Algérie

Ahmed Benyettou, la fierté du village



Ahmed Benyettou, la fierté du village
15. «Ahmed Benyettou», la fierté de notre village

Plus de dix ans qu’il nous a quittés, il est toujours présent parmi nous car son image refuse de disparaître de notre mémoire. Si «Ahmed Blidi» était le héros de notre village pendant la guerre de libération, «Ahmed» le fut également pour la période de l’après indépendance. Sa forte personnalité, son caractère particulier et son sens de l’humour très distingué ont marqué une grande partie de la jeunesse du village à tel point qu’il est impossible de l’évoquer à présent sans voir un sourire ou une allégresse se dégager sur les visages.

Né en 1954, «Ahmed» fréquenta l’école primaire de son village natal avant de poursuivre ses études au CEG de Boukadir, ensuite au lycée Es-Salem. Ayant échoué au bac en 1974, il rejoint l’institut technologie de l’Education (ITE) de Bouzareah pour une formation de professeur d’anglais. A Alger en ce milieu des années soixante dix, vous imaginez un jeune de 20 ans fraichement débarquant d’un tout petit village, plein d’énergie se retrouvant au milieu d’une foule folle, il se laissa entrainer par la vague mais malheureusement, il s’oublia et oublia le but de son déplacement qu’à la fin il se retrouva hors circuit. Trop souvent absent, manquant de sérieux et ayant la tête ailleurs que dans les études, il s’est fait pardonné mainte fois, mais l’indulgence du directeur, le regretté «Abdelhamid Mehri», a des limites quand même, alors il s’est fait purement et simplement révoqué de l’institut. Peu lui importait, puisqu’il n’a jamais cessé de répéter à ses amis qu’il avait rejoint l’éducation faute de mieux ; il n’était pas fait pour l’enseignement.
Déjà, à cette époque-là, son audace et son comportement se manifestaient par des actes inaccoutumés. Les entourloupettes qu’il faisait voir à ses collègues, ses tours joués à ses proches, faisait de lui un personnage central dans tout l’institut. Tous les stagiaires le connaissait, à tel point que « Si Mehri » le fit dire que si la tutelle le lui permettait, il érigerait une statue de lui à l’institut, tellement qu’Ahmed lui en a fait voir de toutes les couleurs.
Un jour, il est allé le voir pour emprunter 100 DA (une belle somme à l’époque) afin de se rendre chez lui. Si Abdelhamid, sourire au coin des lèvres mais néanmoins surpris devant ce stagiaire un peu extravagant, mit la main dans la poche et lui donna l’argent, sans oser lui demander comment il comptait les lui rendre. Il ne lui rendit jamais son argent bien évidement.

Toujours durant son séjour à Alger, il fut choisi comme guide pendant les jeux Méditerranéens de 1975. Un jour, de l’hôtel ou ils séjournèrent, il emmena les athlètes de la délégation yougoslave faire un tour à la plage de Zéralda au lieu de les emmener au stade pour se préparer à la compétition. Ne se doutant de rien bien évidemment, ils ne se rendirent compte de la plaisanterie qu’une fois arrivés sur place. Au retour, les responsables le grondèrent un peu, mais vu qu’ils connaissaient ses boutades, ils n’ont voulurent qu’à eux même.

Après l’épisode d’Alger, il passa un concours pour rejoindre l’école supérieure des officiers de la gendarmerie qu’il décrocha facilement, mais son père ne lui accorda pas sa bénédiction pour rejoindre son unité, alors il n’eut d’autres alternatives que de rejoindre l’armée pour accomplir son service national qu’il accomplit à Arzew et Sebdou. Après cela, il traina un peu partout jusqu’au jour où il rejoignit définitivement la ‘’Sonelgaz’’ de Chlef ou il termina sa carrière jusqu’à son décès.

Etant très populaire, Ahmed était très aimé et estimé au village. Il était très difficile de trouver quelqu’un qui pouvait dire du mal de lui. Il suffisait de rester quelques minutes seulement pour sympathiser avec lui. Simple, ne cherchant jamais à se compliquer la vie, personne ne se gênait en sa présence ; il savait s’adapter à toutes les catégories de gens, grands et petits, pauvres et riches. Avec lui tout le monde se sentait à l’aise.
Il n’avait pas son pareil pour ça. voyait pas le temps passer. Il savait mieux que quiconque raconter des blagues qui nous faisaient tordre de rire. Et puis, quand il racontait ses aventures, on souhaitait qu’il ne termine jamais son récit. Il avait le don de dire les choses dont lui seul avait le secret.

Mais peut-être que son plus grand don, c’était de raconter des histoires. On pouvait rester des heures à l’écouter dévoiler ses aventures, ses déboires avec son père, ses anecdotes avec ses amis au lycée ou à Alger , on ne s’en lassait jamais. Grand comédien, il serait devenu une grande star s’il était tombé entre de bonnes mains ou s’il avait habité une grande ville. On le comparait souvent au grand acteur Oranais feu «Sirat Boumediene, alias « Chaib hk’dim». La majorité des comédiens ridicules qui passent à la télé de nos jours ne lui arrivaient pas à la cheville. C’était vraiment dommage pour lui de n’avoir pas pu aller loin.
Au plan sportif, il était un bon joueur de football. Sa silhouette et l’élégance qui se dégageait de sa démarche suffisaient pour donner un aperçu de ses qualités. Tenue vestimentaire bien soignée, souliers cirés, on avait l’impression de voir jouer le grand «Riva» de la Squadra Azura des années 1970. Ses co-équipiers gardent le souvenir de quelqu’un qui les divertissait pendant la mi-temps, et même perdant, il les gratifiaient de ses blagues dont lui seul en avait le secret.

Ses soirées d’été au «Mur de Bensouna» font partie de la légende de notre village. Avant que ce mur ne disparaisse après le tremblement de terre de 1980, tous les jeunes du village avaient tendance à se rassembler là-bas et Ahmed avait une place de choix. Je m’en souviens ou on réunissait tous autour de lui pour le voir à l’œuvre. Star incontesté, il nous faisait tordre de rire en racontant ses histoires drôles jusqu’à une heure avancé de la nuit. La présence d’autres noms tels que les frères Mesnoua, Abderahmane et Salah, Dehane, Mohamed Ousser, M’hamed Saab, etc. ne faisaient que l’encourager à nous raconter plus d’histoires. C’était des moments inoubliables qui valaient beaucoup plus que de rester chez soi regarder la télé. $
Et puis, un jour il bénéficia comme beaucoup d’autres d’un logement à la nouvelle cité de Sonelgaz, il emmena ses enfants et déménagea là-bas en emportant avec lui les souvenirs d’un voisin qui nous a divertit pendant des années, sans s’en apercevoir comment ils sont passées.

Et puis vint la décennie noire. Et là, tout a changé. La joie fut remplacée par la peur ; la gaieté par l’angoisse et un individualisme cruelle s’empara des gens. Tout le monde se cloîtra chez soi et les villageois insouciants que nous étions avaient d’autres chats à fouetter que d’écouter des histoires drôles. Tout cela se répercuta sur lui. Avec la responsabilité des enfants et de son foyer, ajouté à la fatigue du au travail, il n’avait ni le temps ni le goût de nous raconter ses aventures comme par le passé.

Conséquence d’une terrible décennie, Ahmed changea comme tout un chacun. Il est devenu soudain triste et mélancolique, ayant toujours l’esprit ailleurs. Au début, on a pensé aux aléas de la vie qui pourraient avoir raison de lui, ou à quelques problèmes passagers comme il nous arrive d’en témoigner, mais malheureusement c’était plus grave que ça. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’on a compris son désarroi. Atteint d’une maladie incurable, il souffrait en silence sans dire un mot. Même les séances de chimiothérapies qu’il faisait à Blida, il les a stoppé volontairement après quelques semaines. Son visage devint blême, sa silhouette frêle et se consuma lentement jusqu’au jour où la terrible nouvelle tomba tel un couperet. On était au début de l’année 2003. Ce jour-là, personne ne pouvait croire qu’Ahmed le jovial pouvait nous quitter à la fleur de l’âge, alors qu’il n’avait pas atteint la cinquantaine.
Si on l’évoque aujourd’hui, c’est pour lui souhaiter la «Rahma d’Allah» et dire que malgré les quinze années depuis sa mort, on ne l’a pas oublié celui qui a laissé derrière lui un grand vide. Allah Yerhmou. Slimane Bentoucha, le 10 juin 2015



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