Algérie

Accrochage du Commando Si Zoubir (Tamesguida, Médéa) Avec le Commando Noir le 22 Mars 1957



Le 21 mars 1957, nous nous trouvions du côté de Lodi- Damiette pas loin de la ville de Médéa. À midi, un agent de liaison vint nous informer que des soldats français se trouvaient au douar Mechmèche. Il nous fallait faire une marche de 6 à 7 heures pour arriver sur les lieux. Nous avons pris le départ à l'instant même. Nous devions faire très attention, car il faisait jour et les appareils ennemis survolaient sans arrêt la région. Il existait un poste militaire, installé au lieu-dit Haouch El-Yassourette (la ferme des petites s'urs de Jésus), à partir duquel les soldats pouvaient nous repérer avec leurs jumelles. Aussi, pour pouvoir traverser les espaces non boisés, nous devions nous résoudre à ramper sur de très longues distances, ce qui était un exercice très éprouvant.
Arrivés vers cinq heures de l'après-midi à proximité du douar Mechmèche, nous apprendrons ainsi de la bouche des habitants que les soldats ennemis avaient pris le large. Cette nouvelle nous a causé une grande déception, car nous estimions que le fait d'être arrivés en retard sur les lieux nous avait privé de l'occasion de déclencher une attaque vengeresse contre l'armée française. De plus, nous sentions que la population du douar ne nous faisait pas un accueil habituel des plus chaleureux, et nous avions parfaitement saisi la raison du comportement des habitants du douar. Les gens estimaient que nous aurions dû arriver plus tôt pour pouvoir affronter les parachutistes qui brûlaient leurs maisons et semaient la terreur et la désolation sur leur passage... Nous ne devions pas tenir rigueur à ces pauvres gens de l'accueil froid, distant et lourd qu'ils nous infligeaient, car nous comprenions leurs souffrances. Les habitants du douar Mechmèche ignoraient bien sûr que la nouvelle de la présence des soldats français nous était parvenue a midi alors que nous étions très loin, et que, pour notre part, nous étions partis sur-le-champ, marchant à pas forcés, faisant ainsi tout ce qui était humainement possible pour pouvoir arriver à temps au douar afin d'accrocher l'ennemi. Hélas, si nous n'avons pas réussi à arriver avant le départ des soldats français, ce n'était pas notre faute de nous être pleinement dépensés pour cela.
Nous nous sommes dirigés vers un refuge situé à 300 mètres du douar. Après avoir mangé un morceau de galette, nous nous sommes allongés par terre pour nous reposer. Le lendemain matin, très tôt, nous avons entendu des cris et des appels : «Les soldats, les soldats.» Enfin nous allions combattre ! Nous nous sentions très heureux de pouvoir &nous acquitter de la «dette» morale que nous pensions avoir vis-à-vis des habitants.
Nous avons été très étonnés de voir la population fuir, alors que nous n'avions pas entendu les bruits des moteurs de camions, de chars ou d'avions. «D'où sont venus les soldats français'», demandions-nous à la population, qui, affolée et prise de terreur, fuyait dans toutes les directions sans nous répondre. Si Moussa nous rassembla en toute vitesse et nous donna des instructions de stratégie que nous devions scrupuleusement respecter, en l'occurrence, garder un intervalle de 100 mètres d'un groupe à l'autre, prendre la direction opposée à celle prise par les civils dans leur fuite. Le point de rendez-vous avait été fixé sur la crête de la montagne de Tamesguida. Si Moussa nous a dit : «Que le premier groupe qui repère l'ennemi l'attaque !» Si Rezki, chef de groupe, demanda à Si Moussa : «Et si les soldats sont trop nombreux'» «Même s'ils sont toute une division, il faudra les attaquer. Et maintenant, courage, mes frères ! Avancez et ayez la foi en Dieu, et qu'Allah soit avec nous!»
Nous nous sommes donc mis à la recherche des soldats ennemis, que nous n'avions pas encore réussi à repérer, et nous nous demandions comment ils pouvaient se trouver en pleine montagne, tout à côté de nous, tout en restant invisibles.
Le premier et le deuxième groupe se trouvaient avec Si Moussa. Nous sommes arrivés au rendez-vous, alors que le troisième groupe ne s'y trouvait pas encore. Si Moussa, haut juché sur la crête, cherchait à repérer les soldats avec ses jumelles. Il ne tardera pas à déceler leur présence dans une clairière, circulant par petits groupes de 5 à 6 soldats, vêtus de djellabas. «Les voilà, ces salauds de parachutistes!», nous dit-il. Toujours avec ses jumelles, il fouilla le décor alentour pour situer la position du troisième groupe de notre Commando. Il repérera ce dernier alors qu'il s'apprêtait à attaquer les paras. Si Moussa nous donna immédiatement de nouvelles instructions. Nous devions, en faisant très attention, descendre en toute vitesse pour pouvoir prendre l'ennemi en tir croisé. Le troisième groupe, commandé par Si Ahmed Khelassi, l'adjoint de Si Moussa, attaqua les paras au moment même où nous sortions de l'oued pour prendre l'ennemi en sandwich. Là-dessus, nous avons entendu des appels et des cris : «Les soldats ! Les soldats !» Surpris par ces appels, nous avons marqué un instant d'hésitation, croyant que l'ennemi se trouvait derrière nous. Comme j'étais l'avant-dernier de la file en sortant de l'oued, j'avais freiné mon élan. Si Moussa, qui fermait notre marche et surveillait nos arrières, se trouvait juste derrière mon dos. Il me poussa des deux mains, en me disant : «Dedans, dedans !» Le troisième groupe, qui avait ouvert le feu le premier sur les paras et se trouvait ainsi sur le point de faire l'assaut, avait reculé en entendant les appels des civils.
Cette hésitation de notre part s'était révélée salutaire pour les paras, qui avaient commencé à prendre la fuite en emportant leurs blessés. Les paras sont partis se réfugier dans la kouba du wâlî Sidi El-Madani, alors que le groupe où je me trouvais était sur un versant de l'oued, tandis que l'autre groupe campait sur le versant opposé. L'embuscade n'ayant pas réussi, l'accrochage a tout de suite commencé. L'ennemi occupait une position de tir meilleure que la nôtre, et nous devions donc faire très attention à ne pas nous exposer lors de nos tirs. Juste à mes côtés, le moudjahid Si Abdelkader Chamouni, de Aïn-Defla, a reçu une balle qui lui a écorché le cou alors qu'il tirait sur l'ennemi. Pour tromper les soldats français, Si Maâmar, serveur de la mitrailleuse FM Bar, tirait par intermittence sur les deux côtés de l'oued pour faire croire à l'ennemi que nous disposions de deux mitrailleuses. Le troisième groupe, celui de Si Ahmed, qui avait une mitrailleuse 24/29 s'était replié, lorsqu'il avait entendu les appels des civils qui criaient: El-aaskar, el-aaskar (les soldats! les soldats!). Par la suite, nous avons constaté qu'il ne s'agissait pas de soldats français, mais des moudjahidine du commando du bataillon de la wilaya IV, qui revenaient avec des armes lourdes récupérées dans l'embuscade de Dupleix (Damous) le 28 février 1957.
Trois moudjahidine et moi-même avions voulu nous glisser dans le fond de l'oued pour attaquer les paras de face, mais ils nous ont vite repérés et ont commencé à tirer sur nous avec des lances V.B. L'opération étant trop risquée, nous avons immédiatement regagné nos places de combat. L'accrochage faisait rage, les paras, qui disposaient d'un poste de transmission radio, ont vite appelé l'aviation à leur rescousse, bien que l'intervention de cette dernière soit complètement inutile, car le brouillard empêchait les pilotes de nous tirer dessus. Une section commandée par Si Nacer de Ahmeur El-Aïn était arrivée pour prendre part au combat à nos côtés. Si Moussa, demanda à Si Nacer d'aller s'installer avec sa section à 100 mètres de la nôtre, avec instruction de ne pas laisser le passage à l'ennemi. Si Moussa, résolu à en finir une fois pour toutes avec les paras, nous ordonna de faire un tir barrage, de lancer nos grenades et de faire un assaut massif sur l'ennemi: «Allâhou Akbar, wal-houdjoûm fî sabîli 'Llâh» (Dieu est le plus Grand! À l'assaut dans la Voie de Dieu!).
À l'intérieur de la kouba du wâlî, nous avons découvert des cadavres de paras, dont celui d'un lieutenant, ainsi que ceux de deux traîtres. Acculés et désespérés, les paras s'étaient vengés sur les deux traîtres. Avant notre assaut, ces derniers furent en effet égorgés et leur tête posée sur des piquets.
Après ce long combat qui a duré du matin au soir, nous avons fait un prisonnier martiniquais, qui portait le grade de sergent-chef. Il avait une carabine U.S avec 120 balles et 12 grenades. Tremblant de peur, il n'arrêta pas de dire à notre chef : «Moussa, Moussa, moi bon, donne des bonbons aux enfants de Blida, moi gentil avec les civils.» Si Moussa lui a ordonné de se déshabiller, puis nous avons commencé à l'interroger. Il nous donna quelques informations et renseignements militaires importants. Si Moussa s'adressa à moi en me disant: «Si Cherif, prépare-toi, tu sais ce que tu dois faire.» J'ai retiré une feuille de mon bloc-notes où j'ai écris: «Si Zoubir n'est pas mort, il est toujours vivant.» Ensuite, Si Moussa ordonna à un moudjahid de charger son fusil de chasse de chevrotines et de tirer à bout portant sur le para martiniquais. Après cela, j'ai glissé ma feuille de papier entre les dents du para.
Ce commando noir de parachutistes était dirigé par le lieutenant Guillaume. Le 21 mars, après leurs opérations au douar Mechmèche, le colonel Bigeard avait demandé des volontaires pour passer la nuit au maquis en contrepartie d'une promotion dans le grade et d'une prime très importante. Il y eut 58 volontaires. Cette opération de prestige visait en fait à démontrer à une délégation de sénateurs américains et français, de passage dans la région de Blida, qu'il n'y avait plus de combattants algériens en dehors de quelques bandes désorganisées de rebelles communistes.
Par la même occasion, les autorités coloniales et l'armée françaises entendaient prouver à la population algérienne que la France était aussi bien maîtresse des maquis que des villes et des villages...
Le commando noir des parachutistes du colonel Bigeard était composé d'éléments d'élite, qui sortaient des écoles de guerre les plus prestigieuses et étaient très expérimentés dans la guérilla, ayant déjà fait leurs preuves lors de la guerre d'Indochine.
C'était du au fait qu'ils étaient bien camouflés, que les habitants du douar Mechmèche n'avaient pas remarqué leur présence. Ils avaient eu l'audace de passer la nuit au maquis, pas loin du douar et quasiment à côté de nous. Ils avaient réussi à tromper la vigilance des moussebiline et des habitants, qui s'étaient ainsi persuadés qu'ils étaient repartis vers leur caserne à Blida.
Après notre victoire sur les paras, toute la population de la région de Tamesguida, Kahahla, Mouzaïa était en liesse, les visages étaient rayonnants, particulièrement dans le douar Mechmèche dont les habitants avaient beaucoup regretté le mauvais accueil qu'ils nous avaient fait la veille. Nous avons pu leur prouver ensuite que nous n'avions pas peur des soldats français.
Du matin jusqu'au soir, les habitants de la région nous ont encouragé, les hommes avec leurs exhortations : «Allâh yansarkoum yâ el-moudjâhidîne» (Dieu vous accorde la victoire, ô moudjahidine!), et les femmes avec leurs youyous; quant aux enfants, ils entonnaient le chant patriotique (nachîd) «Min djibâlinâ» (De nos montagnes...).
Tous pleuraient de joie, heureux d'avoir pu voir la défaite de l'armée française et d'avoir été vengés, par les mains des moudjahidine, pour tout le mal que les paras leur avaient fait subir. Quant aux membres de la population française de Blida et des villes environnantes, surtout les gros colons et les militaires, ils étaient en deuil et pleuraient le commando de paras qui n'est pas revenu.
Nous, les moudjahidine, étions grandement satisfaits d'avoir pu venger notre valeureux chahid Si Zoubir et les 27 étudiants qui avaient trouvé la mort avec lui, ainsi que les civils blessés par le commando noir de paras qui avait semé la terreur dans la région de Medea, Blida, Mouzaïa, Chiffa, El- Affroun... De plus, la population algérienne éprouvait encore plus de joie de savoir que nous avions été la cause de la liquidation des deux traîtres algeriens sanguinaires Kiouaz et Bengalal, qui avaient massacré des civils musulmans.
Nous, les moudjahidine, avions prouvé à la délégation de sénateurs américains et français, que nous existions bel et bien, que nous défendions notre patrie avec acharnement, armés de notre courage et de notre foi, et que nous étions tous résolus à nous sacrifier pour l'indépendance de notre pays.
Plusieurs officiers et sous-officiers avaient été tués, dont le lieutenant Guillaume, fils du général Guillaume, l'ancien résident général au Maroc. Nous avons pu récupérer un poste de transmission radio 303, des caisses de munitions et de grenades, ainsi que plusieurs armes automatiques et des carabines US. La ville des roses était en deuil et pleurait ses paras volontaires qui ne sont pas revenus, abattus par le commando Si Zoubir.
De notre côté, nous ne déplorions qu'un seul mort, Mohamed Bouras, d'El-Affroun, un brave et courageux jeune homme de 17 ans, ainsi que trois blessés: Si Slimane Takarli de Blida, Si Mahfoud, de Khemis El-Khechna, et Si Abdelkader Chamouni, de Aïn-Defla. Après avoir enterré notre chahid, Si Bouras,évacué nos blessés vers l'infirmerie régionale, Si Moussa nous demanda de prendre le départ vers Marengo (Hadjout) et Cherchell où d'autres combats nous attendaient.
Ce fut donc grâce à notre courage, à notre foi en Dieu et à notre sacrifice que nous avons pu gagner la grande bataille de Tamesguida le 22 mars 1957 contre le sinistre commando noir de parachutistes français.


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