Algérie

Aïcha Filali : «C'est le chantier intégral en Tunisie !»



- Avec vous, un bâtiment officiel prend une autre allure, une autre dimension… D’où vous est venue toute cette matière '
C’est de la matière que je prends dans la rue. Je fais tout le temps des photos. J’ai eu l’idée de mettre tout cela ensemble autour d’un bâtiment. Avant la révolution de janvier 2011, nous n’avions pas du tout le droit de nous promener avec un appareil photo en Tunisie. Il était interdit de prendre des photos. Après, je m’en suis donné à cœur joie. J’ai choisi ce bâtiment officiel avec des fenêtres réfléchissantes et opaques. Je voulais faire émerger le pays réel, le pays souterrain, à travers les fenêtres. Cela fait longtemps que j’étais prise par l’envie de photographier les policiers. J’en ai profité cette fois-ci. Les policiers de la circulation sont souvent nonchalants. Ils ne sont pas les plus redoutables. Je travaille de façon sérielle. Je fais des séries de photos généralement.
- Vous réfléchissez au sujet ou vous le faites d’une manière spontanée '
Non, je ne réfléchis pas sur un sujet. J’ai des envies. Il y a des choses qui m’interpellent fortement, comme les fenêtres bouchées ou les fenêtres avec des bouts de ficelle. En réalisant ce travail, je n’ai pas forcément pensé à Alger. Mme Nadira Laggoune (commissaire du Festival international de l’art contemporain d’Alger, FIAC) m’a contacté, j’ai dit pourquoi pas ! A ce moment-là, j’étais en train de réaliser ce que vous voyez là. Que cela soit exposé à Alger ou à Tunis m’importe peu. Tout ce qui est inédit m’interpelle. Les choses atypiques. Cela m’interpelle à un niveau artistique. Sur le plan artistique par exemple, les fenêtres bouchées sont très intéressantes.
- Cette œuvre porte le titre de «Percées ou le retour du désordre». Quel désordre '
En Tunisie, tout était cadenassé auparavant. Aujourd’hui, ça bouge de toutes parts, des choses émergent… Il n’y a de vie que dans le désordre !
- La création artistique en Tunisie se porte-t-elle mieux aujourd’hui avec la fin de la dictature et l’arrivée des islamistes '
Cette création continue normalement. C’est le chantier intégral en Tunisie. A tous les niveaux. On veut nous mettre la pression. Mais, on résiste. Avant de venir à Alger, j’ai participé à une manifestation le matin, l’après-midi j’ai pris l’avion (…). J’ai toujours travaillé en Tunisie. J’y ai fait mes études et  j’ai construit ma carrière artistique. Tout mon travail est axé sur la société tunisienne.
- La révolution est-elle un thème de création pour vous '
Non. Nous avons vu tellement de choses ces derniers mois. Il y a eu des changements. Les artistes sont sensibles à ce qui les entoure, que ce soit une situation morte ou une situation de bouillonnement. Il n’a pas besoin de le dire (…) Moi, j’ai toujours fait ce que je voulais bien avant la révolution. Il suffit de savoir comment dire les choses. Et, je sais que j’ai fait un travail relativement osé. J’ai exprimé un point de vue d’une certaine manière. Je n’ai jamais eu de problème ni de censure ni de quoi que ce soit. Je fais du désign, de la céramique, de la couture, je fabrique des bijoux…
- La Tunisie est-elle sur la bonne voie '
On souhaite la réussite de la révolution. Mais, nous n’avons aucune garantie. On ne sait pas. On est dans l’aventure, ça fluctue de jour en jour. Aujourd’hui, tout le monde s’intéresse aux questions politiques. Ceux qui étaient braqués sur le sport ont changé et parlent de politique. C’est une bonne chose ! (…) L’émeute qui a suivi la diffusion du film Persepolis par Nessma TV relevait de la manipulation. Ce film a été projeté en Tunisie il y a deux ans. Il a eu le visa de toutes les autorités sans soulever de vagues. Il est resté en salles pendant plus de trois semaines sans provoquer d’émeutes. On a donc vraiment cherché la petite bête. C’est franchement ridicule.


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