Algérie

Abdelkader Bouhafs


Abdelkader Bouhafs
Abdelkader Bouhafs est ingénieur à Sonatrach. Il est membre de la commission des 22 interlocuteurs des autorités, composée d'habitants In Salah, d'ingénieurs, de sociologues, et de cadres de la ville. Il explique, ci-après, ses craintes de l'exploitation du gaz de schiste et les origines de la mobilisation citoyenne.Des experts et des études rassurent quant aux techniques d'exploitation du gaz de schiste, notamment avec une bonne maîtrise de la cimentation des puits lors de la fracture et du forage horizontal. En tant qu'ingénieur, opposant au gaz de schiste, quelles sont les métrologies d'exploitation que vous continuez à rejeter 'Il existe certes des études qui pourraient rassurer lorsque nous avons la technologie et la maîtrise nécessaire, chose que nous n'avons pas en Algérie. Je vous parle ici de nos connaissances et nos observations. Il existe dans la wilaya de Tamanrasset des puits conventionnels où Sonatrach n'a pris aucune mesure de sécurité pour les dépôts des déchets d'exploitations amassés dans des bourbiers sauvages. Cela je le rappelle, pour des puits conventionnels que l'Algérie exploite depuis un demi siècle. Vous imaginez alors ce qui serait avec une exploitation nouvelle que l'on expérimente à une vingtaine de kilomètres des zones d'habitations ' Je dis bien une vingtaine de kilomètres, car ce champ d'exploitation n'est pas situé à Ahnet, qui est à 150 km de la ville d'In Salah, comme l'ont annoncé les autorités, mais bien à 25 km du centre ville. Et là, je dénonce le mensonge des officiels, le premier ministre Sellal a parlé hier encore d'Ahnet, alors que le puits fracturé est devant nos fenêtres. Dans ce périmètre il y a trois puits. Un est en phase de fracturation, l'autre en phase en conventionnel, où la fracturation hydraulique a été entamée, et un troisième qui est en phase d'études de génie civile. La distance entre les trois puits est d'une centaine de mètres. On peut s'y balader à pieds à l'intérieur de ce périmètre.Le deuxième point technique, c'est que des hydrauliciens nous ont confirmé qu'il n'est pas possible de contrôler la fracturation hydraulique, surtout quand celle-ci s'opère dans une zone aquifère à la limite sud de la nappe albienne. Ce choix n'a pas été fait par hasard, mais pour pouvoir injecter les quantités d'eau énormes directement de ces nappes. Il y a ensuite le problème de cette même eau qui remonte à la surface avec les produits chimiques injectés, et les effets de la radioactivité inhérente. Les mesures de sécurité strictes de la gestion et du contrôle de cette eau seront-ils au rendez-vous ' Je pense qu'on ne va pas risquer la vie des habitants, des animaux et de la biodiversité en attendant la confirmation.Il y a quand-même des études environnementales réalisées par le ministère de l'environnement et Sonatrach. On n'entreprendrait pas une exploitation aussi controversée sans prévoir les conséquences 'Vous savez, on parle toujours de mesures de sécurité et de contrôle, mais nous avons observé lors du forage du premier puits de gaz de schiste en 2012 dans la wilaya de Tamanrasset, alors qu'il n'y avait aucune loi l'autorisant, des fuites d'eau et des microséismes. Certains nomades remarquaient des maladies chez leurs chameaux, qu'ils imputaient aux eaux d'abreuvoirs aux alentours du puits exploité. Avant cela, BP, Statoil et Sonatrach avaient procédé, entre 2002 et 2003, à la séquestration du CO2 des roches mères et sa réinjection dans les réservoirs, et on a découvre en 2013, dix ans après, que le CO2 s'échappait des réservoirs de stockage. Personne n'est capable de nous renseigner sur la destination de ce CO2.In Salah est située quand même sur le continental intercalaire, l'une des plus grandes réserves d'eau souterraine au monde. Pensez-vous que cette réserve risque l'épuisement suite à l'utilisation des eaux pour la fracturation 'Il est vrai que In Salah est située prêt du bassin occidental du continental intercalaire, mais cela ne veut rien dire, car déjà l'artésianisme des puits a disparu. Nous n'avons plus de puits artésiens depuis le milieu des années 90 et le début des années 2000. Si ce projet se poursuit, il y aura d'un coté l'épuisement des ressources aquifères souterraines, et d'un autre coté la contamination des eaux restantes.La demande en énergie, notamment la demande nationale, est appelée à augmenter, et les réserves d'énergie conventionnelle font le compte à rebours de leur rendement. L'Algérie possède les troisièmes plus grandes réserves de gaz de roches mères. Ne pensez-vous pas qu'il serait quand-même dommage de ne pas les exploiter 'Je ne pense pas que ce soit la seule alternative qui se présente. Je pense que le débat est ailleurs. Il s'agit à mon avis de remobiliser les compétences nationales et de les valoriser pour sortir de cette entonnoir. Ce que nous faisons ici, c'est reproduire les mêmes schémas de la dépendance de la technologie étrangère que nous avons fait avec le conventionnel. Je pense qu'il faudrait prendre nos jeunes compétences et les former au lieu de lancer successivement des appels d'offres pour avoir des partenariats étrangers, sous couvert de transfert de compétences et de connaissance. Je peux témoigner qu'il n'y a aucun transfert de connaissance pour les algériens des sociétés nationales. Seules ceux qui travaillent dans les multinationales étrangères bénéficient des formations. Ceux sont les bureaux d'études étrangers qui font les prospections, puis les multinationales arrivent pour la réalisation et ils font appel à GTP et Cosider pour l'exécution. Je ne voie pas de transfert, mais uniquement un partage de la production. Pourquoi sommes-nous obligés à partager nos réserves ' Pourquoi on ne sous-traiterait pas avec des sociétés étrangères et garder la production comme le font des pays du Golf par exemple ' Cette règle du 51/49 me dérange, je suis pour la nationalisation de nos ressources.Pouvez-vous nous parlez de cette mobilisation citoyenne et de la commission des 22 dont vous êtes un acteur important 'La mobilisation a débuté à l'Université de Tamanrasset quand des jeunes étudiants voulaient comprendre les enjeux suite à l'annonce du forage du premier puits de gaz de schiste par le PDG de Sonatrach, M. Sahnoun, le 27 décembre dernier. Ces étudiants ont fait appel à des techniciens, ingénieurs, et des experts, pour en parler. C'est après qu'on a découvert avec le wali que le puits ne se trouve qu'à 25km de chez nous. Suite à cela, on a commencé à nos mobiliser. La commission des 22, a été créée sur le tas, avec des collègues, des experts, des sociologues et de simples citoyens pour essayer de sensibiliser la population, puis d'intervenir auprès des pouvoirs publics et demander des explications. Les gens ont commencé spontanément à se joindre aux manifestations, y compris les femmes, qui n'avaient jamais manifesté auparavant. Je voudrais vous informer que cette commission des 22 a adressé une lettre aujourd'hui (l'entretien a été réalisé le jeudi 22 janvier 2015), à la présidence de la République pour savoir si le discours d'hier émanait de M Sellal, ou du président de la République. Nous sommes dans l'attente d'une réponse.Nous craignons que ces manifestations légitimes, citoyennes et pacifiques, ne soient récupérées par des partis politiques ou, surtout, par les extrémistes et les djihadistes qui circulent sur la zone. Vous savez nous sommes une wilaya frontalière, tout le monde peut entrer et tout le monde peut activer. Je crains que le sentiment d'humiliation observé chez les jeunes aujourd'hui suite aux déclarations de Sellal hier, ne fasse des jeunes des proies à ces groupes. Je crains pour l'après gaz de schiste plus que je ne crains de son exploitation.


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