Algérie

Ahmed Ben Sghir Un artiste à la volonté de fer



Ahmed Ben Sghir                                    Un artiste à la volonté de fer
Ténacité - Il a raté son bac en 1994, puis l'année suivante. Mais il n'a jamais baissé les bras ni lâché prise.
Ahmed Ben Sghir prépare aujourd'hui, son magistère en calligraphie dans son coin qu'il nomme si bien «El-kheloua» où il collectionne d'anciens objets. C'est un symbole de persévérance, de courage, de volonté et surtout de forte personnalité.
Ahmed Ben Mohamed Sghir est le chercheur, l'écrivain, le poète, le collectionneur et l'aventurier en quête de nouvelles découvertes, de nouvelles choses. Ce fils de «Boudwaya», l'un des plus vieux et pauvres quartiers de Beriane, n'a jamais cessé d'étudier et de se documenter. Il a suivi entre autre, une formation en gestion à l'Institut national spécialisé où il a décroché le diplôme d'assistant administratif. «J'ai travaillé dans une firme de pétrole algérienne, puis en tant que chef de service au niveau de la commune de Hassi Delaâ (Laghouat)», nous dit ce jeune homme de 36 ans, de Beriane (Ghardaïa).Durant l'interruption de ses études, Ahmed nous dit qu'il n'a jamais cessé de faire ses recherches. «J'ai suivi ma passion qui consiste en la collecte et la collection de tout objet qui peut rentrer dans le cadre de notre patrimoine populaire national et même maghrébin et notamment au niveau de la région dite «El-Wasta qui rassemble les wilayas de Djelfa, Ghardaïa, Biskra, El-Bayadh et Laghouat». Comme la plupart des populations de ces villes sont illettrées, la grande majorité du patrimoine n'a pas été inscrite ni écrite. «C'est à nous les jeunes de procéder à l'inscription de ce patrimoine riche en poèmes, manuscrits et documents historiques importants.» Les citoyens dont beaucoup de personnes âgées, ont appris par c'ur les chant, les poèmes, les histoires, les contes et les devinettes qu'ils répètent lors de regroupements familiaux, de fêtes et d'occasions diverses. «Mon souhait le plus cher a, depuis toujours, été d'en faire des manuscrits pour les mettre à la disposition des chercheurs.» Les raisons de son intérêt pour le patrimoine reviennent, selon notre interlocuteur, à sa famille inspirée du soufisme de la «Qadiria». «C'est grâce à ma grand-mère maternelle et à mon grand père paternel qui étaient parmi les plus grands spécialistes en récitation de la poésie populaire.» Le mérite revient aussi à mon père Imam «qui nous a orientés et initiés à la culture, à la lecture de livres ainsi qu'à la recherche et même aux troupes de chants religieux, au théâtre, aux scouts et aux associations».
«Ma mère m'encourageait»
Son amour de la littérature et des médias l'a poussé à exercer le métier d'agent de sécurité en 2001, au niveau de la radio locale de Ghardaïa où il a été encouragé et poussé à persévérer dans la recherche et à repasser son baccalauréat. «Avant d'être agent de sécurité à la radio, j'étais producteur bénévole d'une émission sur la poésie populaire de ma région après avoir abandonné mon poste en tant que chef de service dans une commune. J'ai été très encouragé par ma famille,surtout ma mère.» Ahmed nous révèle aussi qu'il s'obstinait à avoir son baccalauréat. «Quand j'étais à la radio en tant qu'agent de sécurité, je venais chaque matin avec mon cartable et mes livres pour préparer le bac que j'avais passé en 2006 mais raté de peu. Mais je l'ai repassé l'année d'après où je l'ai eu avec une bonne moyenne qui m'a permis de poursuivre mes études de lettres arabes à Ghardaïa. J'ai eu ma licence grâce à mon Mémoire de fin d'études sur le regretté poète et historien de ma région Ali Ben Hacen».
L'héritage de la grand-mère
Cette année, Ahmed est en première année de magistère. Il compte préparer sa thèse sur la calligraphie dans sa région. Il s'émerveille devant les avantages qu'offre Internet et qui lui ont permis d'avancer dans ses recherches. Dans le cadre de «Tlemcen, capitale de la culture islamique», le chercheur Ahmed Ben Sghir compte éditer un livre de 900 pages (3 tomes) sur la littérature populaire de sa région ainsi que 3 recueils de poésies. Tout cela s'ajoute à 2 autres livres, dont une étude critique sur une personnalité littéraire locale : Mustapha Haouchache et «Les jeux chez les enfants de nomades». Ahmed collabore actuellement avec des écrits, des poèmes et des travaux de réflexion et de recherche dans plusieurs revues et journaux arabes (Maghreb, pays du Golfe)et algériens. Il a déjà édité une étude critique sur Mustapha Houache, l'un des hommes de lettres de la région, la littérature de l'enfant et un autre sur les jeux pour enfants au sein des nomades. Il nous a révélé que le dernier livre sur les devinettes populaires a été fait grâce à sa grand-mère décédée en 2011 et qui l'accompagnait souvent dans les rencontres culturelles à l'échelle nationale et internationale. Elle lui a donné plus de 340 devinettes sur les 500 citées avec leurs réponses ainsi que des histoires et contes pour enfants. «Ma défunte grand-mère m'encourageait beaucoup. Elle constatait que l'héritage culturel familial se perdait à travers le temps et me conseillait de faire en sorte de le sauvegarder aux futures générations.»
«Un patrimoine vivant»
Passion - Ahmed a transformé le rez-de-chaussée du domicile familial à Berriane en une véritable caverne d'Ali Baba vu son contenu très riche et tous les objets précieux qu'il y a déposés.
Ce lieu a été baptisé «El-kheloua». Il rappelle les caves transformées par les soufis en des lieux de méditation et de prière «Notre maison a depuis longtemps été une dar zaouïa qui accueille des invités de partout même de l'étranger vu les nombreuses relations de mon père.» Ahmed ne nous pas caché qu'au début de sa passion, ce n'était pas facile pour lui. «Ma famille s'est étonnée au début. Tout le monde rigolait quand je ramassais de vieux objets. Mais cela ne m'a jamais complexé ni vexé.»
Ainsi donc, Ahmed qui garde tous les badges qu'il a reçus lors de sa participation dans plus de 200 rencontres culturelles à l'échelle nationale et internationale (Maghreb, pays du Golfe, Europe), a crée son propre musée du patrimoine où il a sauvegardé le patrimoine familial ainsi que des manuscrits rares en arabe, en hébreu et en turc, transmis par l'intermédiaire de gens de sa région et de sa famille. «Je ne peux le qualifier précisément de musée, mais il s'en rapproche quand même.» Parmi ces objets, l'on trouve par exemple, des manuscrits écrits par leurs propriétaires. Un autre manuscrit a été offert par le Sultan Baba Hassen Arroudj. Le Musée compte aussi l'un des plus anciens livres du Saint Coran en Algérie et une grande partie de documents sur l'activité culturelle et commerciale dans sa région. Le «musée» a été visité par plusieurs touristes étrangers. «C'est un espace d'escapade et d'évasion pour moi et pour beaucoup de mes amis.» Cette caverne d'Ali Baba compte également des radios et appareils électroménagers d'antan qui fonctionnent encore. Outre un agenda de l'année 1954 qu'il ouvre à plusieurs reprises et automatiquement à la page du 1er novembre, ce jeune compte dans son Musée, plus de 1 000 boîtes rares en métal pour l'emballage et des allumettes qui datent de 1840 à ce jour. Des vêtements, des bijoux, des livres, des photos, des peintures, des journaux des années 20 et celles de Benbadis, des pièces de monnaie rares (dont une de l'Emir Abdelkader en or, de l'époque romaine), des timbres. «J'ai également une exposition spéciale avec laquelle j'ai participé à Dubaï sur le parcours de développement de la lumière à travers les outils et lampes dont certaines à l'eau, à l'alcool et au bois. Je suis prêt à collaborer avec les Musées» dit-il. Boumedienne Boudaoud, l'un des amis de Ben Sghir et compagnon de parcours, chercheur spécialisé dans le domaine économique dans la région du M'zab, qualifie Ahmed de «patrimoine» vivant. «Ahmed est une encyclopédie patrimoniale d'une grande richesse à exploiter. C'est un patrimoine qui marche et circule entre nous», nous dit-il. La plupart des objets de valeur ont été récupérés chez des familles qui les ont offerts ou simplement jetés selon Ahmed. Et là, il se désole de se rappeler qu'un jour, des enfants qui connaissent sa passion et son amour pour les objets anciens lui ont vendu des feuilles de manuscrits rares qu'ils avaient trouvés dans la décharge publique et dont une grande partie a été brûlée.


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