Algérie

AD Gladium



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Par Sarah HaidarLes raccourcis ont parfois du bon car lorsque l'Algérie (et ça lui arrive trop souvent) s'évertue dans un absolutisme de la médiocrité et lorsque rien, sauf un don divin, ne peut expliquer une telle maestria dans la bêtise, on ne peut que verser dans un cynisme agressif devant les laideurs accumulées.En l'espace de vingt-quatre heures, deux événements distincts, n'ayant entre eux aucun rapport logique : la condamnation à trois ans de prison ferme d'un journaliste dénoncé par son propre directeur pour atteinte au Prophôte et une vidéo où l'on voit un jeune homme lâcher son chien sur un enfant”'responsable de la page «Islamyate» dans un quotidien régional de l'Ouest, Mohamed Chergui avait repris l'article d'un chercheur européen sur les expressions coraniques. Il y est recensé les mots d'origine non arabe utilisés dans le Livre-Saint, ce qui est un fait avéré et admis par nombre de théologiens, mais une «coquille» s'est glissé dans l'article accusant le prophôte Mohammed d'avoir écrit lui-même le Coran. Le directeur dépose une plainte aussitôt et le journaliste a été condamné, avant-hier, à trois ans de prison ferme sans même avoir été convoqué à son procès ! Le mis en cause a déclaré à des confrères qu'il avait oublié de censurer le passage incriminé et que le service de correction n'y a pas fait attention non plus ! Ainsi donc, une thèse largement répandue chez de nombreux chercheurs, qu'ils soient européens ou nés musulmans, a paru dans un quotidien algérien mais, curieusement, ce n'est ni Hamadache ni les excités de la charia qui ont mené la cabale, mais un directeur de presse. Ensuite, la justice, celle-là même qui a fermé les yeux sur l'appel au meurtre lancé contre un écrivain, a immédiatement réagi”? L'Algérie, on le sait, aime trop l'islam et son Prophôte ; elle les aime plus que son peuple et ce dernier en est globalement satisfait car même si la vie ici-bas est un interminable calvaire fait d'indignité, d'injustice et de frustrations, une éternité de bonheur lui est promise du simple fait qu'il soit né dans les bras d'une religion élue. Il est donc prêt à éliminer tous ceux qui, en son sein, ne partagent pas cette certitude puisqu'ils peuvent l'empêcher d'accéder à la Récompense suprême. Mais si en théorie cette croyance en un lendemain métaphysique parfait devrait lui procurer la paix et la satisfaction absolues, il n'en est rien en réalité.Les Algériens sont malheureux, inquiets, perturbés car au-delà de l'efficacité de cet anti-anxiolytique qu'est la religion, existe l'inévitable doute, celui qui surgit lorsque les vierges et les fleuves de vin du paradis ne font pas le poids devant l'atroce bassesse du quotidien. Et c'est là que le raccourci s'impose : on peut aisément deviner que l'homme qui a lâché son chien sur l'enfant serait parfaitement d'accord avec la condamnation du journaliste d'Oran ; il aurait également pu figurer parmi les manifestants qui criaient «Kouachi chouhada» au lendemain de la «Une des survivants» de Charlie Hebdo”? Il est donc croyant, comme la plupart des Algériens, imbibés de cette foi paresseuse et angoissée qui représente Dieu comme un rôtisseur et Mohammed comme celui qui peut les sauver de la damnation. Il a été éduqué pour considérer le moindre plaisir non codifié par l'islam comme un motif d'expulsion du paradis futur et une cause de rupture de contrat social. Il a probablement pu embrasser une femme, ou du moins lui tenir la main ; boire des bières de temps à autre ou alors fumer une barrette d'évasion ; s'offrir un plongeon en louchant sur le bikini d'àcôté ou se payer un voyage vers un pays où l'on peut jouir sans honte”? Mais de retour dans son groupe, son quartier, sa tribu, il se reprogrammerait systématiquement dans un langage moral où la femme qui embrasse est une traînée, où l'alcool doit être aboli, où les plages permettant aux femmes de porter le bikini doivent être rasées et où les pays étrangers sont l'incarnation du diable”? De retour dans sa prison, cet homme va donc lâcher son chien sur un enfant tandis que son ami filme la scène avec délectation, tandis que le gosse crie, pleure et supplie, et que le chien semble lui-même choqué par tant de cruauté”'entre le journaliste condamné à trois ans de prison et ce jeune homme s'extasiant de son propre avilissement, il y a une géographie qui s'esquisse. Une nation glorieuse qui triomphera de ses ennemis et qui ira au paradis !S.'h.?




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