Algérie

Aggus de Farida Sahoui Les mots qui parlent de la femme en Algérie



Publié le 07.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

La condition de la femme algérienne a été, et demeure, une source d’inspiration inépuisable pour les romancières qui ne cessent d’explorer ce thème.

L'écrivaine d'expression amazighe et française Farida Sahoui vient de signer son tout premier roman en langue amazighE où elle y dépeint, principalement, cette question.
Le roman de Farida Sahoui, qui vient de paraitre aux éditions Talsa, porte pour titre Aggus qui signifie ceinture traditionnelle. Tout au long des 224 pages que comporte ce roman, l'auteure traite principalement de la condition de la femme dans notre société et sa résistance face aux aléas de la vie et ses injustices. Farida Sahoui qui a vécu en plein dans la société algérienne sait de quoi elle parle. Elle est un témoin oculaire de tout ce que la femme pouvait et peut endurer dans une société qui a du mal à donner sa place à la femme, en dépit des avancées indéniables de ces derniers temps. Pour mener à bien la trame de son roman, elle est remontée jusqu'aux années 40. Son roman s'étale, en effet, de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à un passé très récent, c'est-à-dire le début des années 2000.
Farida Sahoui nous y raconte une histoire vraie, déchirante et bouleversante, qui se déroule en Kabylie. Il s'agit du parcours très peu commun d'une femme, se prénommant pourtant et paradoxalement Tassadit (la chanceuse). Cette dernière qui est le personnage principal du roman, a été privée de son enfant sous prétexte que ce dernier serait illégitime: soupçon de trahison et d'une grossesse non acceptée par sa belle-famille, quelque temps après le décès de son mari!

Donner la place aux femmes
L'épouse, pourtant exemplaire est chassée de sa maison et contrainte de vivre loin du village. Elle a dû combattre contre vent et marrées pour élever seule son nouveau-né «non désiré», avec le chagrin de la perte de son fils aîné, pris en otage par sa belle-famille qui refuse de le lui rendre, et ce, dans une indifférence totale de son entourage... Mêlée à un récit inspiré de la réalité, Aggus nous replonge dans le mode de vie et le vécu de pas mal de nos familles kabyles de l'époque. Tout est passé au peigne fin: le mariage; la relation belle-fille / belle-famille, le rôle et le poids de la grande famille, l'ordre familial et social, la misère, les maladies, l'honneur; l'exil, intérieur et extérieur, la jalousie, la malédiction.
L'autre face de ce livre est bien sûr dédiée au bonheur. Même s'il était rare, il existait et il était intense. Il y est également question de l'humour qui constituait un exutoire. Farida Sahoui réussit la prouesse de brasser un maximum d'aspects saillants de la vie de l'époque. Rien ou presque n'est oublié. Elle dépeint avec maitrise la vie simple et rude dans les villages, la culture la chanson, la radio, les souvenirs de l'époque coloniale et de l'après-guerre...
«Le tout emballé dans un panel de contradictions, de complexités sociologique et psychologique et des égo démesurés qui décryptent une société singulière, mais loin d'être parfaite...», résume l'éditeur du livre. Ce dernier explique que le roman de Farida Sahoui est écrit dans une langue accessible, mais qui comporte parfois des mots pas trop usuels chez certains ou dont le sens est différent d'une région à une autre; ceci est fait sciemment dans l'objectif de ressusciter justement un lexique et un langage, notamment féminin, et sa sauvegarde!

Développement de la langue kabyle
«De ce fait, oeuvrer pour le développement de la langue kabyle et enrichir son vocabulaire, qui perd de plus en plus beaucoup de ses termes et expressions, constituent l'une des motivations de Farida Sahoui», nous confie encore l'éditeur en rappelant que l'auteur continue ainsi dans son registre de travail de mémoire, cette fois-ci, avec un roman «historico-social», son premier, écrit en tamazight! Aggus (ou la ceinture) n'est pas seulement ce que met la femme comme élément vestimentaire, autour de son corps, ou si nécessaire, le mettre autour du cercueil (comme le veut la tradition!) Dans ce roman, Aggus «porte en lui cette symbolique de détermination d'une femme, et la convergence de ses forces, mentale et physique, pour affronter, quelles que soient les circonstances, ce qui lui arrive comme mal, faire face à la vie où se conjuguent les atrocités et méchancetés humaines... c'est peut-être aussi la signification du rêve qu'a fait Tassadit où on lui a effilé sa ceinture».
Le titre du roman revêt donc une très forte charge symbolique comme le découvrira le lecteur au fil des pages. Loin d'être une histoire d'amour à l'eau de rose, Aggus constitue plutôt une véritable radioscopie de la société avec tout ce qu'elle recèle comme contradictions. Le regard de l'écrivaine est très critique. Lucide aussi. Loin de tomber dans le piège simpliste du jugement, Farida Sahoui s'attèle plutôt à dresser les profils psychologiques de ses personnages. Certains de ces derniers se nourrissent même d'un certain sadisme à telle enseigne qu'ils veulent semer le mal, et le faire: «Des comportements, ou des gestes, qui font sortir la personne de sa peau, sans se rendre compte, avec tout ce que cela engendre comme remords de conscience, malédictions, regrets».
Le roman Aggus de Farida Sahoui est un miroir. Celui qui reflète de larges pans de la vie de la femme dans la société kabyle. Farida Sahoui évoque dans son roman des choses dont on ne parle pas ou auxquelles on fait allusion si peu.
«L'histoire tourne autour de ce qu'une mère, parmi tant d'autres, a dû endurer suite à son rejet et aux doutes de sa famille quant à la filiation de son fils. C'est une histoire qui revient particulièrement sur la jalousie des femmes; sur le poids de la famille, la peur et la crainte qui règnent dans les foyers; sur la souffrance et l'injustice qui oppriment les hommes dans le silence; sur la dignité et ses problèmes non résolus et qui ne peuvent êtres dissimulés non plus, sur les maladies qui ont décimés des familles entières pour laisser derrière des veuves et des orphelins», ajoute l'éditeur qui a très bien présenté ce livre. Quant à l'auteure Farida Sahoui, elle écrit au sujet du roman: Ce qui s'est passé nous est parvenu comme souvenirs, des mots qui composent, aujourd'hui, une leçon, une épreuve d'écriture; c'est une réflexion, pas une fiction, un regard critique sur ce qu'ils ont vécu hier; et demain, pour les autres, cela fera partie de notre Histoire, pour ceux qui liront cette histoire.
Aomar MOHELLEBI



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