L’homme qui dessine les villes Petit-fils de sculpteur sur bois, et lui-même décorateur de formation, Affif Cherfaoui semble, dans sa fougue de peintre, tenté par le rêve du ciseleur et du topographe des couleurs. C’est surtout la ville qui le capte aux confins de ce rêve, elle l’anime de gestes précis et minutieux d’artisan de la géométrie (qui sont les siens) pour une résurrection idéelle. Quel qu’en soit le pays, l’endroit ou l’âge, la ville dévoile la magnificence de son corps dénudé en des tracés rigides ou sous le voile agité des couleurs. Une cité passionne plus particulièrement Cherfaoui: Oran sa ville natale. Elle le passionne plus que toutes les autres villes qu’il a visitées, pour lesquelles il a eu un coup de foudre et qu’il dessinera aussi: Le Caire, Paris, Berlin, etc. Hier, c’est-à-dire dans les années 80 et 90 à partir de l’Algérie, et aujourd’hui à partir de la France où il réside, Cherfaoui représentera plusieurs sites d’Oran: L’hôtel de ville, la place 1er Novembre, le théâtre Abdelkader Alloula, le derb, le palais du Dey... Dans les peintures de Cherfaoui, les lieux urbains, édifices publics ou sites anciens gardent certes leurs architectures essentielles, mais subissent dans leur surface le souffle de la féerie et du ludique. Tout en lumière, en miniatures ou en efflorescences, ils sont alors d’un autre temps, ni vieux ni avenir mais comme sortis droit non du geste mais du rêve de ceux qui allaient être leurs bâtisseurs. Cherfaoui est hanté par le perdu. Obsessionnellement. Car, lui qui avait quatorze ans à l’indépendance, gardera vivaces les souvenirs d’une Algérie de tous les espoirs. Des rêves se sont brisés en lui, effrités comme des bâtisses dont la pierre se serait brutalement muée en sable. C’est peut-être ce qui explique ce goût passionné qu’il a dans son esthétique pour la reconstruction architecturale, ainsi que le recours à un style proche de l’enluminure, l’arabesque et la miniature qu’on retrouve chez les décorateurs traditionnels de chez nous. Quand il s’agit de la ville, ses œuvres se présentent comme des peintures de sites restaurés selon des schémas et jeux de couleurs qu’on dirait destinés à accueillir l’enfance. Des sites rajeunis; lavés de leurs rides, de leurs épreuves érosives et de ce qui suggère le sérieux de leur fonction. Cherfaoui a d’abord visité les endroits qu’il allait peindre. Il s’y est promené, les a photographiés, en a étudié les plans anciens et récents. De ces visites, il a retenu surtout des images proches de visions, expressions de son rêve perdu. Vieux quartiers, établissements publics, anciennes mosquées d’Oran, ou rives du Nil, rues et sites religieux d’Al Hussein, tous ces endroits visités ont repris vie dans sa peinture: ils ont retrouvé une vigueur, des contours nets à l’intérieur desquels des détails, exhumés d’un autre âge ou imaginés, ont pris place. Courbes, entrelacs, motifs, tout est ressuscité dans une pureté originelle, archétypale. Sur les surfaces murales ou sur celles des objets apparaissent des lignes brisées qui donnent aux tableaux une impression de rythme rapide. Des reflets lumineux, nés de variations chromatiques subtiles, produisent une illusion de porcelaine ou de verre ou encore de tapis diaphane. Mais au-delà de la lumière, les variations de teinte, la division délicate des surfaces emportent le regard dans un mouvement brisé. Celui-ci s’achève souvent dans des impasses où le reçoivent le noir et le blanc comme dans une halte et un silence d’éternité. Zoubida Haggani, qui a le mieux étudié l’œuvre de l’artiste, a si bien décrit la technique de Affif Cherfaoui en disant qu’il «vide l’espace de sa profondeur stéréotypée, et la cité, de la rationalité géométrique qu’a consacrée le geste d’Hippodamus dans l’antique Athènes. Il exhume une ville de l’urbanisme végétal: volutes, entrelacs, et la vieille ville devient l’efflorescence du paysage». L’extrême rigueur des compositions géométriques qui recouvrent les murs et le sol des sites est atténuée par une sorte de tumulte chromatique alentour là où une muraille ou un bois ou encore le ciel entoure la cité. La couleur s’étale sur une grande surface ou se juxtapose à d’autres, sans ligne de séparation; une façon d’expurger la cité de ses tourments, de l’ouvrir, d’effacer sa rupture avec la nature. Une ouverture, un évidement renforcé par l’absence de l’humain dans ces peintures: les couleurs en mosaïque, couleurs du silence, ne sont que l’alphabet d’un langage par lequel l’artiste s’entretient avec des visiteurs qui ne sont plus là. La cité que nous voyons tire sa lumière sans doute de l’émerveillement de l’artiste devant elle, réelle ou songée. Décomposée par le temps, lointaine, refusée ou menacée, son image, d’abord récupérée par le regard, a été livrée aux mains de l’artiste, dieu des formes, qui l’a recomposée dans un geste nocturne, solitaire, osirien.
Posté Le : 27/02/2007
Posté par : sofiane
Source : www.voix-oranie.com