Algérie

Abdelkader Taïeb Ezzaïmi. Président-directeur général du groupe SIM : Acheter la paix sociale ne doit pas s'ériger en culture de gestion



Abdelkader Taïeb Ezzaïmi. Président-directeur général du groupe SIM : Acheter la paix sociale ne doit pas s'ériger en culture de gestion
Sans concession et inquiétant : quand le patron d’un des plus importants groupes industriels algériens dresse le tableau de l’économie nationale, il n’y va pas par quatre chemins. L’informel et une certaine méfiance des autorités face au privé compliquent la vie des opérateurs nationaux. Une économie paralysée et un climat social tendu : les ingrédients de l’explosion seraient-il réunis ?

- En tant que grand patron d’un des plus importants groupes agroalimentaires algériens, percevez-vous une pression sur les marchés à la veille du mois de Ramadhan ?

Je crois que c’est une fausse pression, et ce, pour plusieurs raisons, au moins pour ce qui concerne notre filière. D’abord, je préfère parler de gaspillage et non de risque de pénurie de produits de première nécessité. Les ménages préfèrent se prémunir de peur de pénuries juste avant le mois sacré, alors que tous les produits sont disponibles. Ces mêmes ménages se retrouvent, après Ramadhan, en sur-stockage. Il ne s’agit pas d’une tension sur les marchés, mais juste une forte hausse de la demande. Pour notre part, nous n’avons jamais augmenté les prix d’un centime, mais certains grossistes racontent aux détaillants que les «prix ont augmenté à l’usine» ! Or, nous avons même augmenté nos capacités de production depuis déjà trois mois.

- La facture alimentaire de l’Algérie est en train d’exploser, alors que la politique du gouvernement tend vers la réduction des importations…

Justement, pourquoi l’Algérie n’arrive pas à réduire sa facture alimentaire ? Ce qui fait saigner l’économie nationale, c’est l’informel ! Il y a des opérateurs qui préfèrent fermer leurs unités de production pour s’orienter vers l’importation. C’est plus facile ! Parce qu’il ne suffit pas d’encourager la production nationale, il faut encourager les producteurs nationaux. Il est décourageant de constater que ce sont les mêmes lois qui s’appliquent autant sur le producteur que sur l’importateur ! On ne peut pas avantager de la même manière celui qui produit et celui qui ne produit rien ! Il faudrait donc mettre en place un dispositif juridique qui favorise le producteur national et faire la part des choses entre producteur et importateur. Il faut également taxer les importations de produits finis - surtout les articles produits en Algérie - au plus haut degré par rapport à l’importation de la matière première. Car soutenir les importateurs, c’est enrichir les pays exportateurs à nos dépens ! Ce qu’il faudrait faire également, c’est alléger au maximum les contraintes administratives. Si j’étais exclusivement un importateur, et non pas un producteur qui emploie 4000 salariés, croyez-moi que j’aurais moins de complications bureaucratiques ! Je ramène un bateau de containers et je revends de suite au port même. Et l’affaire est réglée. Il faut soutenir - et écouter - les opérateurs privés : il en va même de la crédibilité du pays à l’étranger. Le plus grave c’est aussi les fausses déclarations en matière de dédouanement. Certains importateurs déclarent deux containers, alors qu’il s’agit d’une cinquantaine ! Moi, je crois qu’il y a une grave complicité. Tout le monde sait et personne ne fait rien. Il faut chercher où se situe cette complicité, sinon l’économie algérienne continuera à être saignée à blanc.

- Vous avez dénoncé récemment la contrebande de semoule et de farine à nos frontières Est…

Là aussi c’est l’informel qui frappe. Nous savons que des semi-remorques viennent de l’est du pays à la périphérie d’Alger pour charger chez des grossistes des tonnes de semoule et de farine pour les acheminer ensuite - en contrebande - vers la Tunisie et la Libye. Des détaillants ne trouvent plus où s’approvisionner à cause de ces fuites de produits, alors que nous n’avons jamais baissé notre production. Ces agissements me révoltent profondément. Nous avons été obligés de mobiliser une centaine de nos camions pour alimenter les détaillants et les boulangers en faisant carrément du porte-à-porte.

- Les pouvoirs publics sont-ils au courant de ces pratiques ?

Oui. Et nous avons même fait récemment des propositions pour contrecarrer ce trafic. D’abord, autoriser, à titre exceptionnel, l’exportation des dérivés de céréales (semoule, farine et pâtes) vers la Tunisie et la Libye pour une durée déterminée et pour un quota préalablement établi de manière à réduire la fuite aux frontières est du pays. Ensuite, sélectionner les opérateurs nationaux éligibles à cette opération qui peut être supervisée ou encadrée par les services compétents de l’Etat (Commerce, Douanes, Finances) pour s’assurer du rapatriement du produit de l’export.

- Le Club des entrepreneurs et industriels de la Mitidja, que vous avez longtemps présidé, avait fait plusieurs propositions concrètes pour réformer l’économie, mais on a l’impression que les pouvoirs publics se méfient toujours du secteur privé. Est-ce juste une impression ?

Il y a parfois cette mentalité de méfiance vis-à-vis de l’opérateur privé. Une vieille culture qui est restée ancrée dans certains cercles. Pas partout, heureusement. Il ne faut ni se méfier ni avoir peur des producteurs privés algériens. Les pouvoirs publics doivent se mettre ça une fois pour toutes dans leur tête. Ils ont affaire à des Algériens qui donnent du travail à des Algériens et qui investissent en Algérie. Personnellement, je n’ai pas de pays de rechange : j’ai lancé mon affaire dans une région difficile, à une période difficile, mais on est restés ma famille et moi pour travailler, réinvestir, créer de l’emploi et être fiers d’exporter nos produits algériens !

- Les pouvoirs publics tentent de calmer la colère des jeunes avec des dispositifs d’aide à l’emploi et, parallèlement, en fermant les yeux sur les marchés et certaines pratiques informels. Est-ce une solution viable selon vous ?

L’informel ne crée pas l’emploi. C’est faux. Et la paix sociale peut être gérée de plusieurs manières : il faut donner de l’emploi aux jeunes, pas des camions de transport de l’Ansej ! L’Ansej, je crois, n’est pas une bonne solution à long terme : le transport, c’est devenu comme les pizzerias, facile et simple moyen d’essayer de gagner de l’argent. Il faudrait donner aux jeunes des ateliers, des petites unités de production, etc. C’est vrai aussi que, suite aux violences de janvier dernier, les pouvoirs publics ont installé rapidement des dispositifs d’aide pour parer au plus urgent. Mais «acheter la paix sociale» ne doit pas s’ériger en culture de gestion ! Arrêtons de se focaliser sur les services et donnons plutôt la priorité à la vraie production : regardez le nombre d’usines fermées ! Pourquoi ne pas poursuivre les privatisations ? Juste parce que ça n’a pas fonctionné à un moment donné ? Il faut alors rectifier le tir et poursuivre les efforts pour créer des emplois. J’ai repris une boîte publique : on était à 164 employés, ils sont 625 aujourd’hui ! Car l’Etat ne pourra indéfiniment distribuer ainsi l’argent.

Bio express :

En 1990, Taïeb Ezzraïmi acquiert une parcelle de terre dans la Mitidja pour y installer une minoterie. Aujourd’hui, la Semoulerie industrielle de la Mitidja (SIM) est devenue un groupe industriel qui pèse des centaines de millions d’euros. Deuxième producteur mondial de couscous après le français Ferrero, la SIM couvre le tiers des besoins de l’Algérie en farine et en semoule et exporte aux quatre coins du monde.

A Blida, sa ville de prédilection, Taïeb Ezzraïmi a multiplié les projets immobiliers et fait construire une maison d’accueil pour les femmes victimes du terrorisme. Il s’est également lancé dans l’immobilier, l’eau minérale, la santé (clinique privée Amina à Blida) et dernièrement dans les énergies renouvelables.

Adlène Meddi


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