Algérie

Abdelaziz Rahabi à 'Liberté" 'Les institutions sont dépouillées de leurs missions de contrôle"



Abdelaziz Rahabi à 'Liberté
Cet ancien ministre de la Culture et de la Communication dans le gouvernement d'Ahmed Benbitour énumère, dans cette interview, les institutions inactivées, bloquées ou marginalisées, bien que la Constitution et les lois de la République leur attribuent de larges prérogatives.
Liberté : Plusieurs institutions nationales n'exercent pas pleinement leurs prérogatives ou ne fonctionnent carrément pas. Quelle est l'origine de cette situation '
Abdelaziz Rahabi : La culture politique encore dominante chez nous considère les institutions comme des leviers de pouvoir. C'est pourquoi elles sont dépouillées de leurs fonctions de contrôle ou de contre-pouvoir institutionnel. Il nous reste un long chemin à parcourir pour faire admettre que les institutions sont indispensables au fonctionnement des Etats et qu'elles sont le marqueur du passage d'un système archaïque, tribal ou féodal à une forme moderne d'organisation sociale et politique.
Quel préjudice subit le pays à cause de la paralysie d'institutions et d'organismes bloqués '
C'est l'absence de contre-pouvoir institutionnel et de contrôle populaire sur l'action de l'Exécutif, notamment dans la gestion de la richesse publique qui favorise l'émergence de pouvoirs autoritaristes et de leurs corollaires directs, l'impunité et la corruption. Si, par exemple, l'Assemblée nationale ne désigne pas une commission d'enquête sur les dysfonctionnements, les scandales financiers et autres catastrophes naturelles, cela signifie qu'elle a failli à sa mission de contrôle populaire, même s'il demeure entendu que sa mission s'arrête quand celle de la justice commence. Un cas est révélateur de cette situation, c'est celui du Conseil national de l'énergie qui détermine normalement la politique énergétique. Ce conseil ne s'est pas réuni depuis 1999, ce qui a permis à Chakib Khelil de décider seul avec des conséquences désastreuses et un préjudice économique pour le pays et d'image pour la compagnie Sonatrach que l'on n'a pas encore quantifié.
La Cour des comptes vient, dans un rapport rendu public, d'accabler les autorités sur leur gestion de l'argent public. Cette institution, qui a hiberné pendant plus de dix ans, semble sortir de sa torpeur. Comment décryptez-vous la dernière actualité de la Cour des comptes '
On ne peut que s'en réjouir mais regretter que ses conclusions ou recommandations ne soient pas suivies d'effet car elle souffre d'un double handicap. Le premier est d'avoir été longtemps neutralisée. Ce qui a eu pour effet de la rendre invisible aux yeux des administrations publiques qui se sont accommodé des contrôles interne et hiérarchique. Le second est lié au fait qu'elle ne bénéficie pas, dans ses missions, d'un franc soutien politique. Le réveil de la Cour des comptes ne doit pas occulter la paralysie décennale du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui a réduit le juge au statut précaire d'un fonctionnaire soumis à l'autorité de la chancellerie, pas à celle de la loi. Ce qui est encore paradoxal, c'est que même le Syndicat de la magistrature, censé défendre l'intérêt des magistrats, s'est bien accommodé de ce déni de droit.
Les textes législatifs afférents au contrôle des dépenses publiques, lutte contre la corruption... existent, mais ne sont pas appliqués. Pourquoi et quel en est l'impact '
Ce n'est pas tant la quantité ou la qualité des textes qui déterminent leur efficience, mais plutôt la volonté politique qui anime le pouvoir exécutif. Prenez l'exemple de la Banque centrale, elle ne publie plus depuis 10 ans, ni le bilan de ses activités ni les résultats de ses comptes et encore moins des rapports sur la gestion des réserves. Même les études techniques sur l'Algérie sont publiées par le FMI et non par notre Banque comme la loi l'y oblige et comme le pratique la majorité des banques centrales du monde.
Comment rétablir la situation (dysfonctionnement des institutions) de votre point de vue '
En réhabilitant le rôle constitutionnel ou légal de chacune des institutions de la République, en respectant leur autonomie qui est la seule garantie de leur crédibilité, en tenant compte selon le cas de leurs observations, de leurs recommandations ou de leurs décisions et, enfin, en les dotant bien sûr des ressources humaines et matérielles conséquentes à même de leur permettre de fonctionner dans les meilleures conditions.
Cela peut paraître simple mais à défaut de volonté politique réelle, il serait illusoire d'espérer une prochaine réhabilitation des institutions dont la mission est de contrôler l'action du gouvernement pour garantir un véritable équilibre des pouvoirs.


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