Algérie

Abderrazak Makri



Abderrazak Makri
Le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP) rompt avec la politique participationniste de ses prédécesseurs et installe résolument son parti dans le camp de l'opposition.- Quel bilan dressez-vous de la manifestation du 24 février contre le gaz de schiste 'Je pense que c'est un grand succès, au regard des objectifs que nous avions assignés à cette action. Pour nous, sortir dans la rue est une façon d'impulser une dynamique politique pour faire bouger les choses, donner du courage aux citoyens et essayer, en quelque sorte, d'éveiller les consciences.La finalité est de dire aux Algériens que le changement pacifique est possible et qu'il faut s'y mettre. La situation politique, ces dernières années, est en effet figée. Il y a une sorte d'anesthésie mentale qui s'est emparée des Algériens à cause des tragiques événements qu'a connus l'Algérie. Chacun craint légitimement pour la sécurité du pays et la sienne naturellement. Mais aujourd'hui, il faut agir, sinon cette instabilité qu'on redoute tous va s'installer.Si on laisse le pouvoir faire ce qu'il veut, il va irrémédiablement nous mener à un véritable péril. L'Algérie vit de la rente et celle-ci s'amincit jour après jour. Tout le monde parle de l'affolement du pouvoir face à la chute brutale des cours du pétrole. La situation est hélas beaucoup plus grave, puisque l'on assiste, depuis 2006, à la décrue de la production du gaz et du pétrole et nos réserves reculent depuis vingt ans.- Est-ce une menace pour le pouvoir 'C'est surtout une menace pour le pays ! C'est pourquoi, nous, en tant que partis de l'opposition, nous avons le devoir, voire l'obligation, de bouger, de sensibiliser et d'alerter l'opinion publique pour créer un nouveau rapport de forces à même de contraindre le pouvoir à dialoguer pour un changement dans l'intérêt de l'Algérie. Et s'il campe sur ses positions, qu'il sache que nous sommes en train de créer, aux Algériens, une opposition crédible qui pourra contenir la situation en Algérie, si le régime venait à s'effondrer. De ce point de vue, je pense qu'on a franchi un pas essentiel. Le 24 février dernier est pour moi la deuxième journée historique de l'opposition après la conférence de Mazafran.- Surtout qu'il y a eu des actions simultanées dans beaucoup de wilayas?Effectivement, c'est la première fois depuis l'indépendance qu'il y a eu des manifestations politiques dans les 48 wilayas ; c'est du jamais vu ! C'est la première fois que l'opposition arrive à coordonner ses efforts pour des actions unitaires de cette envergure. Nous avons franchi le mur de la peur et c'est très important. Cela a été aussi un moment d'entraînement pour nos militants. Je retiens d'ailleurs cette image magnifique des militants de nos partis qui coordonnaient et encadraient les actions sur le terrain dans toutes les wilayas.- Pour autant, la réaction du pouvoir a été une fois de plus brutale, voire expéditive, comme ce fut le cas à Alger. Pourquoi, à votre avis, abat-il sa main lourde 'Cette réaction montre tout simplement la fragilité du pouvoir et sa crainte. Il n'a plus confiance en lui-même, donc, forcément, il craint que les Algériens retrouvent une opposition crédible. Les Algériens affichent deux postures : soit ils se taisent et cèdent à leur pessimisme ambiant, soit ils revendiquent de manière énergique en usant même de la violence.Mais, le 24 février, nous avons tracé une nouvelle ligne politique et proposé une nouvelle pédagogie politique qui consiste à résister pacifiquement. Je dirais même que nous avons peut-être dessiné une nouvelle ligne de conduite politique dans tout le monde arabe, à l'exception de la Tunisie où elle a déjà fait ses preuves. C'est une voie médiane que nous proposons entre les tentations radicales de certains qui veulent le chaos et d'autres qui affichent une attitude très méfiante à force d'être terrorisés.- Vous et vos partenaires de la CNLTD avez été accusés de porter atteinte à l'unité nationale et de chercher à provoquer le chaos à travers ces manifestations publiques?Ce sont d'anciennes chansons qui ne valent rien du tout ; un vieux disque qu'on ressort à chaque fois comme au bon vieux temps du parti unique.- Amar Ghoul, votre ancien compagnon, a même qualifié d'«irresponsable» votre décision d'organiser une marche. Un commentaire 'Ce qui est irresponsable, c'est la corruption. C'est le fait d'être allié à un pouvoir corrompu qui a montré ses faiblesses, sa faillite et son incompétence. Le patriotisme sincère est de s'opposer à ce pouvoir, parce qu'il représente un danger pour l'Algérie. Un danger pour sa stabilité et son unité. Le laisser persister dans cette voie voudrait dire accepter l'effondrement du pays, c'est cela l'irresponsabilité, de mon point de vue. L'irresponsabilité est de travailler pour ses intérêts personnels et non pas pour ceux du pays.- Vous allez donc continuer à travailler au sein de l'Instance de suivi pour d'autres actions à venir 'Oui, nous avons d'ailleurs convenu de nous réunir prochainement en conclave sous la forme d'un congrès de l'opposition au cours duquel nous allons arrêter notre stratégie et les actions à mener.- L'idée d'une élection présidentielle anticipée est-elle toujours à votre ordre du jour 'Bien évidemment. Le pays est plus que jamais bloqué. Avec un Président qui concentre tous les pouvoirs, et qui plus est incapable d'exercer ses fonctions, il est logique de réclamer une présidentielle anticipée pour débloquer la situation. Vous savez, le système algérien est unique au monde. Nous avons un hyper Président qui décide de tout, un gouvernement qui n'est pas nécessairement issu de la majorité et un Parlement pratiquement soumis à l'Exécutif.C'est un système qui n'est ni présidentiel ni parlementaire. C'est plus qu'une monarchie, en ce sens que le Président décide de tout mais n'est responsable de rien. Nous avons en revanche abandonné la revendication de l'activation de l'article 88 de la Constitution sur l'empêchement, pour la simple raison qu'elle nous semble dépassée aujourd'hui.De plus, nous avons jugé que cet article est pratiquement inapplicable dans l'état actuel des institutions. Il va de soi qu'il nous aurait été difficile d'expliquer aux Algériens cette démarche «technique». C'est pourquoi nous considérons qu'il est plus réaliste de convoquer une présidentielle anticipée pour sortir de cette impasse politique.- Bouguerra Soltani a menacé de vous destituer, si vous continuez à vous opposer au pouvoir. L'initiative des consultations politiques est-elle une parade pour déjouer cette menace 'S'il veut me destituer démocratiquement, je lui dis chiche ! Il en sera incapable, parce que j'ai la caution et la légitimité de toutes les structures du mouvement, dont le majliss echoura (conseil consultatif) et le bureau national. Vous savez, je suis le seul, je dis bien le seul, responsable du MSP qui a fait partie de tous les bureaux nationaux du parti depuis sa création en 1991. Personne n'a été aussi proche du défunt cheikh Mahfoud Nahnah comme je l'ai été.Je n'ai donc pas de leçon à recevoir. Pour autant, et en tant que président du parti, j'ai le devoir d'écouter tous les avis, y compris de ceux qui ne sont pas d'accord avec moi. Ces consultations politiques s'inscrivent dans la stratégie de notre parti qui vise à créer des passerelles pour rendre le dialogue autour du changement possible.Le MSP, tout comme les autres partis de la CNLTD, voire de l'Instance de suivi et de coordination de l'opposition (ISCO), est libre d'avoir des initiatives politiques. Je dois préciser tout de même que cette démarche s'inspire et s'appuie sur les principes et la plateforme politique de la CNLTD. Les deux démarches ne sont donc pas contradictoires, mais plutôt complémentaires.- La conférence du consensus du FFS, un temps couverte d'éloges, a fini par être déclarée hors jeu par les partis du pouvoir. Pourquoi, d'après vous 'Je pense qu'il est inutile de revenir sur cet épisode. Il n'est jamais bon de critiquer un parti d'opposition. En l'occurrence, le FFS est un parti crédible et qui a du crédit auprès des Algériens. Mais son initiative a juste permis au pouvoir de gagner du temps. Ce parti gagnerait à revenir dans son milieu naturel qu'est l'opposition. A la CNLTD en tout cas, nous l'accueillerons à bras ouverts. Le pouvoir a utilisé son initiative pour chahuter le travail de la Coordination avant de déclarer via ses partis qu'il n'était pas preneur.- Le MSP est connu pour être un parti intimement lié au pouvoir depuis des années. Qu'est-ce qui vous empêcherait de fausser compagnie à vos amis de la CNLTD 'Vous savez, ma rupture personnelle avec le pouvoir remonte à 1997, quand le pouvoir a ordonné et exécuté une fraude massive et généralisée au profit d'un parti «bébé moustache», le RND. Ce fut une cassure pour moi. J'avais estimé que le MSP, qui a participé à la sauvegarde du pays, à la consolidation des institutions et lutté contre le terrorisme, ne pouvait ni ne devait rester dans un gouvernement qui détourne la souveraineté populaire.J'ai rédigé un texte au défunt cheikh Nahnah, que j'ai d'ailleurs publié, où j'exprimais ma déception. Depuis, je n'ai jamais changé de position par rapport au pouvoir, tout en restant discipliné à l'égard de la ligne politique de mon parti. Il a donc fallu attendre 2012 pour que ma ligne de conduite politique soit couronnée de succès.Etre élu président du MSP est pour moi la consécration de ma façon de voir les choses. J'observe, par ailleurs, que beaucoup parmi les responsables politiques, avec qui je manifestais à Alger contre la fraude électorale en 1997, sont aujourd'hui dans le gouvernement et d'autres l'ont été auparavant (rires). C'est un constat que j'ai partagé avec mes amis de la CNLTD. Dois-je souligner par ailleurs que le pouvoir a corrompu tous les partis politiques sans exception.Pour revenir à votre question, sachez qu'au sein de la coordination nous sommes devenus des amis après avoir été des partenaires puis des collègues. C'est un formidable acquis démocratique que nous puissions nous parler sans a priori. De ce point de vue, le pouvoir a réussi à nous unir et c'est tant mieux !- En tant que parti d'obédience islamiste, que pensez-vous des appels au meurtre et des fatwas lancés à tout-va par certains individus au nez et à la barbe des autorités 'Je crois que toutes ces questions trouveront leur réponse dans le cadre d'un Etat de droit qui garantit les droits, les devoirs et les libertés des citoyens. Nous ne sommes malheureusement pas encore arrivés à ce stade. Il est évident que ces questions parasitent le débat sur les vrais sujets politiques et le pouvoir tire profit de ces polémiques en détournant l'attention des Algériens. La consécration de la liberté dans la vie nationale est cardinale. Certains savants de l'islam pensent même que la liberté doit primer sur la charia.- On a l'habitude de cataloguer votre parti dans la «rubrique» des Frères musulmans. Avez-vous des rapports avec la confrérie égyptienne 'Non, non, nous n'avons rien à voir avec les Frères musulmans et nous ne faisons pas partie de leur mouvement. Ceci dit, nous avons des dénominateurs communs et partageons certaines idées. Le MSP appartient à l'école de la modération dont on peut retrouver beaucoup de partis d'obédience islamique et pas uniquement des Frères musulmans.- Que pensez-vous du nouveau pouvoir en Egypte et des bombardements aériens effectués par son armée en Libye contre Daech 'S'agissant du nouveau pouvoir, comme vous dites, je considère que Abdelfattah Al Sissi a opéré un coup d'Etat contre un Président démocratiquement élu. Quant aux frappes aériennes contre les bases du Daech en Libye, au MSP, nous soutenons totalement la réaction de notre diplomatie.




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