer ces précédents...
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Posté Le : 24/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Brahim Senouci
Source : www.lequotidien-oran.com