Algérie

Agriculture : le dogme contre la terre



Le gouvernement a pris d'importantes mesures concernant l'agriculture. Il veut faire exactement ce qu'il ne faut pas faire !

Ils l'ont fait ! Le gouvernement a adopté un nouveau projet de loi sur l'agriculture, supposé assurer le décollage de ce secteur, mais il a en fait pris des mesures qui vont dans un sens opposé à l'histoire. Refusant de tirer l'expérience des échecs du passé, et refusant de prendre exemple sur ce qui se passe dans les pays qui ont réussi à devenir des puissances dans le domaine agricole, le ministère de l'Agriculture a fait prévaloir ce qui apparaît en Algérie comme des dogmes, mais qui relève en réalité de l'absurde.

 La mesure phare du nouveau dispositif concerne la concession. Cette forme de gestion sera étendue aux meilleures terres du pays, celles qui avaient été confisquées par les colons, avant d'être confiées à des domaines autogérés après l'indépendance, puis à des EAC ou EAI (entreprises individuelles ou collectives) après la réforme de 1987. Cette formule avait ouvert une brèche dans le dogme bureaucratique, et laissé entrevoir une vente des terres aux agriculteurs sur le long terme. Elle leur accordait un bail de 99 ans, ce qui est considéré dans tous les pays du monde comme une vente. Près d'un quart de siècle plus tard, l'Algérie «corrige» cette déviation. Non seulement elle se refuse à accomplir le pas suivant, qui consisterait à vendre la terre aux fellahs, en interdisant simplement qu'elle soit détournée de sa vocation agricole, mais elle préfère la leur confier sous forme de concession réduite à une période de quarante ans. C'est le meilleur moyen d'assurer la stagnation de l'agriculture algérienne, d'empêcher l'investissement, de favoriser la spéculation et la corruption.

 La démarche algérienne nie ainsi toute l'expérience accumulée dans le pays et ailleurs. Elle rejette les évidences, accumulées à travers le vingtième siècle: l'échec de l'exploitation agricole collective, qui s'est répandue avant d'aboutir à l'impasse ; le retour vers la sécurité alimentaire dans des pays qui avaient connu la famine sous le régime de l'exploitation collective, comme la Chine ; le formidable développement de la production agricole dans les pays où les exploitants sont propriétaires de la terre, et où l'Etat assure une aide importante, sous forme de subvention, mais aussi dans la recherche scientifique. L'échec lamentable de certains pays qui s'accrochent encore au dogme, comme le Zimbabwe, où le pays a été transformé en un champ de ruines après avoir été un immense verger.

 En fait, quel que soit le régime d'exploitation, l'agriculture impose des données de base impossibles à occulter. Les investissements qu'on peut y faire (arboriculture, mise en valeur, grands travaux hydrauliques, etc.) ne peuvent être envisagés que sur le très long terme. Ceci nécessité un régime de propriété d'une très grande stabilité. L'ordonnance de 1987, qui offrait pourtant un bail de 99 ans, n'a pas suffi à susciter un véritable décollage de l'investissement, car la méfiance traditionnelle des fellahs s'est trouvée renforcée par les abus de l'administration. Avec les nouvelles dispositions, la durée du bail est réduite, ce qui va rendre l'investissement encore plus hypothétique. D'autre part, l'agriculture moderne, avec les gros investissements qu'elle exige, ne peut s'imposer dans le pays, avec le morcellement que connaissent les terres agricoles.

 Les spécialistes s'accordent en fait pour dire que l'émergence d'exploitations d'une certaine envergure est seule en mesure de susciter l'engouement des investisseurs. Cela nécessite la transformation des terres en biens marchands, pour pousser, à terme, à un remodelage total des exploitations, ce que la démarche bureaucratique en vigueur exclut de manière radicale.

 Par ailleurs, là où il pense bien faire, le gouvernement gèle en fait toute possibilité de progrès de l'agriculture. Dans une démarche populiste, il affirme que les étrangers seront exclus de la concession. Celle-ci sera donc réservée exclusivement à des Algériens, condamnés à végéter dans des exploitations de petite dimension. Comment ces fellahs pourront-ils dès lors devenir des interlocuteurs des grandes firmes qui produisent la semence, maîtrisent le marché mondial et contrôlent la recherche? Comment pourront-ils, avec leurs maigres capacités, devenir les interlocuteurs de Monsanto ? Comment vont-ils s'organiser pour établir et imposer des réseaux en vue d'écouler leurs produits dans une Europe hyper protégée ?

 Enfin, la démarche annoncée par le gouvernement favorisera la spéculation, les fausses déclarations et la corruption. A l'heure actuelle, une bonne partie des terres concernées sont déjà exploitées par des «locataires», une sorte de métayers travaillant en marge de la légalité. Certains ont des contrats établis chez des notaires, à un moment où l'administration admettait qu'une concession de 99 ans pouvait être mise en location. Quel sera leur sort avec les nouveaux textes ? Devront-ils, en plus du loyer, payer des pots-de-vin à l'administration pour continuer à travailler?

 Quoi qu'ils fassent, ils seront contraints à travailler en marge de la légalité, en raison de la rareté des terres. De nombreux Algériens, intéressés par l'achat d'exploitations agricoles, se trouvent d'ailleurs confrontés à un véritable casse-tête, avec d'une part, l'inexistence des documents de propriété, et d'autre part, à des prix très élevés, en raison de la rareté des terres. Ces prix ne peuvent baisser tant que le tiers des terres agricoles, gérées sous le régime de la concession, demeurent soustraites du marché.

 On sait que le marché ne peut cohabiter avec la bureaucratie. Celle-ci a, cette fois-ci, pris sa revanche. A défaut de favoriser le développement de la production agricole, elle va se contenter de maintenir son pouvoir, en flattant la «famille révolutionnaire»: les traîtres à la révolution et les étrangers n'auront jamais nos terres. Exactement ce qu'a dit et fait Robert Mugabe.








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