Algérie

Abderrezak Bouhara (Vice-président du Conseil de la nation) : « Repenser profondément les modes de scrutin »



Abderrezak Bouhara, vice-président du Conseil de la nation, surnommé l’idéologue du FLN, brillant officier militaire, ancien ministre sous Boumediène et membre des instances dirigeantes du vieux parti jusqu’au 7e congrès de 1998 sans cesser de jouer un rôle de « militant rassembleur » au sein d’un FLN déchiré, revient ici sur la problématique de la représentation démocratique et la nécessité de réviser les modes électoraux.


Vous avez à maintes reprises souligné la faiblesse de la représentation de la société civile et de ses courants dominants au sein des institutions. Quels seraient, selon vous, les indices les plus marquants de cette insuffisance ?
Il est un lieu commun de dire que la souveraineté populaire constitue, avec la souveraineté nationale, un des fondements d’une bonne gouvernance. Il est également admis que l’exercice de la souveraineté populaire est tributaire de la qualité de la représentation de la société au sein des institutions de l’Etat. Qu’en est-il de cette représentation dans notre pays ? S’agissant de l’institution présidentielle, les élections du 8 avril 2004 sont un indicateur intéressant de l’évolution de cette représentation. Le bon déroulement de ce scrutin et la libre expression des suffrages, qui l’ont caractérisé et les résultats incontestables qui l’ont marqué, ont permis à notre pays de faire un pas appréciable en matière de représentation démocratique. Quant aux autres institutions de l’Etat, au niveau national et local, les rendez-vous électoraux de 2007 offrent une opportunité pour remédier aux faiblesses qui réduisent leur sphère de légitimité. Pour atteindre cet objectif, il me paraît opportun de repenser, de matière profonde, les modes de scrutin, les procédures d’investiture et d’homologation des candidats ainsi que la nature et le statut de l’élu. Le scrutin de liste à la proportionnelle en vigueur pour les élections législatives a révélé certaines limites. La tendance à une plus grande démocratisation de la vie publique ne justifie plus son maintien. Ses résultats ont démontré qu’il est, parfois, difficile de faire la différence entre une élection et une cooptation. Son maintien ne peut avoir de justification que dans la mesure où les partis politiques ont atteint un haut niveau de fonctionnement démocratique et sont porteurs d’un projet soutenu par un réel courant d’opinion au sein de la société. Ce qui n’est, malheureusement, pas encore le cas, à mon avis, pour tous les partis. Même si c’était le cas, l’expérience dans d’autres pays montre que ce mode de scrutin a été soit abandonné, soit modifié. La proportionnelle avec un vote préférentiel, le scrutin uninominal, le scrutin de listes majoritaires sous ses différentes formes et la combinaison des trois constituent autant d’alternatives à prendre en considération. L’investiture des candidats aux élections, telle qu’elle est pratiquée, réduit considérablement l’intervention des électeurs dans le processus d’émergence des candidatures. A cet égard, l’exigence des 75 000 signatures pour tout candidat à l’élection présidentielle, indépendant ou investi par un parti, est une référence intéressante pour les autres élections. La procédure contestée et contestable de candidatures établies en vase clos par des petits groupes, où les premiers de la liste sont connus d’avance comme étant de probables élus, décrédibilise les élections et discrédite toute pratique démocratique. Concernant la nature et le statut du mandat de l’élu, la question du mandat impératif demande un examen attentif. Faut-il l’interdire afin d’ouvrir la voie au mandat libre ? L’élu est-il un simple fidéicommis, une personne qui se résigne à déléguer, à un parti ou à un groupe, une mission qui lui a été personnellement confiée par des électeurs ? Quelles sont les limites de l’intervention du parti dans le mandat de l’élu ? Comment assurer la représentation des opinions sans pour autant prendre le risque d’ouvrir la voie à une forme de dictature d’une fausse majorité ? Des questions auxquelles il faut trouver des réponses.
Vous avez appelé à stimuler la pratique démocratique au sein des partis. Pensez-vous que cette dynamique serait en panne ?
Les règles de fonctionnement démocratique d’un parti ne peuvent se confiner, de manière exclusive, dans des considérations organiques internes. Tout parti doit prendre en charge l’idée fondamentale selon laquelle il constitue un espace qui participe à la décision citoyenne. Les cercles dirigeants des partis doivent abandonner la procédure, arbitraire, de sélectionner les candidats aux élections. Cette faculté revient aux militants en association avec les secteurs les plus larges et les plus représentatifs de l’électorat. Les partis, qui se réclament de la démocratie, gagneraient à organiser des primaires conjointes, regroupant des militants, des sympathisants et d’autres électeurs. Sur un autre plan, les partis sont appelés à contribuer au développement de la pratique démocratique dans le pays. Certains partis devraient cesser de focaliser leur énergie sur les sentiers battus des débats organiques, stériles et interminables. Il conviendrait également d’abandonner les vieux schémas d’organisation. Vieux schémas défendus sous le prétexte de la fidélité au passé du parti, et qui favorisent la persistance de comportements traditionalistes et carriéristes qui entravent les efforts de changement. En conséquence, il est indispensable d’opter pour une structuration assouplie et rénovée, afin de permettre aux groupes sociaux d’établir des canaux d’expression efficaces pour leurs aspirations et leurs préoccupations. Il importe que les partis se consacrent résolument et sérieusement à la mise en œuvre d’une véritable démocratie délibérative orientée sur des thèmes liés aux préoccupations des populations. C’est ainsi qu’on pourra formuler des orientations publiques en rapport avec leurs attentes. Il est surtout temps pour certains partis, tout particulièrement le FLN, de se libérer des clivages régionalistes. Clivages hautement préjudiciables à l’unité du pays et à la cohésion nationale et qui servent comme technique pour parvenir aux postes de direction et/ou s’y maintenir. Ils sont entretenus par des groupes qui se sont autoproclamés représentants d’entités régionales qui nous ramènent paradoxalement aux Igamies de l’époque coloniale. Ces groupes, qu’il est permis de qualifier d’usurpateurs, se sont autoproclamés, au mépris de toute légitimité démocratique et historique, représentants de l’Est, de l’Ouest, du Centre ou du Sud. L’instauration d’élections démocratiques devrait mettre fin à de tels comportements. Les partis sont appelés à assumer leurs responsabilités en matière de développement de la conscience politique des populations, de la formation de l’opinion publique et de défense des intérêts des catégories sociales qu’ils entendent représenter. Ce qui ne peut se faire que dans la mesure où ils s’affranchissent de l’influence du pouvoir et de l’argent. J’entends par pouvoir d’argent les hommes ou les milieux financiers qui deviennent de véritables « décideurs » au sein d’un parti. Je ne vise pas ceux qui, de bonne foi, participent au même titre que les autres citoyens aux activités partisanes. On peut ainsi constater que des candidatures aux élections seraient, selon certains témoignages qui restent à vérifier, payées à prix d’or. Ce qui est un acte de corruption. Je soutiens à cet égard les mesures prises par le secrétaire général du FLN d’initier une enquête sur les anomalies qui ont entaché les élections au Conseil de la nation. Les tchorbadji badji (intendants de l’époque des janissaires tenant le monopole de la grande marmite des soldats et qui finissent par devenir des décideurs) des temps modernes doivent être pourchassés. L’immixtion des hommes d’affaires véreux dans la prise de décision des partis signe la fin de toute pratique démocratique et ouvre la voie à une oligarchie de la pire espèce.
Quels liens établissez-vous entre « démocratie participative » et représentation de la société ? Quelles seraient les raisons d’un éventuel déphasage sur le terrain entre ces deux principes ?
La démocratie représentative et la démocratie participative ne sont pas antinomiques mais complémentaires. La question de ces deux mécanismes démocratiques est d’actualité et fait l’objet d’une prise de conscience remarquable aussi bien au sein de l’Etat que dans la société. L’exercice de la souveraineté populaire dépend largement de l’interaction de trois acteurs : le pouvoir de la majorité, la société civile et la société politique. Cette interaction, pour être utile, implique une autonomie d’action de chacun des trois acteurs. Cela revient à dire que le pouvoir majoritaire issu de la représentation nationale rejette toute domination oligarchique. Cela revient également à dire que la société civile organisée n’est pas une annexe des partis ou des pouvoirs publics. Et les partis, au gouvernement ou dans l’opposition, ont pour vocation de défendre leur programme avec comme préoccupation permanente l’expression des aspirations des catégories sociales qu’ils entendent représenter. Les partis sont appelés à s’affranchir des influences qui les éloignent de leur ligne politique quelle que soit l’origine des pressions. S’agissant de la démocratie participative, il est possible de permettre au citoyen de contribuer à l’élaboration de certaines décisions nationales ou locales ainsi qu’à leur adoption et leur mise en œuvre. Une contribution effectuée dans le cadre d’une concertation réglementée entre les institutions de l’Etat et les organisations sociales. Il s’agit de véritables ponts entre les structures représentatives nationales et celles des collectivités locales, d’une part, et les représentants de la société civile, d’autre part. Il est possible d’imaginer, par ailleurs, la mise en place de comités populaires de villages et de quartiers, élus indépendamment des partis. La contribution du citoyen pourrait également s’effectuer avec le recours aux technologies modernes : Internet offre la possibilité de constituer un extraordinaire support plébiscitaire, rapide, efficace et peu coûteux.
Suffit-il, selon vous, de revoir la gestion des instances locales pour répondre à ces insuffisances ?
La question de la représentation est un tout, elle s’inscrit au plan national et local. La souveraineté populaire ne peut s’exercer de manière limitative dans l’espace. Elle s’exerce dans tous les secteurs d’activité de la vie nationale. Sans une politique audacieuse de décentralisation et de déconcentration du pouvoir de décision, la réalisation des projets de développement continuera à connaître les lenteurs et les retards qui la caractérisent actuellement. La démocratie locale implique une intervention à deux niveaux. En premier lieu, il s’agit de prendre les mesures qui conviennent pour l’émergence d’élus représentatifs de la population, jouissant de l’autorité morale qui leur permet d’être à l’écoute des citoyens et de se faire entendre par eux et suffisamment compétents pour prendre en charge les missions de développement local. En second lieu, l’administration locale doit poursuivre son processus de réforme : moderniser les services administratifs, économiques, sociaux et culturels au niveau des wilayas et des communes et de leur assurer un encadrement de qualité. Il convient de rappeler que le mode de scrutin actuellement en vigueur au niveau des communes constitue une véritable entrave au bon fonctionnement des assemblées populaires communales (APC). Je crois savoir que le ministère de l’Intérieur envisage de le modifier. Je crois également savoir que des partis souhaitent un changement profond des codes de la wilaya et de la commune. Tout concours donc a des réformes importantes de l’administration locale.

Bio expresse

Né en 1934 à Collo (est du pays), Abderrezak Bouhara interrompt en 1955 sa classe de terminale section mathématiques élémentaires au lycée d’Aumale, à Constantine, pour rejoindre l’Armée de libération nationale (ALN) d’abord comme djoundi, puis comme chef de groupe dans la zone des Aurès-Nememchas. Il est sous les ordres du colonel Boumediène aux frontières Est, à la tête d’un bataillon et sera l’un des premiers officiers de l’ALN à rentrer à Alger à la veille de l’indépendance en 1962. Il poursuit sa formation à l’Ecole militaire de Homs, en Syrie, il en sortira major de promotion. Il obtient une licence en sciences militaires de l’Académie de guerre du Caire et sera désigné comme premier officier de l’ANP en stage à l’Ecole d’état-major de Paris. Successivement, il est aide de camp du président Ben Bella en 1962, chef d’état-major de la 3e Région militaire à Béchar en 1964, attaché militaire aux ambassades de Paris (1965) et de Moscou (1968), entrecoupant cette période par le commandement de la brigade algérienne en mission dans le canal de Suez lors de la guerre israélo-arabe de 1967. Il occupe ensuite le poste d’ambassadeur à Hanoi pendant les bombardements américains sur cette ville et devient wali d’Alger en 1975. En 1977, il met fin à sa carrière militaire avec le grade de lieutenant-colonel. Il sera ministre de la Santé en 1979 et occupera divers postes de dirigeant au sein du parti du FLN jusqu’au 7e congrès en 1998. Membre du Conseil de la nation depuis janvier 2004. Il est l’auteur notamment d’un livre autobiographique Les viviers de la Libération paru aux éditions Casbah en 2001. (source : http://colliotte.free.fr/personnalites.htm)


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