Algérie

Abecedarius : En guise d'élégie


Une fois, c’était dans les années soixante-dix, au sortir de l’éclatante Damas. Je m’en revenais de Baghdad que j’avais laissée à la merci d’un vent chaud tourbillonnant, appelé «khamassin» qui m’avait carrément cinglé le visage durant les premiers jours d’avril. Tout juste au sortir de la capitale ommeyade, dans la voiture qui devait m’emmener vers Beyrouth, j’ai demandé au chauffeur : «Qu’est-ce que ce cours d’eau '» «C’est Barada», me répondit-il sur un ton de fierté et de grandeur d’âme. Et moi d’enchaîner alors : «A toi, Damas, des salutations plus douces que l’eau de Barada !» En fait, je ne faisais que répéter le prélude du fameux poème élégiaque d’Ahmed Shawqi (1868-1932), composé en l’honneur de cette grande ville après son bombardement par l’armée française en 1925. Ce poème, on le sait, a été depuis mis en musique par Mohamed Abdelwahab, et repris par tous les chanteurs du monde arabe. Le verdoyant Barada laissa ensuite place à une nature luxuriante tant chantée par les poètes depuis l’époque des Ommeyades. Et même si je ne voyais plus trace de la fameuse «ghouta» du prince Hicham Ibn Abdelmalik, une espèce de jardin naturel qui avait symbolisé la grandeur de sa dynastie, la nature est restée intacte. Parvenu au sommet d’une crête, le chauffeur s’arrêta net sous un opulent olivier pour s’y abriter, le temps qu’un hélicoptère militaire israélien fasse un petit détour et se lance en direction de la plaine de la Bekaa, à l’intérieur du Liban. Eh bien, ces instants, je me les remémore aujourd’hui en suivant, comme tout le monde, le déroulement des événements en Syrie. Et je ne puis que me dire : pourquoi tout ce pandémonium, mon Dieu ' Les Arabes, n’ont-ils pas encore fini avec cette notion affreuse de gouvernance, celle qui les amène à ne pas céder place ' La deuxième fois, c’était dans la ville de Taïz, au sud du Yémen, en septembre 1987. Je m’étais mis, à l’approche du crépuscule, sous un grand arbre, mi-platane, mi-eucalyptus, dans le jardin d’un somptueux hôtel surplombant une grande partie de la ville. J’avais alors l’intention d’exécuter quelque aquarelles, tant les couleurs m’avaient semblé insolites : un bleu cobalt mêlé à un violet léger, à faire danser tout l’attirail d’un Claude Monet. Au guide qui attendait un signe de ma part pour aller «vadrouiller dans la ville», je fis signe de patienter quelques instants encore. La couleur autour de moi était vraiment prenante et les sons qui montaient un peu de partout se jumelaient à elle merveilleusement. Bien que le Yémen était alors partagé en deux, le Nord et le Sud, on ne sentait rien de cette dichotomie géopolitique, peut-être parce qu’elle était fictive ou imposée par certains politiciens pour leur propre compte. Le guide finit par me dire : «Et si on montait en direction de la deuxième partie de notre ville '» Celle-ci était en fait juchée sur une haute montagne de laquelle commençait à briller des lumières et qui avoisinait les étoiles. La politique triomphant en moi, je lui ai demandé : «Ce doit être la partie la plus pauvre de Taïz !» Et lui de me répondre du tac au tac : «Détrompez-vous, mon ami. Il s’agit de la partie la plus riche. Ceux qui cultivent le gat vivent là-haut dans l’opulence.» Me voilà à revivre ces instants merveilleux, après tant d’années, tout en m'interrogeant sur ce qui se passe au Yémen : c’est la même rengaine, n’est-ce pas ' Il faut qu’il y ait toujours des gouvernants dans ce monde arabe pour se cramponner mordicus au pouvoir, au point de mettre leur pays à feu et à sang, et de donner ainsi l’occasion à des interventions étrangères !
 
toyour1@yahoo.fr