Algérie

Ahcène Beggache, Écrivain, à L’Expression «J’aime la littérature grâce à Mouloud Feraoun»


Ahcène Beggache, Écrivain, à L’Expression «J’aime la littérature grâce à Mouloud Feraoun»
Ahcène Beggache est un écrivain auteur de deux romans où l'amour occupe la part du lion. L'amitié aussi. Il nous en parle dans cette interview.

L'Expression: Vous venez de publier un deuxième roman, peut-on savoir comment ce dernier est né?
Ahcène Beggache: Vous savez, chacun a ses petits secrets, certains les écrivent, d'autres les gardent enfouis dans leur mémoire?; moi, j'ai toujours écrit mes larmes, mes déceptions, mes rêves et tout ce qui m'avait touché dans mon journal intime. J'ai commencé à le faire depuis le collège. Un matin de l'hiver passé, j'étais seul à la maison, une envie de faire un tour à mon passé, de relire mes journaux intimes, que je n'ai pas ouverts depuis plusieurs années, m'avait tenue par la gorge. Je dépoussière un journal, et je plonge dedans comme une petite fille qui retrouve sa poupée ou un garçon, son jouet préféré. Je lisais chaque mot, chaque phrase avec beaucoup d'émotion.
Je suis resté immobile, les yeux pleins de larmes, le coeur joyeux et je continue ma lecture jusqu'à ce que je tombe sur l'histoire de deux vieux amis, qui avait bouleversé ma jeunesse. L'idée m'est venue de là, et la magie de l'écriture a fait le reste. Quand je me mets à écrire je ne sais jamais d'avance ce que j'allais écrire. Depuis que j'ai compris que la pensée ne précède pas la parole ou l'écrit, je me mets en situation d'écrire même si je n'ai pas forcément quelque chose en tête.

La trame de ce roman est-elle vraie ou bien est-ce le fruit de votre imagination?
Un enseignant en littérature française à qui j'avais demandé un avis avant d'éditer mon premier roman m'avait dit que je gaspille plusieurs histoires dans un seul roman. Il m'avait conseillé de ne pas en mettre plus de deux. Je n'ai pas suivi son conseil parce que chaque histoire ajoutée à la trame enrichit la personnalité du personnage principal?; les personnages secondaires permettent au lecteur de rentrer de plain-pied dans l'histoire, s'oublier et enfin déguster toutes les saveurs de la trame.
Même le plat le plus savoureux a besoin d'être accompagné par une entrée, des boissons et un dessert succulents. Je fais attention afin de respecter chacun de mes personnages en lui donnant une vie, une histoire, à travers lesquelles j'essaie de véhiculer des valeurs ou des morales. Pour revenir à votre question, la trame est à la fois vraie et imaginaire. Le vrai est dans cette histoire de ce jeune couple d'amoureux qui communiquait la bonne humeur et la joie à tout son entourage. Ce couple qu'un riche avait voulu séparer à tout prix pour se marier avec la femme (Lydia), un couple dont parlaient les amis et la famille avec émotion, tellement leur amour était exceptionnellement idyllique, même aujourd'hui, chaque fois que l'on évoque entre anciens amis leur relation, on est pénétré par l'admiration et le respect?; l'imaginaire est dans le déroulement des événements, les personnages secondaires et les figurants et surtout dans la fin de l'histoire. Je n'aime pas les histoires qui ont une fin triste. J'estime que mon rôle est de semer, de cultiver et de nourrir l'espoir.

Pourquoi avoir rebondi si vite avec un deuxième roman alors que les lecteurs n'ont pas encore eu le temps de savourer le premier?
Les premiers lecteurs ont savouré «ce que l'amour doit à l'amitié», comme on déguste un nouveau plat. C'est-à-dire avec beaucoup de précautions et d'attention?; plus on entendait parler d'un roman qui donne la parole à l'amitié et à l'amour, qui les réconcilie sans qu'il y soit forcément de vainqueur et de vaincu, et où chacun connaît ses frontières, ses devoirs et ses droits, plus on était curieux de le lire?; ces lecteurs ont fini par le lire goulument au point où nombreux sont ceux qui m'ont demandé, me demandent encore si mon roman avait une suite. Je leur répondais toujours que j'ai laissé le soin à chaque lecteur d'imaginer la fin ou la suite qui lui convienne.

Y a-t-il des éléments autobiographiques dans ce deuxième roman?
Comme je vous l'ai raconté plus haut, après la lecture de mon journal intime, j'ai décidé de raconter l'histoire de mes deux amis, une histoire qui s'était passée réellement durant les années 90, non, entre 2016 et 2020, comme dans le roman. J'ai aussi fait voyager mes personnages à Paris, à Nice, en Alsace, puis à Londres.
Si j'ai eu l'occasion de visiter Londres dans le cadre de mon travail, c'est grâce à Internet, à travers plusieurs documentaires que j'ai pu connaître les autres lieux. Cette aventure est très enrichissante dans la mesure où, l'écrivain se cultive, s'informe des paysages, des coutumes et de l'environnement de chaque région pour pouvoir faire promener tranquillement et sans contradiction ou erreur ses personnages.

Vous venez également de rééditer votre premier roman infirmant ainsi l'idée reçue comme quoi le roman ne marche pas dans notre pays. Quelle est votre recette qui produit un tel résultat auprès des lecteurs, faites-vous un travail spécial de promotion?
Mes lecteurs n'ont pas le même profil. Mon premier lectorat est notre jeunesse, essentiellement les lycéennes et les étudiantes.
Durant les différents salons du livre auxquels j'ai participé, j'ai remarqué qu'elles s'intéressent beaucoup au roman, cela est très encourageant, mais surtout très rassurant pour les parents, parce qu'une fille qui lit est une femme libre. Mon deuxième lectorat est sans aucun doute constitué des anciens étudiants de Oued Aïssi avec lesquels j'ai partagé pendant des années mon quotidien, ceux-là m'ont porté aux nues.
Dès qu'ils ont su pour mon roman, ils se sont portés volontaires pour me soutenir, je ne les connaissais pas forcément au début, mais ils tenaient à venir à chaque salon du livre, je ne les remercierai jamais assez. Qu'ils trouvent ici toute ma gratitude. Pour eux, ce livre est aussi le leur, parce que j'ai écrit le quotidien d'un ancien (de Oued Aïssi) tel que je l'avais vécu durant les années 90. Une lectrice est venue au Salon du livre de Boudjima avec son mari pour signer son roman, ce dernier m'avait dit que sa femme a terminé la lecture du roman à 2 h du matin.
Certains anciens n'avaient pas lu de romans depuis l'université, grâce à mon livre, ils se sont remis à lire?; pour les «?Anciens?», «Ce que l'amour doit à l'amitié» est un livre qu'ils garderont dans leur bibliothèque, un livre à ne jamais prêter. Mon roman a voyagé beaucoup, certains m'envoient des messages d'encouragement, avec la photo du roman, depuis la France, le Canada, la Belgique ou des États-Unis...
Je suis très content de pouvoir procurer des moments de bonheur à tous ces anciens. J'espère sincèrement pouvoir garder cette flamme de lecture aussi longtemps que je vivrais. Mon troisième lectorat est composé de tous ces parents soucieux de l'avenir de leurs enfants, parce que «Ce que l'amour doit à l'amitié » est à la fois une sonnette d'alarme décrivant le quotidien des étudiantes et des étudiants, les risques auxquels ils sont confrontés (la drogue, l'alcool, les grèves, les mauvaises fréquentations...) et un refuge, rappelant que la communication entre les parents et leurs enfants est la seule voie de la sagesse pour se rapprocher d'eux, les comprendre et les aider à mieux vivre les moments de faiblesse ou d'échec, que la confiance est le garde-fou de l'amour maternel, que le respect, son ange gardien. Mon quatrième lectorat, ce sont justement tous les lecteurs qui ont découvert «?Ce que l'amour doit à l'amitié??» à travers les réseaux sociaux, je pense,notamment au groupe «Les amoureux du livre?», «?j'ai lu l'original?» et «?pour l'amour de la lecture?».
Je n'ai pas fait une promotion particulière, mais c'est plutôt les lecteurs de ces trois groupes et d'autres groupes à qui je dois beaucoup, qui, avec leurs partages, leurs avis sur mon roman, m'avaient fait connaître auprès des lecteurs de plusieurs wilayas du pays.

Vous avez commencé à écrire après un événement douloureux et tragique. Pouvez-vous nous dire comment un drame peut-il devenir un élément motivant de l'origine d'une carrière d'écrivain?
Je ne saurais répondre à votre question?; néanmoins, me concernant, à défaut de la musique, l'écriture a toujours été mon refuge. Quand je veux crier, j'écris ma colère ou je la chante, quand je veux pleurer, j'écris aussi ou je chante.
Pour moi, même dans les moments de silence, ma tête écrit quelque chose ou dit quelque chose, mes silences sont bruyants. Effectivement, j'ai commencé à écrire «Ce que l'amour doit à l'amitié» à la suite de la perte tragique de mon meilleur ami, Kamel?; à partir de ce moment-là, le monde s'était écroulé autour de moi, parce qu'il était mon unique soutien, celui qui était toujours là pour nous (moi et ma femme).
J'attendais avec impatience le jour où je pourrais lui rendre la pareille, ce jour n'est jamais arrivé?! Aujourd'hui, le personnage de Kamel est toujours présent dans mes romans, c'est ma façon à moi de le rendre éternel. Au début, l'écriture était une thérapie?; j'écrivais pour parler à mon ami, lui rappeler tous ces moments que nous avions vécus, tous les obstacles que nous avions surmontés ensemble et toutes les déceptions que nous avions digérées?; grâce à l'écriture, je suis sorti de ma bulle de tristesse, qui a failli m'emprisonner dans une espèce de questions sans réponse, des questions qui commençaient souvent par «?pourquoi?» et des phrases qui commençaient par des «?si?». Aujourd'hui, l'écriture me procure le bonheur de créer des histoires dans lesquelles je ris, je pleure, je vis intensément?; pour cela, je suis dans la peau et l'esprit de chaque personnage de mes romans. Chaque fois que je suis devant mon micro, je deviens une autre personne, je veux dire plusieurs personnes en un laps de temps très réduit.

Quelles sont vos lectures actuelles, pouvez-vous nous dire comment s'effectue le choix des livres que vous lisez?
Je choisis mes livres en fonction du moment. Parfois, je suis ce lecteur qui lit pour voyager, s'évader et découvrir une histoire?; quand j'ai ce besoin, je lis Guillaume Musso, Yasmina Khadra ou d'autres écrivains contemporains. D'autres fois, je lis pour apprendre, déguster la langue, savourer la littérature française?; je lis alors Stendhal, Victor Hugo, Balzac ou autre classique français.
Et quand je veux cultiver ma mémoire, me rappeler les moments de plaisir de ma jeunesse, je relis Feraoun, Mammeri, Kateb Yacine ou Dib.
Je lis aussi, nos jeunes écrivains pour découvrir nos jeunes talents, se soutenir mutuellement à travers des retours de lecture que nous partageons entre nous.

Quels sont vos auteurs et vos romans préférés depuis que vous avez commencé à lire?
Tous les romans de Mouloud Feraoun, c'est lui qui m'a transmis l'amour de la lecture, a titillé ma curiosité dès le jeune âge, et m'a fait comprendre qu'un enseignant peut aussi devenir écrivain. Tous les romans de Musso, cet auteur m'a beaucoup aidé avec ses romans, il m'a appris l'art de l'intrigue.
J'aime aussi la littérature russe à l'instar de Fedor Dostoïevski et Léon Tolstoï, je relis «Anna Karénine» chaque fois que je le peux.

Peut-on enfin avoir une idée globale sur votre roman paru récemment?
Mon deuxième roman s'intitule «?... et si tu écoutais mon coeur?!?» Yacine, un enseignant du lycée, un homme vertueux, rencontre par hasard son premier amour du lycée à Alger, Lydia, une dentiste dont la beauté et l'éducation font rêver les mères à la recherche de la bru idéale et les pères en quête d'une belle-fille cultivée et intelligente.
Un amour sincère est né dans le respect et la franchise entre les deux. Ils projetaient de se marier, mais le jour de la demande en mariage, Yacine change d'avis et fait faux bond à son amoureuse, et part à l'étranger sans lui donner la moindre explication, ni signe de vie. Dans sa fuite, il fait des rencontres humainement enrichissantes et émotionnellement troublantes, des femmes en particulier: Tara, une belle rouquine irlandaise avait mis à l'épreuve son éducation, ses principes et surtout son amour pour Lydia, qu'il n'a jamais cessé d'aimer?; Sabah, l'émigrée quinquagénaire reniée par toute sa famille pour avoir fréquenté un Français à l'âge de 18 ans, lui avait rappelé que la famille est un trésor inestimable... Quant à Lydia, elle s'est cachée dans son rembrunissement et son silence comme une chouette dans le trou d'un arbre. Grâce à ses amis et à sa famille, elle recommence à vivre, mais elle menait une vie fade, morne et sans rêve.
Son frère ainé, vivant au Canada, manigance derrière son dos son mariage à un militaire. Malgré la carrière, l'avenir prometteur et le pouvoir de la famille de celui-ci, elle refusait toute idée de mariage. Son coeur n'a jamais oublié son premier amour, mais sa raison ne lui a jamais pardonné. Après trois ans, les deux amoureux se rencontrent par hasard...
Ce roman donne la parole au coeur et à la raison?; il nous rappelle que parfois, il est plus raisonnable de s'arrêter un moment et écouter son coeur, d'où le titre «?... et si tu écoutais mon coeur?!?». Ce roman essaie de montrer qu'entre le courage et la lâcheté, des fois les frontières sont invisibles, et de ce fait, ne pas juger hâtivement les gens est la voie de la sagesse qui permet à l'être humain de voir ces frontières. «?... et si tu écoutais mon coeur?!?» est à la fois un hommage à toutes ces femmes qui ont le courage de ne pas respecter les normes d'une société, quand elles sont en contradiction avec leur éducation et leurs principes, une société d'ailleurs devenue de plus en plus caricaturale et où l'essentiel est remplacé par le formel, le mensonge réconfortant est préféré à la vérité blessante?; et un rappel à ceux qui assignent la femme aux seuls rôles d'épouse et de mère que l'émancipation sociale passe obligatoirement par l'émancipation de la femme.

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