Algérie

Ad libitum



Il ne faut cependant pas commettre l’impair de vouloir recourir au quantifiable puisque l’objet de cet amour n’a pas véritablement d’espace : «Il n’y a rien qui Lui ressemble».
Natif de Tlemcen, Afif Eddine (1213-1291), dut quitter le Maghreb central très jeune à la recherche du savoir, celui que renferme le «tabernacle des lumières» dont parle le Saint Coran. Allant d’un compagnonnage mystique vers un autre dans tout le Moyen-Orient, il n’eut de cesse d’attiser le feu de la connaissance en son for intérieur. Après de longs périples qui le menèrent à Konya, haut lieu du mysticisme en Turquie, il s’installa en Egypte, au grand dam de ceux qui comptabilisaient ses faits et ses gestes mystiques. Toutefois, à l’image de son concitoyen Apulée (123-170 AP. J-C), mais, sur un autre versant, qui fut avant lui accusé, devant un tribunal romain d’être «un gentleman, philosophe et maniant à merveille le latin et le grec», on lui reprocha le fait d’être l’un des disciples d’Ibn Arabi (1165-1240), c’est-à-dire un adepte de «wahdat al-woudjoud», le panthéisme.
Afif Eddine disait à haute voix, dans sa poésie bien sûr, qu’il y a en chacun de nous «un esprit ou un penchant mystique» qu’il faut absolument honorer, sans recourir à quelque grandiloquence qui risquerait de mystifier ce qui est le propre de la nature de l’homme. C’était l’époque où ses pairs étaient condamnés au bûcher, suppliciés sur les places publiques, de Baghdad à Cordoue, autodafés un peu partout, alors qu’ils n’avaient la plupart du temps que le verbe proprement dit pour se situer dans cette existence.
En effet, le rite hanbalite, prévalant à l’époque, ne tenait pas en odeur de sainteté le monde du mysticisme. Entre-temps, Ibn Taymia avait fait pousser sa célèbre exclamation à l’endroit d’Ibn Arabi : «Mais que veut donc ce petit Maghrébin '» On fit vite de jeter l’anathème sur Afif Eddine, et le «chaste» qu’il fût – comme son nom patronymique l’indique en langue arabe –, fut volontairement retourné en «mécréant tlemcénien». D’autres religieux encore, à la solde du pouvoir en place, jouèrent, à leur tour, sur la même fibre langagière en qualifiant sa poésie de «viande de porc sur un plat chinois».
Pourtant, Afif Eddine, en grand lyrique, chantait l’amour divin à la manière des oudrîtes du premier siècle de l’hégire, en se référant à une imagerie poétique, très simple, de tous les jours et à la portée de tous ses lecteurs. Ni «soufre rouge», ni «pôle divin», ni «je suis la vérité» ou autre périphrase ou qualificatif mystique, n’ont eu droit de cité dans sa poésie. Il fut à l’image d’un musicien d’aujourd’hui qui jouerait une partition «ad libitum», tout en respectant scrupuleusement le tempo.     
Avec tout le recul voulu, on ne peut aujourd’hui s’empêcher de se poser la question suivante : qui a délégué ces «policiers de la religion» pour sévir plutôt que de battre le rappel en faveur de toute bonne cause '
   toyour1@yahoo.fr
 


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