Algérie

Ahmed Francis, l’un des meilleurs serviteurs de l’Algérie



Ahmed Francis, l’un des meilleurs serviteurs de l’Algérie Il n’est pas dans les prétentions de cette évocation de retracer le parcours prestigieux d’Ahmed Francis. Nous avons jugé utile de prendre quelques étapes de ce parcours pour comprendre le sens de son combat. Durant toute sa vie, il est resté très attaché à un principe qu’il a acquis durant son éducation de base et qui a fortement contribué à la constitution de sa personnalité et à la cristallisation de sa pensée: «Servir et non se servir». L’émergence politique d’Ahmed Francis va coïncider avec une période cruciale de l’histoire du mouvement national. Issu d’une honorable famille de Relizane, connue sous le nom de Ouled Benyemna, Ahmed Francis est né en 1910 à Relizane. Son grand-père, agent de change de profession, était connu comme «serraf francis», c’est-à-dire celui qui change la monnaie des Français. Et l’institution de l’état-civil en Algérie par la puissance coloniale en 1889 obligeant tous les Algériens à adopter un nom patronymique, sa famille s’est vue décerner le nom de Francis, en référence donc à la profession du grand-père, au grand mépris de l’identité familiale, comme ce fut le cas dans l’écrasante majorité. Après des études en médecine à Paris, en 1942, il va exercer sa profession à Sétif. Et le choix des études de médecine n’a pas été pour Francis une volonté d’assouvir une ambition démesurée. Il s’est agi plutôt pour lui de suivre un cursus universitaire de nature à lui permettre de développer un parcours professionnel où il aurait à exercer des fonctions sociales, notamment celles d’être utile à sa société en mal d’émancipation et de liberté. On peut dire en effet qu’il a réussi son pari. Pendant ses études, il adhère à l’Association des étudiants d’Afrique du Nord et encadre avec Ahmed Boumendjel un groupe d’étudiants sur des analyses politiques liées à la question algérienne. 1943. Sétif va sceller son destin. C’est là qu’il va connaître Ferhat Abbas, son ami pour toujours et envers qui il fera preuve d’une fidélité rarement égalée. Ensemble, ils vont élaborer les principes fondateurs du Manifeste. Véritable plateforme politique qui allait faire rentrer le mouvement de libération dans sa phase décisive, jouant un rôle majeur en tant que catalyseur des forces nationales qui aspiraient à la liberté et à la dignité. Bien sûr que la période écoulée avait été riche en évènements: 1927, Fédération des élus, 1931, Association des oulémas musulmans d’Algérie, 1933, Etoile nord-africaine, 1936 et 1938, congrès musulmans, 1937, PPA, 1936, Parti communiste algérien, 1938, Union populaire algérienne. Cependant, la portée du Manifeste a été grandiose du fait qu’il a suscité un grand engouement chez toutes les catégories de la population algérienne. Sa pédagogie lui a permis de jouer un rôle fédérateur. Un moment unique où le mouvement national a montré sa maturité. D’une part, la revendication de l’assimilation était largement dépassée et ne trouvait plus d’adeptes. D’autre part, la revendication de l’indépendance devait sortir de son ghetto pour s’inscrire dans le cadre d’une stratégie et d’une tactique. Si la stratégie doit être immuable, la tactique est par nature flexible, inspirée sous l’empire des circonstances et des exigences. 1944, «les Amis du manifeste et de la liberté» (AML) est créé où la revendication de l’indépendance se posait en principe. Cette revendication était en rapport avec la naissance d’un nouvel ordre mondial, dominé par le système de l’Organisation des Nations Unies, garant de la paix et de la sécurité dans le monde. Les AML rêvaient et faisaient rêver sur l’indépendance de l’Algérie proclamée par la conférence des Nations Unies de San Francisco. L’heure était ainsi à «la résurrection du peuple algérien par la formation d’un Etat algérien démocrate et libéral» (additif au Manifeste, envoyé par Ferhat Abbas au général De Gaulle). 1945. après l’espoir, la désillusion. Après le rêve, le cauchemar. La guerre allait mal se terminer pour les Algériens. Massacres et arrestations furent les seules réponses de l’ordre colonial. Avec en prime la dissolution des AML. Francis et arrêté et interné dans un camp au Sahara. Il sera libéré en 1946. 1946. A l’occasion des élections de la deuxième constituante, il participe activement à la structuration de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). Ce choix n’était nullement dicté par un quelconque opportunisme. Il fallait surtout assurer au mouvement national une représentativité pour garantir à la nouvelle stratégie les chances de succès. En effet, la tribune de l’Assemblée nationale constituait une excellente tribune pour porter la voix de l’Algérie combattant pour son indépendance. 1947. Elections législatives. L’UDMA décide de ne pas présenter de listes suite à la décision du MTLD de participer, pour la première fois, aux élections. L’entrée en lice des deux partis nationalistes risquait de créer des heurts entre partisans et briser ainsi l’unité du mouvement national. Cette sage décision était une parfaite illustration des motivations de Ahmed Francis et de ses compagnons au sein de l’UDMA. En effet la lutte politique n’était pas une fin mais juste un moyen de servir la cause nationale; que cette cause sacrée, portée par des acteurs différents, signe d’ouverture, de tolérance et d’ancrage démocratique du mouvement national; mais que rien ne doit altérer le caractère unique et stratégique du mouvement national jusqu’à l’accession de l’indépendance. Cette période de répit de l’UDMA a été mise à profit pour parachever l’organisation du parti. 1948. Les élections de l’Assemblée algérienne. De nouveau l’infamie et la déception. Le trucage des élections ont vidé cette assemblée de sa substance. La majorité des candidats du mouvement national sont écarté au profit des candidats de l’administration. Parmi les quelques exceptions qui ont pu quand même passer, le succès d’Ahmed Francis est remarqué. Et il aura réussi une législature remarquable, attirant sur lui l’admiration des uns et l’antipathie des autres. 1954. Le déclenchement de la lutte armée allait faire rentrer le mouvement national dans sa phase finale. Ahmed Francis rejoint la Révolution en 1956. Après le Congrès de la Soummam, il est nommé membre suppléant au Conseil National de la Révolution Algérienne. Il est amené à effectuer plusieurs tournées en Europe et en Amérique Latine au cours desquelles il fait œuvre d’une diplomatie militante. En 1958, il est nommé secrétaire permanent au Congrès de Tanger pour l’Union du Maghreb Arabe. Il devint ministre des finances dans les première et deuxième formations du GPRA présidé par Ferhat Abbès (1958-1961) et participe aux premières négociations d’Evian. Après la destitution de Ferhat Abbès, il démissionne de son poste de ministre et quitte la scène politique jusqu’à l’indépendance. 1962. L’Algérie accède à son indépendance. C’est l’ère de la construction de l’Etat national et de l’édification d’une économie de développement. Ahmed Francis est nommé député dans la première assemblée constituante, puis ministre des finances. En 1963 s’achève la carrière de ce prestigieux personnage. L’ambiance de l’indépendance a fini par opérer un renversement de l’échelle des valeurs, comme si tous les sacrifices n’ont pas suffi à faire accéder les hommes de la Révolution dans la maturité. L’Algérie devait désormais confier son sort aux activistes de tout bord, au grand mépris de l’excellence et de la compétence. Francis décède en 1968, avec certes la grande satisfaction d’avoir accompli son devoir mais avec aussi l’amertume de voir le pays emprunter des voies sans issue. Tel a été Ahmed Francis, un cadre du mouvement national d’un dévouement exemplaire. Les chercheurs en histoire trouveront certainement intérêt et plaisir à lire ses interventions dans les débats de l’Assemblée nationale à Paris et de l’Assemblée algérienne à Alger. C’est l’occasion de rappeler que le dévouement à la cause publique ne peut se contenter de volontarisme et d’activisme. Il y a, au contraire, au-delà des convictions, de grandes exigences en compétences et en probité dont rares de cadres ont pu s’acquitter honorablement. Ahmed Francis est incontestablement parmi ceux-là. C’était Edward Saïd qui lançait ce cri du cœur, semblant exprimer la pensée intime d’Ahmed Francis: «C’est pourquoi nous devons sans plus attendre nous emparer du terrain de la morale supérieure, par (tous) les moyens politiques encore à notre portée - les pouvoirs de penser, de planifier, d’écrire et d’organiser.»   Mouloud Gaadaoui


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