Algérie

Abecedarius : Cadran d'horloge



Avec le cinéaste suédois Ingmar Bergman (1918-2009), on est vite versé dans un monde où l’on va directement vers «l’écorce des choses», pour reprendre une expression de l’écrivain Michel Butor. Toutefois, ce monde, à peine est-il ébauché, qu’il s’évanouit, peut-être parce que son auteur le voudrait trompeur en raison d’une intimité toute particulière.
En effet, on a l’impression de se rêver différent. Mais, en vérité, on assiste à un tête-à-tête avec la vie et la mort à la fois, même si on ne recueille, en fin de compte, que quelques images évanescentes. Ainsi en est-il de son film culte, "Les fraises sauvages", réalisé en 1957.
Intelligemment, Bergman nous met aux prises avec un vieux professeur d’université qui est là à effeuiller des souvenirs de jeunesse, donc, un pan important de ses débuts dans la vie. Au fur et à mesure, on se prend de sympathie pour ce professeur et pour son univers particulier, quelque peu verlainien, tant il est truffé de sensations et d’images à même de provoquer notre émoi d’une manière inexplicable. Pourquoi avoir attendu le crépuscule de sa vie pour régler ses propres comptes ' Et pourquoi toute cette indulgence de sa part alors que sa vie, malgré lui, avait pris, dès le départ, une tout autre bifurcation' En dépit de tout ce qui le triture, le professeur, âge oblige, se tient calme l’espace d’un voyage en voiture le menant vers l’université où il a enseigné sa vie durant. Il a un souffre-douleur en la personne de sa belle-fille qui le connaît profondément pour avoir expérimenté, elle aussi, les mêmes déconvenues amoureuses que lui et tente, ainsi, de rectifier le tir de sa vie ainsi que celui de la sienne. Par des prises de vue d’une grande hauteur poétique, Bergman se signale à nous, indirectement, comme un homme, hanté lui aussi, par sa première jeunesse, donc, par son avenir : un cadran d’horloge sans aiguilles qui rappellerait certaines peintures surréalistes, comme si la notion de temps, en tant que telle, serait à l’origine de tous ses échecs et de ses éventuelles réussites. Sur ce chapitre, Bergman reprend toute l’histoire de l’être humain qui a toujours considéré que le temps est un adversaire à ne pas négliger dans l’ici-bas. Il ne voudrait pas, il ne pourrait pas «suspendre le vol du temps» à la manière des romantiques. Il succomberait, en revanche, à l’idée que le temps finirait par terrasser l’homme à l’image même de ce qui est fait mention dans le Saint Coran : «Seul, le temps nous fait périr» ! Ce film, très significatif dans l’œuvre de Bergman, anticipe déjà sur sa vie de réalisateur qui devait, une quarantaine d’années plus tard, faire un voyage, comme celui de son protagoniste, mais durable celui-ci, pour aller vivre presque en ermite dans une petite île suédoise isolée, appelée Faro. Dans Les fraises sauvages, il aura donc réglé, avant terme, de vieux comptes avec son paternel. Il devait le faire encore, par la suite, dans ses mémoires, sur un ton plutôt acerbe, surtout, dans les premières pages. Pourtant, Bergman ne répond pas à une impulsion passagère. C’est pourquoi, en se livrant aussi vertement, il nous autorise de la sorte à faire différentes lectures de son psychisme, formidablement rendu à l’écran, et nous permettrait de dégager de nouvelles approches pour comprendre  certains cheminements dans la vie. En somme, Bergman a écrit sa propre vie au travers de sa filmographie, faisant ainsi sienne l’idée du grand poète américain, Ezra Pound (1885-1972) : «Si nous n’écrivions jamais rien d’autre que ce qui est déjà compris, le domaine de l’entendement ne grandirait jamais». toyour1@yahoo.fr
 


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