Algérie

Agressions sexuelles sur mineurs : Le silence qui tue



Dans les prochains mois ce même réseau sera pourvu  de centres d’écoute et de prise en charge à travers 15 wilayas, dont Tizi Ouzou, Médéa, Bouira… Malika Cheikha est juriste au sein du réseau NADA. Elle nous éclaire sur la question des agressions sexuelles du point de vue juridique et nous raconte par la même occasion les cas auxquels, elle est confrontée sur le terrain. Elle explique « deux cas ne peuvent aboutir juridiquement dans ce genre d’agression. La première concerne les attouchements. Dans ce cas l’affaire ne peut finir en justice parce que le juge rejette le certificat établi par le psychiatre ou le psychologue  attestant que l’enfant a été victime d’attouchements» La juriste poursuit « la justice  ne prend  en considération que les certificats établis par le médecin légiste ». Le deuxième cas qui  n’aboutit pas, est celui des appelants, à savoir «la majorité des mamans désespérés qui se contentent de se confier sur le numéro vert 30 33. Là il n’y a même pas un signalement de cas. La victime raconte  son calvaire et l’agression sexuelle dont a été victime sa fille ou son fils  et c’est tout » Malika Cheikha ajoute « les victimes qui viennent chez nous, on les accompagne juridiquement. La première étape c’est de soumettre la victime  au médecin légiste qui certifie que tel enfant a été  bel et bien agressé sexuellement » Notre interlocutrice énumère les procédures à suivre au cas ou l'’agression sexuelle est avérée. « A ce moment-là, on dépose plainte au commissariat, la police fait son rapport qui passe chez le procureur, le juge d’instruction procède  à son enquête. Après quoi un mandat d’arrêt contre l’auteur de l’agression est émis. Les audiences se déroulent à huis clos », raconte t-elle. La juriste ne manque pas de relever que la mise en application de la loi est défaillante parce que dans la majorité des cas les auteurs des agressions ne purgent que deux ans de prison. « La loi algérienne est quelque peu défaillante dans les affaires d’agression sur mineurs.»   La souffrance muette   Malika Cheikha nous raconte le cas d’un garçon de 10 ans qui faisait des cours de karaté. Son entraineur l'a agressé sexuellement. Une agression confirmée par le médecin légiste. La maman a entrepris une action en justice contre cet agresseur qui fut condamné à deux ans de prison. « Hélas ! Ce n’est pas si facile d’entreprendre une action en justice pour plusieurs parents. Ils le font avec  beaucoup de peur. Peur des autres, peur de la honte. Certains arrivent à le faire mais préfèrent dénoncer anonymement », avoue notre interlocutrice. Elle précise au passage que le réseau NADA reçoit 3 à 4 cas par jour. Malika, notre juriste pour étayer ses dires sur les ravages occasionnés par ces agressions sur les victimes et leur familles, raconte une autre histoire. « C’est le cas d’un garçon habitant dans une petite maison où habite la grande famille. Plusieurs fois son cousin qui a 21ans, l’appelle le matin pour le rejoindre dans son lit sous prétexte de jouer avec lui. L’enfant subissait des abus sexuels répétitifs » Elle poursuit « avant de dénoncer ce jeune homme, la maman a beaucoup hésité. Son mari ne savait pas,  elle ne pouvait lui raconter de peur de briser son foyer. Le poids du silence pesait terriblement sur elle et la faisait souffrir, surtout que son enfant prenait maladivement plaisir aux abus dont il était victime». La maman a fini par entreprendre « une action en justice grâce à notre aide. L’enfant a été pris en charge psychologiquement. Mais il faut préciser au passage que l’action en justice a été entreprise anonymement ». « Les parents croient protéger leurs enfants en cachant », révèle pour sa part O.A psychologue. « Notre but c’est de redonner sens et recréer les liens pour ces enfants victimes d’abus sexuels. On leur apprend à dire leur souffrance par des voix intermédiaires, jeux, dessins… » « Dans mon expérience à la SARP *, j’ai eu affaire à des cas lourds » affirme O.A. « à la suite d’une agression se crée un monde de représentations psychiques complètement faussées chez l’enfant. C’est là où survient une désharmonie dans le développement sexuel. On tente d’y remédier » Salima Tadjine, psychologue à la SARP quant à  elle affirme que la pédophilie en Algérie a pris de l’ampleur.  Pour cause « les enfants sont de plus en plus désinhibés sexuellement. Du coup ils sont vulnérables et deviennent des proies faciles. La source d’information concernant la sexualité a échappé à la société. La société est dépassée par l’ouverture » argumente Salima Tadjine. Les tabous, le silence, la peur de la honte, la peur des autres …sont certainement des mécanismes d’autodéfense que génèrent inconsciemment la société au fil du temps. L’agression sexuelle sur enfants est un sujet tellement délicat dans le sens où on a peur d’en parler, une  sorte d’univers cadenassé où interagissent les victimes et les agresseurs avec la bénédiction du silence. Cherifa Bouetta, psychologue, universitaire et membre de la SARP, n’a pas manqué de souligner que dans certains cas, « la maman ne dénonce pas le père incestueux de peur des autres, l’instituteur pédophile est simplement muté et son agression est passée sous silence... ». A défaut de punir, la société ferme les yeux, la justice ne punit pas, la famille se tait et l'enfant meurt à petit feu...


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