L'Algérie est en plein questionnement sur
ses orientations économiques et son choix de «stabilité» politique après les
évènements titanesques de ce mois de janvier. Un expert du conseil financier
acteur de la modernisation de l'économie nationale apporte son point de vue sur
cette conjoncture exceptionnelle. Adel Si-Bouekaz dirige le cabinet Nomad
Capital. Il évoque l'avenir de la place d'Alger, l'incommunication
gouvernement-entreprises privées, et le traitement des IDE, et les leçons du
vent de la révolution qui souffle sur le monde arabe.
-Le patron de la COSOB a évoqué une
réforme de la place financière d'Alger en 2011 afin de la lancer. Est-ce que
vous avez plus d'éléments sur l'agenda de cette réforme et pensez- vous, de ce
que l'on en sait, qu'elle suffira à faire décoller la place dans un climat des
affaires par ailleurs morose ?
La réforme évoquée porte sur plusieurs années et comporte de
nombreux éléments favorables pour plus d´introductions en Bourse. Cependant la
réforme ne constitue pas à elle seule la solution suffisante. La responsabilité
incombe aux entreprises publiques et privées en termes de volonté de
s´introduire en Bourse, des intermédiaires en opérations boursières (IOB) et
des professionnels du conseil quant à l´assistance des clients émetteurs dans
cette démarche. Enfin les autorités publiques ont aussi une responsabilité en
matière de poursuite des encouragements pour les émetteurs de titres et les
épargnants souscripteurs.
-Le gouvernement souhaite augmenter le
nombre d'IOB sur la place d'Alger et le nombre d'entreprises qui ouvrent leur
capital en Bourse. Lorsqu'on voit le sort qui a été fait à Deutsche Bank pour
des raisons qui demeurent obscures, cela peut-il faire hésiter les cabinets
conseils à rejoindre les rangs sur la place ?
Aujourd´hui toutes les banques publiques
sont déjà IOB, à cela s´ajouteront bientôt des IOB privés. Il n´y n'a pas de
corrélation entre le nombre d´IOB et le nombre d´introductions en Bourse. La
création d´un IOB doit relever d´une pertinence économique et financière,
d´autant qu´un IOB ne peut survivre qu´avec des introductions en Bourse, il
doit pour cela offrir en plus du courtage tous les métiers de l´ingénierie
financière. Les intervenants sur la place s´engageront au vu des opportunités qui
s´y présentent. Aujourd´hui, l´expertise nécessaire est disponible localement
avec les outils et standards internationaux. De nombreux opérateurs privés s
nationaux ont franchi le pas, sans complexes, de faire confiance à cette
expertise locale. C'est une attitude à encourager. Elle se doit d´être élargie
aux entreprises publiques.
- Le gouvernement ne rate aucune occasion
pour exprimer son insatisfaction au sujet du rôle économique et social des
entreprises privées. Est-ce que vous partagez ce jugement ? Les chefs
d'entreprises privées ont-ils raison de pointer les obstacles dressés dans leur
environnement des affaires pour expliquer leur expansion modérée ?
Le diagnostic ne peut en aucun cas être
binaire, nous pouvons relever des dysfonctionnements en relation avec la
jeunesse relative du secteur privé mais aussi avec l´inadéquation de certains
textes avec la réalité économique locale et mondiale. Il serait plus judicieux
de concevoir l´Entreprise publique et privée comme un vecteur de création de valeur
ajoutée et d´emplois, que nous devons assister et encourager. Cela ne saurait
avoir lieu sans la mise en place d´un espace de concertation efficace et
constructif, réfléchissant et proposant des solutions pour des thèmes aussi
divers que la gouvernance d´entreprise, le foncier industriel, le financement
bancaire…, et ce en toute neutralité que ce soit pour une entreprise e publique
ou privée.
- Pensez-vous que les entreprises
algériennes sont en situation de profiter du nouveau cadre de l'investissement
qui impose aux investisseurs étrangers de trouver des partenaires nationaux à
hauteur de 51% du capital
L´opportunité est certes pertinente à
supposer qu´il y ait une synergie possible avec l´entreprise cible mais aussi
les disponibilités financières pour participer à cette nouvelle joint-venture.
Force est de constater que ce n'est pas tout à fait le cas. La trésorerie
disponible des entreprises de production a été affectée par l´effort requis
dans le cadre du financement de son exploitation. Les conditions de financement
de l'importation de ses matières premières sont notamment en cause. Les banques
peuvent, pour aider à la contribution des nouvelles joint-ventures, développer
des produits pour leurs clients leur permettant d´acquérir les titres et/ou
actions de ces nouvelles entreprises mixtes. Mieux encore les banques,
assurances et entreprises peuvent allouer de la ressource financière à des
fonds d´investissements nationaux pour prendre en charge ces dites
participations, c´est d´ailleurs la meilleure voie pour gérer au mieux ces
participations afin de les introduire sous les meilleurs standards à la Bourse
d´Alger.
- Vous faites partie des spécialistes
algériens qui affirment que le recours à un arbitrage international dans
l'affaire du droit de préemption sur Djezzy est une mauvaise voie. Pensez- vous
qu'une issue non destructrice de valeurs pour cette opération est encore
possible et comment ?
Le choix d´un cabinet d´avocats,
arbitragiste de surcroît, réduit considérablement la vision de l´opération à la
seule opération d´arbitrage. Une possibilité non retenue est la négociation
amiable de la reprise de l´opérateur dans des conditions financières et
opérationnelles plus optimales.
- Ce retour de balancier au détriment des
IDE, est désormais accompagné de la volonté de faire profiter les entreprises
algériennes des plans de dépenses publiques colossaux en cours. En outre
l'Algérie veut revoir sa copie dans l'accord d'association avec l'Union
européenne. Trouvez-vous que la politique économique du gouvernement est ainsi
bien orientée ?
L´association des entreprises algériennes
à des entreprises étrangères dans le cadre de la dépense publique, est à
encourager, lorsqu´elle permet de capitaliser une expertise dont l´Algérie
pourra bénéficier ultérieurement. Une fois le plan quinquennal réalisé, ces
entreprises fortes de leurs investissements et de leurs références pourront
aller à la recherche de nouveaux contrats à l´étranger. Quant à l´accord
d´association, il est tout à fait normal qu´un bilan périodique soit fait et
des améliorations apportées. L´ensemble des membres des associations similaires
procèdent régulièrement à des renégociations afin de défendre au mieux leurs
intérêts. Il existe des cas où des membres de l´OMC sont en infraction, versent
une pénalité mais préfèrent ainsi protéger un secteur menacé.
- La révolution en Tunisie s'est déroulée
dans un pays bien noté dans le Doing Business de la Banque mondiale. Ne
pensez-vous pas que cela va inciter les autorités algériennes à être encore
moins attentives aux demandes des capitaines d'industrie en faveur d'un
environnement compétitif ?
La notation Doing Business pour la
Tunisie, saluait entre autres la stabilité du régime et non la qualité de ce
régime. La note globale vient aussi refléter la qualité de l´environnement
général : cadre légal et réglementaire, système financier… Les autorités
algériennes sont sensibles à l´amélioration de l´environnement économique non
pas pour améliorer la notation Doing Business mais par l'urgente nécessité
d´entreprendre les chantiers de réforme autour de l´Entreprise et de
l´Economie. Un diagnostic se doit d´être réalisé dans la plus grande
objectivité. Il doit être accompagné d´un travail concerté de projection sur
l´environnement cible à horizon 15-20 ans, et par là même définir les moyens
humains, réglementaires et financiers pour y arriver.
- Quelles leçons voudriez vous que la
gouvernance économique algérienne tire de la «Révolution arabe en marche» ?
Les évènements récents ont démontré que
la stabilité d´un régime non démocratique n´est pas un gage de développement
économique et social harmonieux. L´absence de large concertation sur des thèmes
divers a montré ses limites ; rien n´est statique, le marché évolue au gré de
l´offre et de la demande, il est difficile de faire l´impasse sur une
nécessaire concertation avec tous les acteurs concernés par le sujet
économique.
- Le pouvoir politique a stoppé les
réformes économiques depuis plusieurs années. Pensez-vous qu'il puisse les
reprendre dans un contexte où il n'est pas contraint par sa trésorerie, mais où
les émeutes et le retour des revendications démocratiques remettent en scelle
la réforme politique ?
Certes les réformes économiques ne sont
pas quotidiennes, cependant le cadre économique évolue en permanence sous la
contrainte de l´environnement international et les choix du gouvernement. La
trésorerie publique excédentaire est garante de la capacité d´honorer le
fonctionnement et les investissements de l´État sur une certaine période et sa
solvabilité vis-à-vis du reste du monde. Cela ne suffit pas à obtenir une
situation économique et sociale répondant aux défis d´aujourd´hui et de demain.
L´aisance financière devrait justement permettre d´engager un débat permanent
sur la situation économique et le développement du pays, pour éviter de le
faire sous une quelconque pression, les mesures prises à la hâte donnent
rarement des résultats satisfaisants.
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Posté Le : 01/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Kadi Ihsane
Source : www.lequotidien-oran.com