Algérie

Accusé d'attenter aux droits des femmes, Ennahda est invité à «se mettre au diapason de la société»



Accusé d'attenter aux droits des femmes, Ennahda est invité à «se mettre au diapason de la société»
Tel que formulé sous l'influence des islamistes Ennahda au pouvoir, l'article 28 du projet de Constitution évoque la « complémentarité » et non l'« égalité » entre les hommes et les femmes au sein de la famille. Les organisations féministes y voient l'annonce d'une remise en cause plus radicale du Code de statut personnel promulgué le 13 août 1956 par Habib Bourguiba. Pour l''universitaire Alaya Allani, les Tunisiens n'abdiqueront pas facilement leurs droits, surtout pas ceux des femmes qui, rappelle-t-il, ne constituent pas uniquement 51% de la population mais aussi une large partie des compétences nationales. Sans oublier, bien sûr, ajoute-t-il, leur contribution à la Révolution du 14 janvier.
Le 13 août 1956, près de six mois après l'indépendance de la Tunisie, le président Habib Bourguiba a promulgué le Code du statut personnel. Le 13 août 2012, jour du 56e anniversaire de la promulgation de ce Code, une imposante marche des femmes tunisiennes a été organisée à Tunis pour dénoncer les tentatives de remise en cause de l'héritage bourguibien en matière de droits des femmes par le parti islamiste Ennahda, aux commandes du gouvernement au lendemain des élections constituantes du 23 octobre 2011. Principale revendication: la révision de l'article 28 du projet de Constitution qualifiant la femme de « complémentaire », et non d'« égale » de l'homme.
Les organisations féministes tunisiennes crient au scandale et accusent Ennahda de remettre en cause les acquis que la loi Bourguiba a institués à leur bénéfice. « Bourguiba a, certes, occulté la question démocratique mais il a réussi à introduire une bonne dose de modernité dans le Code des droits civils. Ce fut, à cette époque-là, une véritable révolution et une première dans le monde musulman », rappelle Alaya Allani, universitaire et enseignant d'histoire à la Faculté La Manouba de Tunis.
Bourguiba s'est notamment appuyé sur des cas de jurisprudence d'érudits religieux tels qu'Abdel Aziz Djait, Tahar Ben Achour et son fils Al Fadel. Parmi les importantes dispositions adoptées sous son règne citons l'interdiction de la polygamie, la soumission du divorce à une procédure judiciaire, le droit des femmes au vote, à l'éducation et au travail dans le respect de la règle de l'égalité des salaires avec les hommes. Des acquis vis-à-vis desquels Ennahda se comporte de façon « floue » voire « ambivalente », estime Alaya Allani : « Après la révolution tunisienne, le discours d'Ennahda à propos du Code du statut personnel a tourné autour de deux axes : d'une part, sa glorification en le considérant comme un effort acceptable de jurisprudence et, d'autre part, l'idée qu'il n'est pas un texte sacré et qu'il est donc susceptible d'être modifiée. »
Un si problématique « article 28 »
Or, c'est cette dernière position qui domine au sein d'Ennahda, dont une bonne partie de la base, fort imprégnée de la pensée salafiste, rejette certains articles de la loi Bourguiba, notamment dans leur aspect inhérent à l'égalité entre l'homme et la femme, relève encore Alaya Allani. D'où la polémique née, dernièrement, concernant l'article 28 du projet de Constitution qui parle de « complémentarité des rôles » entre l'homme et la femme au sein de la famille et que les organisations féministes appellent à modifier de façon à remplacer le terme « complémentarité » par le terme « égalité », voire par « égalité totale » comme suggéré par le président Moncef Merzouki dans un discours prononcé le 12 août dernier à Kobbet Ennhas à la Manouba.
Malgré les assurances de Rached Ghannouchi, président d'Ennahda, et du Chef du gouvernement islamiste Hamadi Jebali, expliquant que la « complémentarité » et l'« égalité » ne sont pas antinomiques, beaucoup d'organisations de la société civile et de partis politiques ont estimé que cette interprétation de l'article 28 était « fausse » et « inappropriée ». Depuis l'indépendance du pays, la femme tunisienne a arraché beaucoup d'acquis, rappelle Alaya Allani : « Elle représente 51% de la population. C'est aussi 70% des chirurgiens-dentistes et plus de 50% du personnel du secteur de l'éducation. Elle est, en outre, présente dans les institutions législatives et exécutives ainsi que dans la Justice. Sa contribution dans la Révolution du 14 janvier 2011 a également été déterminante. » Pour ce chercheur, tous ces combats et les acquis qui s'en sont suivis sont une preuve du degré de conscience citoyenne au sein de la société tunisienne, où le taux de scolarisation net des 12-18 ans tourne autour de 80%. Par conséquent, assure-t-il, il n'est pas question que le peuple tunisien cède sur l'un ou l'ensemble de ses acquis, surtout pas sur ceux arrachés par les femmes.
Lors de la manifestation du 13 août 2012, des slogans anti-Ennahda ont été brandis, ce qui a poussé l'organisation de Rached Ghannouchi à prendre l'engagement d' « étudier » la possibilité de trouver une « formulation consensuelle » de l'article 28 du projet de Constitution. Force est de dire qu'Ennahda a ainsi abdiqué devant la pression de la rue. Le besoin d'une remise en question interne de son discours ainsi que de son approche de l'Etat démocratique civil moderne se fait de plus en plus ressentir.
Les difficiles défis du pouvoir
Ayant raflé la majorité des voix au sein de l'Assemblée nationale constituante, les islamistes ont formé au lendemain des élections du 23 octobre 2011 un gouvernement dirigé par le secrétaire général d'Ennahda, Hamadi Jebali, dans lequel ils détiennent la majorité des portefeuilles. Pourchassés durant de longues années par le régime de Zine Al Abidine Ben Ali, ils « découvraient » le pouvoir, dont l'exercice ne s'est pas avéré aussi facile qu'on le pensait.
Six mois après sa « prise » de pouvoir, Ennahda est confrontée à la colère de la rue tunisienne. Alaya Allani note : « (Il) est aujourd'hui accusé de freiner l'indépendance de la justice, de combattre l'art et l'innovation à travers la proposition d'un projet de loi criminalisant l'atteinte à tout ce qui est sacré. De plus, la lenteur manifestée dans la mise en place d'une commission indépendante des élections en a fait la cible de l'opposition qui le soupçonne d''uvrer à retarder l'échéance électorale prochaine. »
Se basant sur tous ces faits, ainsi que sur sa position concernant l'article 28 du projet de Constitution, des observateurs et analystes politiques prévoient un recul d'Ennahda lors des prochaines élections. « A moins que ses leaders ne se mettent au diapason de la société tunisienne ! », dit l'universitaire tunisien.
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