Algérie

Adieu maître Issad



   
A tous ceux, de plus en plus nombreux, qui traversent tristement leur vie et la nôtre, portant en bandoulière la géographie de leur appartenance primaire, tu répondais : je suis de Sougueur. C'était ta manière, tranquille et ferme, de revendiquer fièrement ton appartenance au terroir de l'Algérie et de se revendiquer par la même de la seule foisonnante et indépassable diversité de son histoire humaine. A quelques siècles de distance, les mêmes terres et les mêmes valeurs qui t'ont vu naître et grandir t'ont fait voisin d'Ibn Khaldoun. Les seuls référents qui motivaient alors ton appréciation et tes choix dans la vie étaient l'honnêteté, le savoir et la rigueur.
Depuis 1962, tu as formé toute une génération de juristes, dont plusieurs comptent aujourd'hui parmi les plus éminents, et lorsque la médiocrité a chassé les meilleurs parmi tes pairs, tu as dénoncé tous les faussaires et les fossoyeurs de notre chère université. Tu ne t'es naturellement pas fait que des amis ; mais tu savais que tu en comptais parmi les plus sûrs ; ceux qui comptent dans les moments difficiles, loin des discours et des postures. Ta compétence comme ta droiture, ton indépendance comme ton intransigeance ont rendu incontournable, le moment venu, ta désignation à  la tête de la Commission chargée de réformer une des structures sinistrées de notre pays. Le rapport que tu as rendu, avec tes amis, sur l'état de la justice et les voies de traitement suggéré restera pour l'histoire un acte majeur de témoignage et une preuve irréfutable de la possibilité du changement institutionnel et de la réforme sans violence et sans épreuves pour la nation.
Mais comme s'il était dit que l'Algérie devrait continuer son chemin dans la souffrance, l'appel du devoir te place à  la tête d'une autre commission pour enquêter et tenter d'y mettre un terme dans une des régions de notre cher pays, cette Kabylie de nos combats et de nos espoirs tant de fois découragés mais, inévitablement, celle de notre destin partagé. Par la seule autorité du droit bien calé, comme tu savais brillamment le faire, à  la justesse et la force de l'écrit et du verbe, tu arrivas à  provoquer la cessation des tirs des snipers.  Tu nous quittes au moment où l'Algérie a encore le plus besoin de ses hommes et de ses femmes, les meilleurs, ceux qui peuvent et savent porter sur leur dos sans compter son seul viatique : la résistance, l'intelligence et la fraternité face aux errements et aux lâchetés de ceux à  qui elle a tout apporté… Â 
Sur le lit de la maladie, ce n'est pas le mal inexorable qui te marquait le plus, mais l'indifférence de «l'Algérie d'en haut». Se reconnaîtront à  travers ces lignes ceux qui t'ont manifesté leur estime et leur compassion.  «Le changement, c'est quand des gens ordinaires font des choses extraordinaires.» Cette phrase venue d'outre-Atlantique nous paraît l'épitaphe que tu mérites.
Dors en paix, cher Mohand.
- Mahi Ghouadni, ancien bâtonnier d'Oran
- Mohammed Bahloul, économiste


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