Algérie

Ahmed Hamoui, expert international, ancien conseiller du ministre des postes et télécommunications à Liberté 'La crise à Algérie Poste va perdurer"



Ahmed Hamoui, expert international, ancien conseiller du ministre des postes et télécommunications à Liberté                                'La crise à Algérie Poste va perdurer
Ce spécialiste des télécommunications aborde les causes des tensions à Algérie Poste et suggère des pistes pour améliorer la qualité des prestations de la poste.
Liberté : Le secteur des postes et télécommunications traverse une zone de turbulences, malgré les efforts manifestes du premier responsable de ce département d'apaiser les esprits en engageant un dialogue avec le syndicat. Comment expliquez-vous cette situation qui n'est pas sans conséquences sur les très nombreux usagers '
Ahmed Hamoui : La situation qui prévaut à Algérie Poste est extrêmement complexe et traduit l'évolution de plusieurs aspects qui caractérisent ce grand secteur public depuis sa réforme et son passage de service administratif à une EPIC, alors que les conditions fondamentales n'étaient pas réunies.
Algérie Poste/ EPIC fut mise en place avec un effectif considérable par rapport aux besoins nécessaires à des activités dominées par les services financiers, particulièrement les CCP (chèques postaux). Un sureffectif de plusieurs milliers d'agents, qui s'accroît de plus en plus à cause des recrutements imposés aux gestionnaires d'Algérie Poste, constitue un énorme boulet qui gêne gravement et durablement le budget de l'entreprise. Telle quelle, cette situation reste insoluble, sauf par des perfusions de plusieurs milliards de dinars par l'Etat.
De multiples études sérieuses ont démontré que les effectifs de cette nature et de cette dimension, non seulement déséquilibreront le budget de l'entreprise par des dépenses considérables sans rapport avec les recettes mais entraînent inévitablement des dysfonctionnement dans les services et les établissements (absence de motivation réelle, gêne réciproque sur les lieux de travail, tendance au laisser-aller, taux d'absence élevé, et sentiment de frustration mais vraie ou fausse, ambitions démesurées, etc.)
Un second boulet tout aussi important et grave que le précédent empêche et empêchera Algérie Poste d'aller sérieusement de l'avant. Il s'agit des charges financières que constituent plusieurs milliers d'agences postales fonctionnant dans les zones rurales, souvent enclavées, au titre du service universel et dont les recettes ne couvrent même pas les dépenses d'entretien, de chauffage, d'énergie, de gardiennage, sans compter les rémunérations de l'agent gérant et les coûts de transport des produits nécessaires à l'agence (courrier, timbres, finances, imprimés divers, mandats, etc.).
Avant 2000, les agences postales étaient prises en charge en grande partie par le ministère des Finances (subvention annuelle) et par les APC (chauffage, gardiennage, éclairage, etc.). Par ailleurs, une partie importante du personnel de gestion (les moins rentables ' fonctionnant moins de 4h/jour) n'avait pas le statut de fonctionnaire et percevait une allocation de base très inférieure au moins gradé des fonctionnaires.
Exiger d'Algérie Poste une évolution comparable à celle d'une banque par exemple avec des exigences de rentabilité, d'efficacité et de qualité de service exemplaire, avec les deux boulets qu'elle traîne malgré elle, relève à mon avis de l'utopie.
C'est la raison pour laquelle il est très difficile, sinon impossible à Algérie Poste d'appliquer, avec ses seules possibilités financières, les mesures qu'entraîne la convention collective, notamment l'organisation à jour des avancements d'échelons et de grade, la formation qui suit l'avancement de grade (mise à niveau systématique sur le poste de travail). Le payement des primes d'intéressement, et surtout le payement des augmentations salariales avec les rétroactifs que l'on sait, et les revendications d'alignement sur le personnel d'Algérie Télécom.
Comment peut-on avoir un dialogue franc et sincère dans de telles conditions. De fuite en avant à fuite en avant, on arrive à une forme d'impasse très difficile à dépasser, d'autant plus que les situations objectives ne sont pas abordées clairement loin s'en faut...
Un autre domaine d'évolution exacerbe les rapports entre le collectif (ou une partie) et les gestionnaires. Il s'agit du domaine syndical. Force est de reconnaître que dans ce domaine la situation n'est pas brillante. La situation syndicale (bonne ou mauvaise), qui prévalait avant 2000, a été plaquée d'office après la réforme du secteur en 2000, et la création des nouvelles entités économiques (Algérie Télécom, Algérie Poste, Mobilis, ARPT, ANF, ANRM, etc.) et la gestion commune des activités sociales et de la mutuelle.
Cela s'est traduit par des situations antagoniques, des luttes intestines, certains appétits, loin des préoccupations du secteur.
L'idéal aurait été de démocratiser réellement la reconstruction syndicale du secteur, à partir de la base (sections syndicales des établissements) et démocratiquement organiser la convergence vers une direction syndicale unifiée et non imposée.
Cela explique l'émergence lors des grèves des 'syndicalistes" de la dernière heure, des surenchères fatales et des dérisions de toute nature. En fait, l'unité n'est apparente que dans la grève elle-même. L'arrêt de la grève devient un problème tragique.
Voilà pourquoi, malgré les engagements du 1er responsable du secteur ou des autres responsables gestionnaires ou syndicaux, il est très difficile d'apaiser le climat et obtenir une reprise rapide du travail.
Tout le monde se préoccupe de l'amélioration du secteur public de proximité, dont la Poste, qui fait partie du quotidien des citoyens. Quels seraient selon vous les facteurs de blocage '
Je voudrais d'abord préciser l'appréciation en ce qui concerne Algérie Poste par rapport au service public de proximité.
En effet, aujourd'hui, on peut considérer largement qu'Algérie Poste est l'entreprise qui dispose du plus grand réseau implanté dans le pays. Plus de 4000 établissements sont judicieusement répartis à travers le pays (par rapport à 1500 communes environ et moins de 1000 agences bancaires).
Comparativement, Algérie-Poste est l'entreprise qui correspond le mieux et le plus à cette volonté du pouvoir d'améliorer le service public de proximité.
Bien sûr, il y a plus et mieux à faire, dans la pénétration territoriale, dans l'amélioration des services, la création de nouveaux services, la modernisation des établissements et l'amélioration de la qualité d'accueil.
Dans ce cadre, le programme, bien que limité par les moyens, mis en 'uvre par la direction générale d'Algérie Poste, est à soutenir, notamment par les aides conséquentes par l'organisation correcte du service universel (prise en charge par l'Etat et l'ARPT des dépenses des agences postales) et la gestion correcte des sureffectifs.
Si de telles mesures ne sont pas prises rapidement, le secteur risquera des situations plus graves que celle que nous vivons aujourd'hui, avec bien sûr toutes les conséquences sur les clients et l'économie nationale d'une façon générale.
L'introduction du m-payement permettra à Algérie Poste de régler définitivement le problème des billets de banques et de libérer les clients des chèques postaux (15 000 000) des contraintes du déplacement pour le payement de leurs factures (eau, électricité, téléphone, achat de billets d'avion, de train, etc.).
Cela ouvrira la voie à d'autres mesures plus larges telles que le e-commerce.
Beaucoup de voix dissonantes se font entendre, les responsables du secteur ont lâché du lest en accordant une prime conséquente de près de 30 000 DA à chaque travailleur postier. Alors pourquoi ça coince '
La grève a été l'occasion d'une accumulation de revendications générales et particulières que l'entreprise n'est pas en mesure de prendre en charge dans les conditions actuelles. Le premier responsable du secteur devrait recevoir du gouvernement un accord de principe pour la prise en charge des dépenses justifiées et correctes, par une subvention du Trésor que justifient les besoins du service universel (plus de 3000 agences postales gérées depuis des années par Algérie Poste).
La grève persiste dans certains grands établissements à cause de la division au sein du collectif, de l'absence de confiance et du dialogue de sourd.
Le versement des 30 000 DA n'a pas été dans ce cas le catalyseur qui permet de dépasser toutes les situations, d'autant que les responsables réels de la persistance de la grève semblent ne pas être des responsables syndicaux locaux reconnus par le collectif.
Par ailleurs, il ne faut pas tromper le personnel par des échéances trop rapprochées. Un tableau d'avancement de grades ne s'élabore pas en quelques jours, voire quelques semaines. Il doit correspondre à des créations d'emplois et à des libérations d'emplois réels à combler correctement.
Tout le monde attend la 3G. Que se passe-t-il '
La 3G n'a rien à voir avec Algérie Poste, c'est une technologie que l'Algérie était en mesure de mettre en 'uvre il y a déjà plusieurs années par les 3 opérateurs mobiles existants.
Ce retard dont les raisons échappent à tous les acteurs et spécialistes concernés a fait perdre à l'économie nationale plusieurs milliards de dollars.
Une étude de la Banque mondiale fait ressortir pour les pays émergents un gain d'un point et demi à 2 points du PIB pour chaque accroissement de 10% de la densité d'accès à l'internet.
Plusieurs pays africains, asiatiques et latino-américains ont servi de base à cette étude. Il faut espérer que l'année 2013 verra l'introduction de cette technologie 3G dans notre pays, dans des conditions équitables et loyales entre les opérateurs choisis.
A. H.
*Ingénieur d'état en télécommunications, ancien conseiller du ministre des Postes et Télécommunications et ancien directeur de l'Agence nationale des fréquences.
Cet entretien a été réalisé avant la reprise du travail des postiers.


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