Algérie

Abecedarius : un îlot de paix



Cela se passait du temps où les regards occidentaux étaient constamment braqués sur le sud de la Méditerranée occidentale, et particulièrement sur El-Djezaïr. Il est bien connu qu'à l'époque, le rachat des captifs était monnaie courante sur les deux rives : Livourne, Gênes et autres ports, pour les captifs musulmans vendus en esclavage, et l'Amirauté d'Alger ou le «Badestan», situé au centre de la Casbah, pour les captifs du monde chrétien. Il est aussi de notoriété que les USA, nouvellement indépendants (1776), versaient des droits de passage maritimes à Alger, forteresse qui, durant des siècles, a donné du fil à retordre au monde occidental. Il faut noter aussi que ses gouvernants furent les premiers à reconnaître le nouvel Etat d?outre-Atlantique.Dans ce climat géopolitique tendu, guère propice à la création artistique, du moins pour les pays riverains de la Méditerranée, le grand compositeur italien, Giacomo Rossini (1792-1868), a donné naissance à son premier opéra, L'Italienne à Alger. Il n'avait pas plus de vingt-et-un an lorsqu'il remporta ainsi un succès qui n'a d'égal que celui de son compatriote Giuseppe Verdi (1813-1901, des décennies plus tard.
Le temps était à la guerre, certes, mais c'est le tempérament de Rossini qui a triomphé de bout en bout. Contre toute attente, ce drame, en deux actes, plutôt que d'être sévère et méchant à l'endroit d'Alger, donne un autre visage de celle-ci, tant par la gaieté des différentes lignes mélodiques qui le sous-tendent que par son contenu, censé être un véritable réquisitoire contre la Course en Méditerranée. Il y avait donc quelque chose dans l'air qui disait, qu'après tout, le malheur qui frappait la belle captive italienne, personnage principal de l'Opéra, n'était pas irréversible par rapport à celui que vivait l'Italie, dévastée par les armées napoléoniennes.
Rossini, tout comme son successeur Verdi, était à la recherche d'un thème mobilisateur pour l'unification de son pays. C'est, du reste, une thématique qui se retrouvera dans les opéras de Verdi jusqu'au lancement du mouvement révolutionnaire de Garibaldi (1807-1882) dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Donc, une jeune Italienne tombe captive entre les mains d'un corsaire d'El-Djezaïr, ainsi promise à un destin qui n'est pas sans rappeler celui de Cassandre, la Troyenne : concubine dans quelque harem, à Alger même, ou encore, prendre la mer à destination de la Sublime Porte où elle n'aurait pas la moindre chance d'être rachetée un jour. Son bien-aimé débarque à Alger dans l'espoir de la faire libérer moyennant une forte somme.
C'est là justement qu'intervient cet élément de tactique diplomatique, appelé de nos jours dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. Ne voilà-t-il pas que, grâce à une espèce de passe-passe, la captive italienne se met, en dépit de son malheur, à réconcilier son propre ravisseur avec son épouse et à remettre d'aplomb la vie conjugale de ce dernier.
Il va sans dire que l'on pourrait donner une lecture exclusivement politique de ce drame, mais, considérant le caractère hautement lyrique de l'?uvre de Rossini, on ne peut que souscrire à son propre tempérament empreint, essentiellement, de gaieté comme il l'a prouvé dans ses différents opéras et, principalement, Le Barbier de Séville.
Faut-il rappeler qu'à la même époque, certains grands artistes et écrivains, censés calmer les esprits dans la Méditerranée, étaient plutôt d'un esprit revendicatif et revanchard. Il en fut ainsi du grand prosateur Chateaubriand ( 1768-1848), qui devait prendre les destinées de la diplomatie française et qui écrivait, de bonne guerre peut-être, que les Européens avaient pour mission de faire barrage aux Ottomans pour soustraire Paris et les autres capitales européennes au risque d'être assiégées un jour par les hordes du Sud. L'histoire, en tout cas ses propos, semble se répéter de nos jours. Le génial poète Arthur Rimbaud (1854-1891), n'avait-il pas réussi ? naïvement bien sûr ?, à mettre en relief cet état de fait en clamant : «Je regrette l'Europe aux anciens parapets».
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