Algérie

Adieu Khelifi Ahmed, chevalier des déserts



Par Cherif Rahmani (*)

Si Ahmed est né à  Sidi Khaled, au cœur des Hauts-Plateaux, sur les bords de l'oued Mzi.
Ce poète en herbe, jeune et sans argent, se déplaçant entre les villes des Hauts-Plateaux (Sidi Khaled, Ouled Djellal, Ksar Chellala, Djelfa...) trouvait dans la solitude et le génie de ces hauts lieux de la steppe la force de promouvoir un nouveau genre de poésie et de chanson algérienne. De ses rencontres avec Benguitoune, Belkheir, Benkriou ou encore Kaddour Ben Achour naîtront peu à  peu une amitié et une riche connivence qui lui permettent de développer un registre remarquable de chansons frappées du sceau de l'éternité : Gamr El Leïl, Bent Sahra, Ghomri, Galbi Tfekar, Loghzal Eli Kan... Il a été le porte-voix emblématique de ces poètes lyriques et le continuateur d'une longue tradition des poètes de la steppe et des déserts. Il avait la voix puissante, limpide et unique ; le philtre mystérieux de cette voix de stentor qui a enchanté les cœurs et marqué des générations. Au son de sa voix, on est charmés, on l'écoute avec recueillement. Son physique d'«algerian Iover» ajoutait à  son aura naturelle. Il embellit tout ce qu'il chante : le désert, la steppe, la femme, les mystiques, les chevaliers et les aventuriers. Il avait une curieuse vocation à  mixer la tristesse et la joie. Sa chanson est habitée par une mélodie infinie, subtile et profonde, qui exprime toute la sensualité des déserts. Une mélodie qui s'évase vers un delta d'images des déserts ; elle éveille en nous un désir de rencontre de ces espaces avec leurs formes mouvantes et sensuelles : Khelifi porte l'empreinte des déserts. Malgré la grande affection populaire, il a su rester simple et respectueux des autres et, avant tout, du public. Il est resté toujours le même, fidèle à  la chanson traditionaliste et populaire ; il n'a jamais été gagné par le cabotinage. C'est là le propre d'une personnalité unique, comme on en voit peu dans le milieu des artistes. Aussi fidèle en amitié qu'épicurien, il entretient des liens chaleureusement privilégiés avec ses amis de jeunesse ; d'ailleurs, une grande complicité l'unissait à  mon père, qui lui portait une réelle affection.
Prématurément, il mit fin à  une carrière, une carrière à  l'image de l'homme, d'un seul tenant, sans come-back, sans second souffle, sans entracte : de ce point de vue, il incarne la fin d'une époque politique et musicale. En effet, durant ces dernières années, blessé par la tragédie nationale et oublié par les siens, il mit fin à  sa carrière et on ne le verra que très peu sur scène. Il se réfugia dignement dans le silence qu'il tenait des immensités steppiques. C'est dans cette solitude que je lui rendis visite, en 1998, pour un hommage amical et apporter un peu de réconfort à  ce géant qui a tant enchanté nos cœurs. Jamais un homme lyrique ne m'a autant bouleversé, même si aux oreilles de certains, son chant paraît désuet. Il reste l'un des plus grands artistes algériens de tous les temps et un phénomène dans la longue chevauchée de la chanson nationale. Ce pur poète, qui a si dignement campé la personnalité bédouine et saharienne, est une conscience de l'Algérie profonde.
Adieu Si Ahmed !

(*) Cherif Rahmani, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, président de la Fondation Déserts du monde
 


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