Le pays du «bras». En gros, on reconnaît une dictature à son langage : la menace. C'est le ton de l'année : le Général Mezrag menace Bouteflika, Ahmed Ouyahia menace, Saadani menace, le ministre de la Justice menace, Salah Gaïd menace. Le Régime se sent fort, menacé, en puissance et en force. Il retombe donc dans le langage antique de la dictature : la menace d'user de la force et des arrestations en pleine rue contre ceux qui le critiquent, ne pensent pas comme lui ou veulent sauver ce qui reste de ce pays après tant de colonisations et d'auto colonisation. Et dans la famille des «menaceurs», Ahmed Ouyahia est le dernier en date: contre les gens, les passants, les juifs, les opposants…etc. Fascinant son discours, dans la bouche d'un homme qui a mis des cadres en prison, qui a licencié des milliers de travailleurs, qui aime la sale besogne, qui n'a jamais hésité à épouser le vent et qui sait user des vieilles peurs algériennes : l'Occident, les sionistes, la main étrangère, le complot, le changement. Tout ce qui fait peur aux enfants algériens qui ne sont pas scolarisés à Londres ou en France.L'homme est donc étrange, étonnant et sans frontières intimes : il incarne ce que l'Algérie a fabriqué comme personnel de service après la génération des décolonisateurs. N'hésitant jamais devant le scandale moral ou la contradiction. L'homme est l'auteur de tant d'années de prison pour des Algériens, mais il a la capacité de renter chez lui le soir, en mode famille, la conscience tranquille. Parfaite création post-62 où le « sens du régime » transcende le sens de l'éthique et de la compassion. Trouvant dans le fantasme du sacerdoce de l'Etat les arguments d'un bon sommeil. Capable de fabriquer la tranquillité d'esprit par une conviction de mission auprès des régimes successifs.L'homme revient donc aujourd'hui avec les mêmes méthodes : menaces, imprécations, populisme et bavardages mode café. Non parce qu'il est idiot, mais parce que nous le sommes, souvent, en majorité. Le bonhomme sait sur quelles cordes jouer et il en use depuis longtemps. Il est, au plus profond, un nihilisme ambulant.Accoudés à la rivière du temps qui passe, impuissants, vidés ou sans conviction, nous aurions souhaité que ce pays, après tant d'années, produise des leaders politiques véritables, même adverses. Des hommes qui ont des convictions meilleures que de simple formulaire de servilité, des meneurs, pas des rabatteurs. Ce n'est pas le cas : la génération des post-décolonsiateurs à ceci de terrifiant qu'elle n'a pas d'âme, pas de corps et d'hésitation.Le régime en est donc à la menace répétitive. Cela ne le mènera pas loin, car cela n'a jamais mené loin les dictateurs. C'est le signe d'une nervosité mêlée à une suffisance apportées par ses victoires sur ses adversaires internes. Aujourd'hui, entre «compréhensions» de l'Occident terrifié par les flux migratoires ou l'incarnation Daech, un régime comme le nôtre a presque la réputation d'une solution saine et valable. Il peut donc, en interne, se permettre les arrestations musclées, les menaces contre son propre peuple, l'autisme méprisant ou le retour du parti unique FLN/FCE et la solution du «bras» là où il veut.Fascinant : la dictature a cet étrange vice d'être routinière, répétitive, de dire les mêmes mots, usant du même personnel et répétant les mêmes erreurs pour finir dans le même trou. Ahmed la menace n'invente rien sauf du vent et il restera l'homme qui a inventé l'emploi permanent pour sa personne et l'emploi précaire pour les autres Algériens. Aujourd'hui donc, il vient nous menacer et nous vendre le complot international. Et avec la morgue d'un administrateur de colonisés ou de l'antique SAS coloniale. Escamotant son ambition derrière un excès d'obéissance à ses employeurs.C'est son métier de fabriquer les moutons. Ou de les vendre. Ou de leur faire peur ou de les tondre. Attendant d'en être propriétaire.
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Posté Le : 20/10/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com