Algérie

Abdelaziz Otmani, lauréat du prix Assia-Djebar, à l’Expression «L’écriture est ma vocation»



Publié le 05.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

Il est le lauréat du grand prix Assia-Djebar pour son roman Sin, la lune en miettes (éditions Casbah). Né en 1990 à Boufarik, Abdelaziz Otmani a suivi un cursus universitaire en France avant de revenir enseigner la littérature francophone en Algérie.
L'Expression: Peut-on savoir comment vous avez réagi au moment où votre nom a été annoncé lors de la remise du prix Assia-Djebar?

Abdelaziz Otmani: Au moment où mon nom a été annoncé lors de la cérémonie de la remise des prix j'avais l'esprit assez embrouillé. J'avais trouvé les discours des lauréats en langue arabe et amazighe très pertinents et je me disais en mon for intérieur que je n'avais aucun propos intelligent à ajouter. Ensuite, lorsque je me suis levé pour me diriger vers l'estrade, j'ai réalisé que mes lacets étaient défaits, donc je me suis exclamé «oh! Mes lacets» et je me suis tout naturellement baissé pour faire un joli noeud, seulement, en relevant la tête j'ai réalisé que toutes les caméras étaient braquées vers moi. Voilà! Je ne suis pas quelqu'un de très adroit en société, dans des situations comme celle-ci, j'ai le sentiment d'être un enfant qui essaie de se mouvoir dans un corps d'adulte trop grand pour lui. Je suis plus habile à manipuler une phrase, un texte... un récit par écrit plutôt. J'imagine que je vais devoir m'habituer à l'attention que je suscite chez les autres, à présent.

La réception d'un tel prix qui, est la plus haute distinction littéraire dans notre pays, peut-elle constituer un déclic dans la vie de l'écrivain que vous êtes?

C'est un prix dont chaque auteur algérien rêve, je pense. Il est une façon d'inscrire une oeuvre parmi toutes ses contemporaines dans la riche histoire de la littérature algérienne. C'est une chance extraordinaire, mais également une immense responsabilité pour moi, pour la suite de mes projets. J'avoue que j'ai du mal à me remettre à écrire depuis. Je laisse passer un peu de temps et j'essaie de me recentrer sur mes inspirations et mes désirs sans chercher à répondre aux attentes du lecteur. C'est en cela qu'une oeuvre est originale, lorsqu'elle n'est pas attendue, qu'elle bouscule et chamboule celui ou celle qui se trouve face à elle.
Et pour produire un tel ouvrage, il n'y a pas de secret, il faut du temps, des moments de doute et d'errements, il faut se laisser habiter par de nouveaux personnages, un nouvel univers, de nouvelles questions d'ordre philosophique. Tout cela nécessite du temps et est éprouvant. Donc, pour revenir à la question, le prix Assia Djebar me conforte dans mon idée selon quoi l'écriture est ma vocation, mais me met dans une situation nouvelle à laquelle je vais devoir m'habituer: l'exposition, cette chose étrange qui met nos idées et nos émotions à nu, qui leur donne chair et qui les transforme en sujet susceptible de devenir un débat public.

Est-ce que vous vous attendiez à devenir le lauréat du prix Assia Djebar pour l'année 2024 quand on sait que de nombreux écrivains talentueux y ont également postulé?

Je n'avais pas envie de beaucoup penser au prix. Évidemment, je désirais l'avoir, il n'y a pas plus belle distinction pour un auteur algérien. Je me disais que l'avoir pour un premier roman serait trop beau. Mais j'essayais de ne pas trop y réfléchir afin de ne pas être désappointé.

Revenons, si vous permettez, à votre roman récompensé. Peut-on savoir comment est née l'idée de l'écrire?

Je pense que l'idée d'imaginer un univers fantastique qui me donnerait une totale liberté de création m'accompagnait depuis mon adolescence, je ne saurais donc réellement dire à quel moment cela m'est venue. C'était comme un monde imaginaire dans lequel je me réfugiais de temps en temps et qui se construisait petit à petit...
Puis, j'ai eu comme un besoin irrépressible de mettre des mots sur mon rapport au monde, ou comment je vivais ma réalité d'un point de vue intime, autant intellectuel qu'émotionnel, j'ai donc commencé à structurer mon univers et mon récit vers 2015. Tout un travail à la fois de préparation et de recherche qui m'a pris environ une année. Puis vint le moment de me lancer dans l'écriture et je m'y suis mis avec enthousiasme et une légère appréhension.

Pouvez-vous nous parler du titre très spécial de votre roman Sin, la lune en miettes ?

Le titre est directement inspiré des mythes mésopotamiens: Sîn étant l'incarnation de la lune, figure majeure de la cité d'Ur dans l'actuelle Iraq (fondée environ 2300 ans avant notre ère). La lune en miettes: simplement parce que les premières pages du roman, le lecteur est plongé dans cette Antiquité archaïque où le ciel est dominé par une lune brisée en trois fragments. C'était une manière pour moi de marquer d'emblée l'esprit du lecteur et de lui signifier qu'il lit un récit imaginaire, bien que les références culturelles et historiques restent extrêmement présentes.

Dans quelle catégorie peut-on classer votre roman?

Il m'est difficile de classer mon roman dans une catégorie particulière. Il est vrai, qu'il est d'usage, pour les éditeurs surtout, de mettre le roman dans une catégorie bien figée, c'est une pratique qui permet de facilement cibler le lecteur potentiel et cela facilite le travail du libraire. Mais avec Sîn, je me suis amusé à explorer différents genres, parfois à faire voler en éclats certains codes très particuliers à tel ou tel genre en narguant et en essayant de berner le lecteur. Pour moi, c'est très amusant. Mais il est clair qu'il appartient à la littérature de l'imaginaire.

Qu'en est-il de vos influences?

En ce qui est des influences, je me suis inspiré de la science-fiction, du roman d'aventure, du conte nord-africain, des mythes mésopotamiens, des récits de création... Mais aussi du roman social contemporain et du roman médiéval européen et toutes ces littératures venaient nourrir mon roman pour lui offrir une dimension foisonnante et ce souffle particulier aux épopées.

Beaucoup de vos lecteurs ont loué votre roman, pouvez-vous nous faire une synthèse de ces réactions et nous dire quel effet vous font-elles?

Il est vrai que j'ai reçu beaucoup de bonnes réactions. Ce qui revient le plus souvent, c'est que les lecteurs ont l'impression d'avoir quitté leur réalité le temps de la lecture pour se plonger dans un monde parallèle. Certains lecteurs m'écrivent pour me reprocher de les avoir fait pleurer en sanglot à tel ou tel passage ou d'avoir toujours attendu qu'un tel événement se produise dans le roman pour au final trouver autre chose. Toutes ces réactions me réjouissent, à vrai dire. Et je suis content que mon roman enchante autant qu'il questionne. Car l'intérêt premier de la littérature est de tendre un miroir dans lequel la société puisse s'observer et mieux s'évaluer.

Pouvez-vous nous raconter votre histoire-passion avec la littérature et l'écriture?

Mon premier contact avec la littérature remonte à l'enfance. Je me souviens encore de ce recueil des contes de La Fontaine à la reliure en cuir marron, dans lequel mon père nous lisait un conte tous les soirs, ma soeur et moi. Ensuite, je me suis mis à la lecture seul, autant en français qu'en arabe, je lisais essentiellement des contes, des petits romans pour enfant qui font peur. Nous avions chez nous trois immenses volumes encyclopédiques, qu'enfant, je n'arrivais même pas à porter, et dans lesquels je lisais à propos des animaux préhistoriques, sur la formation des étoiles ou encore sur les volcans. L'habitude de lire ne m'a jamais quitté, à vrai dire... Par contre, je suis arrivé par défaut à l'écriture, ma première passion était le dessin, et je me rêvais en artiste bédéiste, malheureusement, il m'est difficile de tenir longtemps un crayon pour des raisons de santé. Le clavier d'un ordinateur m'est beaucoup plus confortable. Par ailleurs, j'avais cette idée assez romantique et absurde de devenir un écrivain médiocre et méconnu qui ne rencontrerait jamais son lectorat. Je me confortais dans cette idée, car j'y trouvais une sorte de beauté mélancolique. Il faut dire qu'avec le prix Assia Djebar, il me serait difficile de passer inaperçu aujourd'hui, même si je le souhaitais.

Quels sont les romans et les écrivains qui vous ont le plus marqué et inspiré?

Je m'inspire de beaucoup de choses et pas seulement de la littérature. Cependant, si je dois citer quelques auteurs, ça serait les suivants: Rabelais, Ursula K.Leguin, Maryse Condé, Dante, Garcia Marquez, Ferdowsi, Ovide... Mais également, des cinéastes tels qu'Akira Kurosawa et Hayao Myazaki. Je suis un grand passionné de cinéma et de littérature asiatiques.

Pouvez-vous nous donner votre avis sur la littérature algérienne actuellement?

Mon avis ne peut être que partiel, car je ne suis pas un connaisseur en littérature arabophone et amazighophone. Et je suis certain que je passe à côté de pépites. Toutefois, en ce qui concerne la littérature francophone, je suis très heureux de voir un foisonnement d'idées et de thématiques traitées par mes contemporains, avec un rapport tout à fait nouveau au livre et à la langue. Je note aussi l'apparition de nombreuses maisons d'édition et la bonne santé de la poésie ces dernières années. J'aimerai beaucoup voir plus d'édition papier de pièces théâtrales et surtout concernant les créations originales, histoire que l'on puisse garder une trace écrite une fois que la pièce n'est plus mise en scène.
Pour finir, J'encourage également les universités à davantage étudier les oeuvres contemporaines et à les faire lire aux étudiants, afin de leur offrir un statut académique.

Aomar MOHELLEBI




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