Algérie

Abécédarius : A main levée



Il suffit parfois de quelques mots, apparemment décousus, ou encore d'une seule onomatopée jetée en l'air dans un moment de joie ou de tristesse, pour faire une belle chanson de rien du tout, mais qui fait son chemin pendant des décennies. De même qu'il suffirait d'une petite ligne mélodique pour graver une telle chanson dans l'esprit de ceux qui l'écouteraient et qui la répéteraient au gré de leur quotidien. Il en est ainsi de Be bop Lola du rocker américain Gene Vincent, à  la fin des années cinquante du siècle dernier, de Tutti Frutti, du chanteur noir devenu pasteur, Little Richard, de Didi de l'Algérien Cheb Khaled… Et la suite est longue à  travers le monde. Saura-t-on jamais un jour comment naît un tube ou une effusion poétique lyrique ' C'est comme un rocher dévalant d'une montagne et que rien n'arrête, ou comme le cours d'une rivière à  qui on ne demanderait pas le pourquoi de son chemin. On croit que l'auteur de telle chanson, ou de tel poème, s'est isolé quelque part, à  la recherche de l'inspiration ou pour que tout lui tombe du ciel en un moment inattendu. Cela nous rappelle bien comment le chantre de la poésie arabe, Al Mutanabbî (915-965), prenait ses adversaires poétiques à  contre-courant : «Je dors, les yeux bien fermés, alors que mes concurrents cavalent, nuit et jour, se chamaillent, pour tomber sur l'idée juste qu'il faut développer». Question de maîtrise oblige ! Bien sûr, parfois, on mène la vie dure à  de telles chansons ou à  de tels poèmes. A titre d'exemple, l'histoire du rock n'roll en Amérique nous renseigne sur les coups de boutoir endurés par ceux qui débitaient, dans un rythme endiablé, ces bouts de mots, insignifiants bien sûr à  l'époque, aux yeux d'un certain puritanisme qui se voyait menacé par le comportement d'une génération débridée. De même que les tenants d'une  ligne éditoriale figée en matière de poésie n'apprécièrent guère les poètes de la génération des beatniks comme Carl Ginsberg et ses pairs. Toutefois, ce qui n'était pas du goût de certains, a fini par triompher, provoquant ainsi toute une recherche socioculturelle très poussée dans le monde des universitaires et des sociologues. Ce n'est pas Al-Mutanabbî qui pouvait àªtre contredit par des adversaires à  qui il disait ostensiblement : «Pourquoi ne comprenez-vous pas ce que je fais» ' Et ce n'est pas également Abou Tammam (804-845) qui pouvait revenir sur certaines de ses compositions poétiques où il est parfois question d'une imagerie à  dérouter rhétoriciens, comme poètes, tant celle-ci sortait de l'ordinaire.
Faut-il donc croire que ces chansons et ces poèmes, quelque peu hermétiques, n'ont pas de structure à  la base ' Le Be bop Lola de Gene Vincent n'est pas lancé dans l'air sans calcul préalable, de même que le Didi de Cheb Khaled ou certains poèmes d'Abou Tammam et d'Al-Mustanabbî, ou même le fameux "Never more" d'Edgar Alan Poe dans son prestigieux poème «The raven». Il en est ainsi de tout autre cri artistique qui viendrait déchirer le voile de notre silence et de notre quiétude. Rien n'est gratuit en matière de création artistique et littéraire. Tout se fait à  main levée, c'est-à-dire volontairement et avec maîtrise.   toyour1@yahoo.fr
         
 


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