Algérie

Aïn Defla - Culture de la pomme de terre: Le revers de la médaille



Aïn Defla - Culture de la pomme de terre: Le revers de la médaille
Entre culture de saison et arrière-saison, ce sont quelque 18 000 ha de pommes de terre qui sont plantés pratiquement chaque année, sur tout le territoire de la wilaya de Aïn Defla mais avec une forte concentration, de manière intensive et extensive, dans les plaines du nord du chef-lieu de wilaya, notamment celles d’El Amra, El Abadia, avec en moindre importance dans la plaine de Djelida.

La culture de la pomme de terre a été introduite au début des années 1980, sur de petites surfaces pour s’étendre à des milliers d’hectares, détrônant la wilaya de Mascara au fil des années.

De nos jours, tous les ténors de la politique, tous les responsables locaux se sont fait une aura en faisant valoir que Aïn Defla arrive à couvrir à elle seule la consommation de ce tubercule pas moins de 33 wilayas sur les 48 sans compter leur approvisionnement en semences.

Cependant, derrière ce triomphalisme qui remplit le couffin de la ménagère et la course aux médailles, il y a la face cachée de toutes ces médailles, dont peu de responsables osent en parler, quand il s’agit de l’épuisement des sols, de l’empoisonnement des nappes aquifères, des oueds et des plans d’eau au moyen des quantifiés astronomiques d’engrais, de pesticides et autres fertilisants, soutenus à prix fort par les fonds de l’Etat.

Les chiffres que nous avons pu récolter font ressortir qu’en 2010 il a été planté 18 000 ha de pommes de terre (pour les deux saisons), 76 000 ha de céréales, 6 000 ha de maraîchages (hors pommes de terre) auxquels il faut ajouter 16 000 ha d’arbres fruitiers, soit une superficie totale cultivée avoisinant les 140 000 ha.

Certes, l’activité agricole a permis de produire 8 646 000 q de produits maraîchers dont près de 6,765 millions de quintaux de pommes de terre et d’engranger 572 000 q de céréales toutes espèces confondues, ceci sans oublier la production agrumicole et fruitière (pommiers, poiriers).

Cependant, cette profusion de produits agricoles mise sur le marché ne doit pas nous empêcher de réfléchir quant à l’incidence de ces cultures sur l’environnement, sur la santé des consommateurs et sur les nuisances graves aux ressources hydriques et à la nature des sols par l’utilisation abusive des engrais, des pesticides et autres défoliants de plus en plus puissants, de plus dangereux, certains même étant bannis des nomenclatures.

La revue El Djeich dans son n°562 du mois de mai 2010 sous la plume de Amel F. C. écrivait : «Cette intensité de production ne tarde pas à récolter ce qu’elle a semé pendant des années : une grave pollution environnementale, ainsi que de graves problèmes de santé publique. En utilisant des produits chimiques en forte concentration, les sols ont fini par être pollués. Les engrais, les pesticides et autres fongicides détruisent la fertilité des sols et pénètrent même les nappes phréatiques situées même à des centaines de mètres de profondeur (…) Les cours d’eau sont alors contaminés et l’écosystème se trouve alors sérieusement perturbé.»

L’auteur de l’article ajoute : «Les engrais utilisés pour accélérer la croissance des cultures ont appauvri les sols : tous les moyens sont bon pour augmenter le rendement.» Le profit, doit-on ajouter, aussi.

L’article souligne également, que «l’utilisation abusive et inconsidérée de ces produits à la limite nocifs, en l’absence de plans d’assolement pour permettre au sol de se régénérer, a fait que de nombreux parasites se sont adaptés et ont acquis une certaine résistance induisant des traitements plus répétés et à des doses et des quantités plus accrues».

Et l’auteur de conclure que « (…) le pire de tout, ce sont les répercussions sur la santé des consommateurs, allant des plus légères aux plus graves».

Il faut aussi souligner que ces atteintes à la santé ont un coût financier selon les chiffres du ministère de la Santé. L’Algérie importe chaque année des produits nocifs et des médicaments pour traiter les effets sur la santé des consommateurs, et ce, à coups de milliards de dollars.

Selon le Centre national de l’informatique et des statistiques, la facture des médicaments importés s’est élevée à 1,66 milliard de dollars en 2010, contre 1,74 milliard en 2009 et 1,86 milliard en 2008.

A cela il faut ajouter que l’accès à l’information sur l’évolution de certaines pathologies induites par ce type de pollution est quasi impossible, soit parce que le suivi n’est pas fait, soit peu ou pas de statistiques sont établies.

Pour se faire une idée des quantités d’engrais de différentes natures enfouis dans les sols en 2010, selon les informations que nous avons pu recueillir, ce sont quelque 323 000 q qui ont été utilisés dont 220 000 uniquement pour la pomme de terre, le reste pour la céréaliculture, le maraîchage et autre arboriculture.

Aux engrais viennent s’ajouter les pesticides, quelques 150 000 litres. Quand on sait que plusieurs traitements aux pesticides sont appliqués par spéculation et par an, on peut s’imaginer le volume répandu. Quand on sait que les produits utilisés sont de plus en plus puissants, de plus en plus concentrés pour venir à bout des résistances développées par les parasites. Quand on sait que les plantes ne consomment pas tous les engrais et que les restes perdurent dans les sols et/ou drainés vers les oueds par le ruissellement des eaux pluviales qui lessivent les sols… Quand on sait aussi qu’une grande partie des ces eaux à forte concentration d’engrais et de pesticides traversent les couches de terre superficielles pour aller alimenter les nappes aquifères, on ne peut que préfigurer du degré de pollution dont sont atteintes ces eaux souterraines.

Une autre dimension à ne pas oublier : ce processus a débuté dans les années 1980.

Il faut signaler tout de même que des responsables du secteur agricole ont déjà tiré la sonnette d’alarme, à maintes reprises, en conseillant de délocaliser la culture de la pomme de terre, de trouver de nouveaux sols, de pratiquer l’assolement, d’utiliser les produits chimiques de façon judicieuse, ils ont a peine été écoutés, la loi du profit et du rendement les a fait taire et jeter leurs suggestions aux oubliettes.

En attendant, le cycle infernal continue : les sols s’épuisent, s’appauvrissent, se saturent d’azote et de pesticides, l’irrigation par aspersion et par écoulement lessive la couche de terre arable, les rivières et les nappes aquifères sont contaminées, leurs eaux pompées, stockées et resservies à la consommation, et le consommateur devient la cible de nombreuses pathologies qu’on ne s’explique pas, accueillies avec beaucoup de fatalisme.

Cependant, les scientifiques ne se sont pas tus en prenant leurs responsabilités pour tirer, eux aussi, la sonnette d’alarme. Malheureusement, leurs démonstrations restent lettre morte sur les étagères de certaines bibliothèques en quête de considération.

A titre d’exemple, cette étude réalisée et présentée il y a à peine quelques années par l’hydrologue Mahfouf M’hamed du Centre universitaire de Khemis Miliana. Une étude diachronique et synchronique consacrée à ce phénomène, dans la wilaya de Aïn Defla présentée par les tenants de ce système de production comme la wilaya nourricière des deux tiers du pays, qui induit le sacrifice de la santé publique sur l’autel du rendement et de la production agricole à outrance par l’utilisation anarchique et abusive des produits chimiques en tous genres, notamment les engrais azotés.

On peut lire dans cette étude, en page 77 : «Depuis une dizaine d’années, la plupart des nappes libres voient leur teneur en nitrate augmenter», justifiant que «la présence des nitrates dans les nappes souterraines est directement liée au lessivage des polluants».

L’auteur du mémoire cite trois sources de contamination, à savoir la minéralisation de la nature organique des sols cultivés ou non, les engrais azotés excédentaires dans les sols et non consommés par les plantes et les rejets localisés d’engrais minéraux, résidus animaux et écoulements domestiques.

Pour ce qui est des eaux usées municipales, ces travaux de recherche ont démontré que ces eaux contiennent 30 à 40 mg/l d’azote total, ce qui induit un relèvement du taux de présence de ce produit dans les eaux souterraines qui s’accroît encore davantage par l’épandage des engrais plusieurs fois par an sur les mêmes parcelles pour les mêmes cultures dont principalement celle de la pomme de terre à raison de deux campagnes par an.

Le scientifique tire alors la sonnette d’alarme : «La pollution par les engrais des nappes superficielles a atteint un stade alarmant. » Ce phénomène existe déjà depuis des années, selon le chercheur.

En page 79, il note : «Le programme de surveillance des eaux par les laboratoires de l’Agence nationale des ressources hydriques (ANRH) a montré l’existence déjà en 1991 d’une forte concentration en nitrates dans les eaux des nappes alluviales du Haut-Chelif avec une teneur dépassant largement la dose maximale des 50 mg/litre.»

L’étude incrimine surtout les rejets domestiques et l’Agriculture, l’industrie, de transformation surtout, dans la wilaya étant limitée à quelques unités situées à la périphérie des grands centres urbains, tels que Khemis-Miliana, Miliana , Aïn Defla et El Attaf, mais qui rejettent aussi des résidus polluants, voire toxiques.

Le chercheur étaye son analyse en constatant en page 86 que «déjà en 2004 au niveau de la nappe du Haut-Chelif, sur 34 échantillons prélevés, 23 ne répondent pas aux normes de l’OMS et 68 % dépassent ces normes».

En 1991, il relève que sur 50 points d’eau échantillonnés en divers endroits du territoire de la wilaya, 23 dépassent les normes limites maximales.

Plus récemment encore, il révèle, toujours selon cette étude en page 92, que «durant les trois campagnes de 1991, 2002, 2003 (basses eaux) et 2002, 2003 et 2004 (hautes eaux), la norme de potabilité des eaux de 50 mg/litre est largement dépassée ».

Quels effets néfastes sur la santé de l’homme ?

Selon les études entreprises par l’auteur, les recherches effectuées de par le monde par les scientifiques ont largement démontré la nocivité des nitrates (NO3) qui, arrivés dans les viscères, parviennent à traverser les parois intestinales, réagissent avec l’hémoglobine et la transforment en méthémoglobine, incapable de fixer l’oxygène, ce qui peut générer des insuffisances respiratoires et conduire à des asphyxies mortelles, une pathologie appelée communément la «maladie bleue».

Plus grave encore, se référant à la revue Science et vie 1990, l’auteur rapporte que «les nitrates, même à faible dose, peuvent se combiner à des dérivés azotiques issus de l’alimentation pour générer des dérivés nitrosés dont l’effet cancérigène a été démontré chez une quarantaine d’espèces animales ».

Face à ce péril que constitue la pollution des eaux par l’utilisation des nitrates générés par l’agriculture et par les rejets des eaux usées des villes, et en zones rurales par les fosses septiques, quel système de défense adopter ?

Il existe une armada de textes juridiques qui réglementent l’utilisation des engrais et des pesticides et autres défoliants.

Qu’en est-il de l’application de ces textes de loi ?

Les ministères de l’Agriculture, des Ressources hydriques, de l’Intérieur et des Collectivités locales, de l’Environnement, de la Santé ont leur part de responsabilité. Ils se doivent de conjuguer leurs efforts pour réduire ces actes hautement polluants tout en sauvegardant les capacités de production des besoins alimentaires qui visent l’auto-suffisance.

Karim O.


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