Algérie

Ahmed Benbitour, ancien Chef de gouvernement, au Forum de "Liberté" "L'élection de 2014 ouvrira une porte pour l'Algérie"



Le candidat aux prochaines élections présidentielles place beaucoup d'espoir dans le prochain scrutin qui doit être perçu, selon lui, comme "une porte ouverte vers le changement et le progrès".Dans sa conférence intitulée "L'Algérie d'aujourd'hui et de demain dans un monde globalisé", l'invité du Forum de Liberté a démontré, durant la soirée du lundi, à travers l'énumération de certains évènements mondiaux et nationaux, l'inéluctabilité d'un changement dans notre
pays : "Il y a un éveil politique et des capacités de mobilisation formidables grâce aux TIC. Les évènements vécus localement sont ressentis immédiatement à l'échelle planétaire. Certaines informations produisent un tel impact émotionnel qu'aucun pays, dorénavant, ne peut se permettre de ne pas prendre en compte ce qui se passe ailleurs. Il reste à savoir maintenant comment traiter avec cette opinion consciente, politique, active et interactive, une opinion en quête de dignité personnelle. C'est là où réside, selon moi, le grand paradoxe."
Pour l'ancien Chef de gouvernement, l'Algérie avait raté la révolution industrielle pour une raison objective : elle était sous occupation coloniale. Mais aujourd'hui, elle n'a aucune raison de manquer la révolution des TIC.
Pour bien montrer que notre pays ne doit pas rester en marge de cette révolution, Benbitour rappellera que "l'Etat-nation est une émanation de la révolution industrielle et qu'en 1789, lors de la révolution française, l'Allemagne comportait 314 Etats, avec chacun, sa propre monnaie et ses droits de douane". C'est dire, selon lui, l'importance de la révolution numérique que notre pays ne doit manquer sous aucun prétexte. Cela dit, pour Benbitour, les dirigeants actuels ne sont pas suffisamment outillés pour faire face à la nouvelle donne qui devrait, d'après lui, offrir une vie meilleure aux citoyens grâce au progrès scientifique.
"Pour contrôler la population, les pouvoirs autoritaires, qui étaient jusque-là de nature souvent populistes et paternalistes, pourraient être tentés de passer à d'autres politiques de pouvoir...", craint-il. Pourtant, une chose est sûre pour Benbitour, "la peur a changé de camp. Partout, dans le monde, le pouvoir a basculé en faveur des populations. Il n'y a pas que l'Algérie, le monde entier a besoin de nouveaux dirigeants".
Pour l'orateur, notre pays est d'autant exposé qu'il se situe dans "une région en ébullition". Et pourtant, l'Algérie a été jusqu'à présent épargnée par ce que certains s'autorisent à appeler "Printemps arabe"... "Pas si sûr, les Egyptiens disaient, eux aussi, la même chose !" rappellera Benbitour qui estime que toutes les conditions pour une explosion sociale en Algérie sont aujourd'hui réunies. Il dit, d'ailleurs, avoir retenu trois "leçons innovantes" des expériences égyptienne et tunisienne. "D'abord, les populations des capitales arabes se sont montrées capables de faire partir leur chef de l'Etat mais elles se sont avérées, en revanche, incapables de gérer le changement à cause notamment des faiblesses des programmes politiques et de l'absence de leadership. Et puis, les
forces de l'ordre mobilisées pour faire face aux soulèvements ont adopté, soit une neutralité positive ou se sont franchement rangés du côté de la population."
Cette situation devrait servir de "leçon à retenir" pour les dirigeants qui n'ont pas su partir pacifiquement et qui, selon lui, doivent se résoudre, plus que jamais, à de tels changements.
"Il y a un pari à faire sur les prochaines élections présidentielles, non seulement au bénéfice de la population et du pays, mais aussi au profit des tenants du pouvoir qui auraient dans le cas d'espèce une issue de secours. Au lieu de subir le changement par la violence et toutes ses conséquences, ils devraient tous profiter de ce rendez-vous électoral, une opportunité qui leur est offerte pour se sortir de l'impasse."
Inaptocratie
Invité à définir le système algérien, Benbitour reprendra à son compte un nouveau concept inventé par l'académicien français Jean d'Ormesson, à savoir "l'inaptocratie", soit "un système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir, sont
récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d'un nombre de producteurs en diminution continuelle".
Pour Benbitour, nous y sommes en plein. Il faut dire que l'invité du Forum de Liberté a fait, à cette occasion, un bilan plutôt désastreux de la situation, une manière sans doute de marquer la nécessité impérieuse d'un changement. D'abord, pour l'économiste, l'amenuisement de la rente énergétique et l'augmentation de la consommation locale de l'énergie ne sont sûrement pas des vues de l'esprit. Et puis, il y a, pour lui, un laxisme flagrant dans la gestion budgétaire : "Depuis quelques années, on puise dans la fiscalité pétrolière pour payer les fonctionnaires." Pour lui, la redistribution de la rente qui a considérablement élargie le "cercle des courtisans" n'est en réalité qu'un leurre.
Il redoute même que celle-ci en vienne à déclencher aujourd'hui l'explosion. Benbitour prévient que "l'antichangement" serait une logique calamiteuse.
Cette éventualité est, pour lui, d'autant plus dangereuse qu'il met en exergue l'extrême vulnérabilité dans laquelle se débat aujourd'hui
l'Algérie ainsi que les énormes défis qu'ils l'attendent : "85% de la population qui vit sur 15% du territoire, l'érosion des sols, un pays considéré à pénurie d'eau absolue, une économie extravertie et volatile qui dépend essentiellement des hydrocarbures, la dépendance alimentaire avec 75% de calories importées, etc."
D'après lui, l'Algérie fait face aujourd'hui à trois scénarios : d'abord, une convergence de malédictions avec une "violence de l'étranger" mettant en péril son unité territoriale, ensuite le maintien du "statu quo" actuel et son corollaire le laxisme dans la gestion budgétaire, la prédation, le chômage avec 300 000 nouveaux diplômés chaque année sur le marché du travail, l'institutionnalisation de l'ignorance, la détérioration dans les mentalités, le culte de la personnalité, l'émiettement du pouvoir entre les différents clans du système, la violence, le fatalisme, le désordre, etc.
Il ne reste, enfin, pour seule lueur d'espoir que les prochaines élections présidentielles de 2014 qui pourraient, selon son souhait, susciter une mobilisation afin de faire face aux nombreux impondérables et aux transformations accélérées. "Après un quart de siècle, l'Algérie n'en a toujours pas fini avec une transition qui dure."
Comment endiguer la crise
Pour Benbitour, il faut vite refermer cette parenthèse, "une véritable trappe" qui, à l'en croire, risque de plonger l'Algérie dans une misère permanente. Il voit également la nécessité de sécuriser le processus de changement contre toute régression ou maintien d'un statu quo qui, selon lui, ne pourrait qu'être fatal. Interrogé sur la teneur de la menace en provenance du Sahel, Benbitour a un avis plutôt tranché sur la question : "Nos voisins du Sud ne sont pas violents par nature. Bien au contraire. Mais s'ils ne trouvent pas de solutions à la misère, ils pourraient être prêts à tout."
Il n'hésite pas à trouver, par ailleurs, des similitudes avec la situation frontalière entre le Pakistan et l'Afghanistan où sévissent, là aussi, la contrebande, le trafic de drogue, la corruption, les bandes armées... Au-delà de cette comparaison, somme toute peu réjouissante, l'ancien Chef de gouvernement recommande, pour éviter d'aller vers une telle direction, de se préoccuper davantage des conditions de vie des populations voisines dont l'Algérie doit se montrer aujourd'hui solidaire.
Il affirme que s'il était élu, il investirait 3 milliards de dollars dans le partenariat entre des opérateurs algériens avec ceux du nord du Mali et ceux du nord du Niger : "Certes, il faut se préparer à la défense mais cela ne suffit pas à aider ces gens à se développer", regrette-t-il, en insistant sur la nécessité d'être imaginatif : "L'Algérie peut et doit innover. Il a fallu que notre pays soit sujet à la colonisation au XIXe siècle pour que toute la région du Maghreb et une partie de l'Afrique subsaharienne basculent à leur tour. Idem pour les indépendances plus d'un siècle après... 2014 est donc une porte ouverte pour l'Algérie, pour nous-mêmes et pour nos voisins qui pourraient bénéficier également de cette expérience".
Une sortie de crise étalée sur 15 ans
Revenant enfin sur son programme électoral, le candidat Benbitour propose une sortie de crise étalée sur 15 ans en assurant toutefois à son auditoire qu'il ne compte pas rester autant de temps au pouvoir. "Je m'engage sur la base d'un seul mandat de 5 ans", révèle-t-il avec le sourire.
Benbitour, qui veut asseoir la méritocratie, la promotion des compétences et la liberté d'expression veut s'attaquer d'abord à "l'endiguement de la crise", qui passe nécessairement, selon lui, par la restauration de la confiance entre gouvernants et gouvernés. S'ensuivra l'achèvement des transitions, la modernisation de l'armée, la refondation de l'Etat, de l'école, etc. Quant au choix de société, il sera dévolu, dans une seconde étape, à une équipe, promet-il, plus jeune et qui devra ouvrir, à cette occasion, "tous les débats nécessaires". Il reste, seulement, à trouver les instruments adéquats pour concrétiser ces choix. Car pour Benbitour, un référendum peut être gagné à seulement 51%. Au mot consensus, il préfère donc un "accord global" afin de préparer le citoyen au changement. Quant à ses chances d'obtenir la majorité au prochain scrutin et devenir, ainsi, président de la Radp, Benbitour semble vraiment y croire : "Avant de me lancer en décembre 2012, j'ai étudié les cas de certains pays de l'Amérique latine, de l'Europe du Sud et de l'ex-bloc soviétique. J'en suis arrivé à la conclusion que le monde a changé. Peut-être qu'il y a une possibilité... Et puis, un pari, ce n'est jamais utopique !" Pour lui, sa candidature est tout à fait "jouable". Il compte sur la mobilisation de ses cercles de soutien "informels" à l'échelle nationale. "Et si l'on n'est pas élu, on ira, peut être, vers la création d'un mouvement politique...", positive-t-il à la fin. Il y a lieu de relever que le candidat Benbitour a remarquablement réussi sa démonstration. Il lui reste seulement à expliquer aux électeurs ces grands enjeux avec des mots simples et des formules qui fassent mouche. Tel est le défi qui l'attend.
M C L
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