Le premier long-métrage d’Amin Sidi-Boumédiène aborde sous la forme d’un polar les traumatismes de la guerre civile algérienne.
Tout bon film devrait ressembler à un labyrinthe où l’on avance à l’aveugle, sans trop savoir ce qui nous attend, et qu’on ne peut jamais parcourir deux fois de la même façon. C’est le cas d’Abou Leila, premier long-métrage d’Amin Sidi-Boumédiène, excellente surprise de la dernière édition « physique » du Festival de Cannes, en mai 2019, où il figurait au programme de la Semaine de la critique.
Sa proposition ample, son cours imprévisible, sa détermination plastique confirment l’appétit de forme d’un jeune cinéma algérien, qui, entre l’aîné Tariq Teguia et les cadets Karim Moussaoui et Hassen Ferhani, convoque une variété impressionnante de stratégies esthétiques pour dire son pays et prendre son histoire à bras-le-corps. Avec Sortilège du Tunisien Ala Eddine Slim, sorti en février, et les longs-métrages spectraux du Libanais Ghassan Salhab, le film s’inscrit dans un néosymbolisme arabe qui contourne les discours trop affirmatifs pour s’en remettre aux puissances de l’image.
Abou Leila part pourtant d’un territoire a priori identifié, qui serait celui du polar, de préférence noir et étouffant. Après un assassinat brutal perpétré dans les rues d’Alger (époustouflant plan-séquence), deux hommes roulent incognito à la lisière du Sahara afin de mettre la main sur un dangereux terroriste, recherché par les autorités et laissant sur son passage un sinistre décompte de corps déchiquetés. Un carton nous l’apprend : nous sommes en 1994, en plein cœur de la « décennie noire », d’une guerre civile faisant rage.
Lofti (Lyes Salem) tient le volant, cache une arme à feu et prend surtout un soin inquiet de son compère passager, dont il semble l’auxiliaire précautionneux. L’autre (Slimane Benouari), jamais nommé, tient à peine debout : blême et nauséeux, il chavire entre veille et sommeil, hanté par des cauchemars intempestifs, mais tenu malgré tout par une soif de vengeance qui semble le véritable moteur du voyage. L’homme qu’ils recherchent se réduit pour eux à pas grand-chose : les quatre syllabes d’un nom vague, Abou Leila, et une photo en noir et blanc dévoilant un visage sombre et buté comme un ciel d’orage.
Visions d’horreur
Dans son premier mouvement, au fil des routes solitaires et des villages traversés, le film esquisse le profil d’une Algérie paranoïaque, semée de tenanciers d’hôtel soupçonneux, de flics inquisiteurs, de villageois calfeutrés et de travailleurs subsahariens gisant çà et là comme un contingent silencieux. Amin Sidi-Boumédiène distille les informations au compte-gouttes, moins pour dérouler une intrigue que pour nous entraîner avec ses héros aux confins du pays, sur cette frontière indistincte où les derniers bastions de la campagne font progressivement place à l’immensité nue du désert, comme une sorte de vortex brouillant la perception même de la réalité.
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Posté Le : 02/06/2021
Posté par : aprincess
Source : https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/07/15/abou-leila-une-traque-paranoiaque-dans-le-desert-algerien_6046223_3246.html