Sid Ahmed Agoumi est pour le cinéma et le théâtre algérien ce que Alain Delon représente pour le cinéma et le théâtre français. Une figure artistique-culte qui se classe naturellement hors série, ou hors concours, compte tenu de la forte charge symbolique qu?elle dégage mesurée à l?aune d?une carrière exceptionnelle. Une valeur culturelle précieuse et sensible qui mérite en tous cas une plus grande considération que celle qui lui a été accordée lors de la dernière édition des Fennecs d?Or où son nom a été cité parmi les nominés au prix du meilleur rôle masculin sans pour autant qu?il reçoive la distinction suprême remise par ailleurs à Lakhdar Boukhers, talentueux comédien s?il en est, qui a brillé dans la série télévisée ?îmarat el hadj lakhdar?. La question qui se pose n?est pas de savoir si Boukhers qui fait partie de la génération montante du cinéma national, a été plus performant que Agoumi l?espace d?un feuilleton, mais de dire pourquoi a-t-on fait subir à l?un de nos plus plus prestigieux comédien une telle offense alors qu?il n?a rien demandé. On le disait au-dessus du lot, et le voila recalé dans un strapontin qui a surpris tout le monde. Même le lauréat de la soirée s?est senti gêné par un succès qui avait un goût amer. Cette humiliation, Agoumi l?a résumée en une phrase lourde de sens dans une brève interview accordée à notre confrère arabophone Al Khabar : ?Ils ont réglé leur compte avec moi?, a-t-il lâché avec une pointe d?amertume qui en dit long sur la teneur de ses sentiments à l?égard de ceux qui l?ont piégé. Visiblement déçu par la tournure qu?a pris cette cérémonie à son détriment, il ajouta quand le journaliste le pressa d?être plus clair dans sa réponse :? Je suis convaincu que le secteur (de l?audiovisuel) est contrôlé par un groupe de personnes qui ne veulent pas du bien au pays?. Du Fennec raté on passe à un débat beaucoup plus sérieux, et Agoumi ne s?en prive pas d?enfoncer le clou en ciblant personnellement le réalisateur Ahmed Rachedi qui était président du jury et qui, selon lui, se trouve être à l?origine de toute cette mascarade. Ce que l?auteur de l?Opium et le Bâton récuse évidemment, affirmant que c?est la décision des membres du jury qui a prévalu. En réponse à ces attaques, Ahmed Rachedi dans le même journal a tenté de tempérer l?affaire, disant au passage qu?il a tout fait pour retenir son contradicteur dans la liste des nominés. Le torchon brûle donc entre les deux hommes, Agoumi précisant à ce propos que ?Rachedi a plutôt usé de son influence pour se ?venger? suite à mon refus d?incarner le rôle de Messali Hadj dans le film qu?il projette de réaliser sur cette personnalité historique?. Le comédien estime que le scénario comportait beaucoup d?insuffisances historiques qui l?ont amené à renoncer à une telle interprétation. Il dit donc tout haut que ce qui le chagrine le plus, ce n?est pas tant d?avoir raté le Fennec d?Or, il en a vu d?autres, mais bien ces manipulations sordides qui renseignent sur les méfaits de leurs auteurs et les dégâts qu?ils font subir au secteur de la cinématographie nationale. Agoumi a même utilisé le terme de ?crime? qui se commet sous la bannière de l?Art. Au demeurant, Rachedi à ses yeux est à compter parmi ceux qui ont participé activement à la dégradation de ce secteur. Il n?y a qu?à voir, dit-il, dans quel état il a laissé le cinéma quand il était responsable. Derrière les projecteurs qui ont illuminé la scène fétiche du TNA où s?est déroulée de la cérémonie de remise des distinctions, le tableau est loin d?être réjouissant.Il est au contraire alarmant si l?on considère que l?ambiance festive qu?on veut bien montrer au public reste quelque part une grotesque dissimulation des problèmes de fond qui minent l?activité artistique, dont la ?caporalisation? du secteur par certains incompétents constitue la clé de voûte. Si certains préfèrent afficher des sourires de circonstance plutôt jaunes pour ne pas gâcher la fête et par extension ne pas se mettre dans les rangs de contestataires déclarés en position de subir d?éventuelles représailles, Agoumi qui est passé par des épreuves plus brûlantes a choisi le langage de la clarté pour crever l?abcès. On avait du reste l?impression qu?il en avait gros sur le coeur et qu?il fallait un jour dire la vérité au public. Sa mise à l?écart de la palme n?aura donc été qu?un prétexte pour fustiger les ennemis de l?art qui sont dit-il parmi nous. Mais cette offensive contre les prédateurs du cinéma et de la télévision se veut aussi une opportunité grave pour instaurer une vraie réflexion sur la prise en charge et la défense de l?activité artistique de manière générale, un débat qui devrait situer les responsabilités des uns et des autres avant de prétendre à l?élimination de la gangrène principale qui a pour nom : incompétence et clientélisme ! Agoumi affirme ne pas avoir cesser le combat contre les incuries de toutes sortes, comme il l?avait fait contre l?intégrisme au temps ou celui-ci déclarait la guerre ouverte à la culture. Finalement, le comédien offensé, atteint dans son orgueil, a été victime non pas de sa valeur artistique qui serait en baisse, mais de son engagement politique que certains qui plastronnent aujourd?hui sous les lampions n?ont jamais digéré. Pour cela il continue de servir d?exemple, et aux prochains Fennecs, on verra peut-être plus clair.
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Posté Le : 13/03/2008
Posté par : sofiane
Ecrit par : A. Merad
Source : www.elwatan.com