Algérie

Abderrezak Dourari. Directeur du Centre National Pédagogique et Linguistique pour l'Enseignement de Tamazight (Cnplet) «La sauvegarde des variétés de tamazight est un devoir de citoyenneté»



Abderrezak Dourari. Directeur du Centre National Pédagogique et Linguistique pour l'Enseignement de Tamazight (Cnplet) «La sauvegarde des variétés de tamazight est un devoir de citoyenneté»

Abderrezak Dourari, professeur des sciences du langage et directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight (Cnplet) estime que la sauvegarde des variétés de tamazight dans leur ensemble est une nécessité nationale identitaire et culturelle, autant qu’elle est un devoir de citoyenneté.


«L’enseignement de cette langue polynomique, dit-il, est un facteur important de sa sauvegarde s’il est embrayé/pensé sur/à partir de la réalité sociolinguistique et non pas sur des mythes de résurrection/généralisation plus désirée que réaliste». Entretien.

- Quelles sont les variantes locales du Tamazight menacées de disparition ? Qu’est-ce qui est fait aujourd’hui pour éviter cette
sentence ?

Tamazight existe sous la forme de plusieurs variétés régionales assez différenciées au plan sociolinguistique, mais en même temps assez comparables au plan structural. Ces variétés se répartissent selon deux grandes catégories : les variétés Sanhadja et les variétés Zenata.

La variété zenatia de Tlemcen et de Bousemghoun ainsi que la variété Tagragrant de Ouargla sont de moins en moins parlées et risquent évidemment à la longue de disparaitre. Seulement le chaoui, qui est une variété de zenatia, ne semble pas être inquiété pour l’instant du fait précisément qu’il garde une grande partie de ses locuteurs natifs qui le pratiquent encore dans les situations sociolinguistiques qui sont les siennes.

Le mozabite, lui aussi faisant partie de la famille zenatia, semble se porter comme un charme, puisque au M'zab tout le monde le parle depuis la naissance jusqu’à la mort, en dépit de sa présence dans un milieu arabophone plus nombreux démographiquement. La singularité culturelle et religieuse des locuteurs mozabitophones le prémunit. Aujourd’hui rien n’est fait contre le processus de déperdition progressive de ces variétés menacées.

Bien plus grave, aucune recherche n’est faite pour estimer statistiquement la force effective de ces variétés, du fait que le champ de la recherche en sciences sociales et humaines, notamment les sciences du langage, est mis sous pression des autorités universitaires et ministérielles et complètement disloqué en départements facultaires devenus des compartiments aveugles sur le contexte sociolinguistique général dans lequel ils évoluent.

Le chacun pour soi est privilégié : tamazight, pour tamazight et pour la région de localisation des départements, l’arabe pour l’arabe, le français pour le français, et la notion de sciences du langage est devenue un exercice de bureau …

- L’enseignement de ces langues à l’école peut-il contribuer à leur sauvegarde ? Comment cela se passe-t-il ?

La sauvegarde des variétés de tamazight dans leur ensemble est une nécessité nationale identitaire et culturelle, autant qu’elle est un devoir de citoyenneté. C’est d’ailleurs cela qui devrait constituer la première visée de la future académie. L’enseignement de cette langue polynomique est un facteur important de sa sauvegarde s’il est embrayé/pensé sur/à partir de la réalité sociolinguistique et non pas sur des mythes de résurrection/généralisation plus désirée que réaliste.

Mais, il est loin d’être le seul ou le plus performant en la matière. D’ailleurs tamazight n’a pas été enseigné jusque-là et a même été contrarié dans son existence, mais n’a pas disparu pour autant ! Des recherches devraient aider les locuteurs natifs à pouvoir s’exprimer et dire les choses de la vie quotidienne dans leur langue maternelle.

Un enseignement en langue maternelle devrait pouvoir être entrepris à l’école dans les premiers paliers de scolarisation qui permettraient un apaisement psycho-affectif et garantir une continuité psycho-cognitive de l’enfant dans son contact avec ce milieu social plus large que sa propre famille ou son quartier constitué par l’école et ses langues de savoir.

- Le tamazight apparaît comme hyper dialectisé, cela peut-il constituer un «problème» ?

La dialectalisation est un phénomène naturel que connaissent toutes les langues de la planète, y compris celles de grande diffusion du savoir. La taille du territoire sur lequel une langue est parlée a une influence certaine sur le maintien de son homogénéité. Le principe en est que plus on s’éloigne d’un centre d’utilisation intense d’une langue, plus on constate un relâchement dans l’observation de sa norme de départ et de référence.

La coprésence de langues plurielles, comme c’est le cas chez nous dans le Maghreb, implique une interaction entre ces langues et une évolution des normes ou tout simplement une prévalence progressive et relative d’une langue sur une autre selon des domaines d’usage privilégié, pour des motifs de simplification/ amplification de la communication entre locuteurs en transaction quotidienne.
Est-ce un danger ?

Je ne le pense pas, à moins de s’enfermer dans une représentation muséographique de l’humanité et de la culture, conservatisme intenable dans une humanité mondialisée et saturée de communication.

- Se dirige-t-on vers une langue amazighe standard ?

A quoi cela servira-t-il ? Les sociétés à dominante musulmane sont angoissées par le pluriel. Peut-être est-ce le monothéisme qui entraîne une vision de l’un antinomique avec le multiple et en toute matière ? Quelle fonctionnalité peut-on imaginer pour une langue amazighe standard dans un marché linguistique algérien et maghrébin où foisonnent des langues de grande diffusion scientifique et notamment dans un pays aussi grand que l’Algérie.

Le Maroc voisin a essayé d’unifier ce qu’il avait appelé «l’amazigh standard» partant des trois variétés marocaines, mais ne semble pas avoir réussi une expérience enthousiasmante en la matière.… Mon scepticisme procède d’un rationalisme froid et non subjectif, mais l’on a vu dans l’histoire une subjectivité devenir objective.

La future académie devrait travailler prioritairement à sauvegarder les variétés de tamazight telles qu’elles sont parlées par leurs locuteurs natifs, plutôt que de se perdre dans des conjectures relevant plus de l’idéologie unificatrice que de la demande sociétale.

- Assiste-t-on aujourd’hui à un regain d’intérêt des Algériens envers leur identité berbère ?

Je crois pouvoir déceler un retour à une valorisation de soi, de l’algérianité, de sa culture, de ses origines, de son histoire, après avoir été longtemps soumis au discours agressif et dominant du pouvoir et de l’Etat, à travers tous les moyens de diffusion de masse et des appareils idéologiques d’Etat, instituant une haine de soi et une aliénation culturelle et linguistique qui ont mené au désastre culturel et intellectuel algérien que l’on connaît.

Je cite, entre autres, la prépondérance du discours islamiste wahhabite, ayant engendré le terrorisme des années 1990, et de l’arabisme négateur de l’histoire amazighe du Maghreb. On se revendique plus volontiers aujourd’hui de l’amazighité et de l’algérianité qu’avant.




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)