Publié le 06.05.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par Amar Belkhodja(*)
Je connaissais le docteur Abdelaziz Khaldi (1917-1972) de réputation mais pas tout à fait au fait de ses écrits versés désormais à l’art de la polémique et au pamphlet. Plusieurs années après son décès, je découvre une partie de sa production intellectuelle grâce à un opuscule d’une centaine de pages que m’avait offert un ami de Tiaret, Monsieur Saïd Belabbès, en me gratifiant d’une amicale dédicace en dernière page de couverture : «Mon cher Amar, ce petit recueil sera mieux chez toi dans ta bibliothèque — Toute mon amitié.»
L’ouvrage, intitulé Le problème algérien devant la conscience démocratique, était dédié «à la mémoire d’Ali el-hammamy — A l’homme qui a su manier le sabre et la plume». De prime abord, c’est ce qui suscita mon intérêt et ma curiosité. Saïd Belabbès savait bel et bien que j’étais, depuis quelques années déjà, sur les traces de Ali El-Hammami, pour devenir ensuite le premier biographe d’un homme dont la grandiose action militante, la précocité intellectuelle et son érudition risquaient de sombrer dans l’oubli le plus déplorable.
Évidemment, je désirai savoir le lien entre le docteur Khaldi et le compagnon d’armes de l’Émir Abdelkrim El-Khettabi. C’est ce qui m’a conduit à Soustara (Alger), après maints renseignements, pour rencontrer la fille du docteur Khaldi qui, faute de documents et d’archives concernant le sujet, n’était pas en mesure de m’affranchir, moi qui espérais enrichir mes recherches par de nouveaux éléments.
Je ne percerai le secret qu’en lisant, quelques années plus tard encore, l’intéressant ouvrage consacré par Nour Eddine Khendoudi à Abdelaziz Khaldi.
Une conscience algérienne (Dar El- Othmania - Alger - 2009). J’apprends, en effet, qu’au lendemain de la mort de Ali El Hammami(1), le docteur Khaldi œuvrait avec ferveur à rassembler et faire publier l’œuvre intellectuelle du disparu.
Pour des raisons multiples, le projet n’avait pas abouti. Le relais était pris, j’annoncerai au docteur dans sa tombe (il est enterré à côté d’El-Hammami) que, même si elle est partielle, la mission est accomplie(2).
Néanmoins, la recherche doit obligatoirement et nécessairement se poursuivre, sachant que l’auteur d’Idris a écrit dans plusieurs langues, par voie de conséquence dans plusieurs journaux et revus et dans plusieurs pays d’Europe et du Moyen-Orient.
Ceci dit, pour la cause de Ali El-Hammami, une cause pour laquelle se souciait beaucoup le docteur Khaldi, il me faut revenir à l’ouvrage auquel je destine cette modeste contribution. Mais avant d’aborder — sommairement — le contenu du Problème algérien devant la conscience démocratique, je préciserai que le docteur Khaldi m’a permis d’ajouter une corde à mon arc pour rendre plus efficaces mes assauts par mes écrits ou par mes conférences lorsque j’aborderai le drame du peuple algérien et plus particulièrement les massacres que notre peuple subira en mai et juin 1945.
Mais avant lui, deux éminents intellectuels algériens m’avaient déjà gratifié de deux formules que je répète à profusion dans tous mes propos pour convaincre mes vis-à-vis de leur justesse. La première, celle de Mostefa Lacheraf, m’a enseigné qu’en histoire il n’y a point de prescription. L’imprescriptibilité est par voie de conséquence une notion dont ne saurait se départir l’écriture historique. Le second concept appartient à Mohamed-Chérif Sahli qui prône la haute nécessité de «décoloniser l’histoire».
Enfin, le troisième auteur, le docteur Khaldi, a amplement conforté ma démarche par une sentence irrévocable, à savoir que l’armée française, coupable des massacres du 8 mai 1945, a été «une soldatesque avide d’héroïsme à bon marché» (Le problème algérien… p.7) qui, absente dans le conflit contre l’hitlérisme, va utiliser un véritable arsenal de guerre contre un peuple désarmé, appuyée dans cette honteuse et sordide besogne par une milice haineuse de l’Arabe.
Un «héroïsme à bon marché», voilà encore et à quoi va recourir l’armée française pendant la guerre d’indépendance (1954-1962).
Vaincue et humiliée par Hô Chi Minh, Giap et leurs valeureux combattants à Diên Biên Phu, en mai 1954, l’armée française est décidée à laver cet affront en se vengeant sur les Algériens. Et dans l’incapacité «d’écraser la rébellion» sur le terrain par les armes, l’armée française va se résoudre à vouloir gagner la guerre par «l’exploitation du renseignement».
Ce qui, en réalité, va donner lieu à l’institution à grande échelle de la torture, avec ses praticiens, son arsenal et ses écoles. Le docteur Khaldi a dû, encore une fois, prendre acte que «l’héroïsme à bon marché» a toujours cours chez les tenants du colonialisme, une gangrène appelée pourtant à disparaître parce que condamnée par la marche de l’histoire.
Le problème algérien devant la conscience démocratique est un réquisitoire contre le colonialisme français par lequel le docteur Khaldi, qui fait montre d’un savant esprit de synthèse, passe en revue plusieurs domaines et soulève des questions «preuves à l’appui» qui condamnent le système : l’occupation française, le domaine administratif et agraire, l’enseignement, l’islam, l’urbanisme, le problème du travail...
Cet ouvrage, rédigé à Toulouse en juillet 1945, fut malheureusement — et naturellement — interdit de publication. En revanche, il fut écrit et adressé à «la conscience démocratique française» dans l’espoir de lui faire toucher du doigt le drame algérien. C’est aussi et surtout une invitation aux «âmes françaises généreuses » à s’insurger (une insurrection morale) contre un système qui «décivilise aussi bien le colonisateur que le colonisé», selon ce célèbre mot du célèbre poète antillais Aimé Césaire.
«Le problème algérien semblait relever de la conscience française, avec toutes les conséquences logiques et morales que comporterait une telle prémisse.» (p.86).
Malheureusement, cette conscience, très lente à réagir, n’avait pas émis les échos escomptés. Les Algériens n’avaient plus d’autre choix que de prendre les armes en novembre 1954.
Bouleversé et affecté par les massacres perpétrés contre ses compatriotes à Sétif, Kherrata et Guelma, le docteur Khaldi souligne avec perspicacité et émotion, tout en recourant à de fortes images qu’il propose dans un écrit révélateur : «Le 8 mai 1945, quand les cloches des églises chrétiennes se mirent à sonner, les musulmans crurent se rendre au carillon joyeux de la victoire de la démocratie sur le fascisme, du droit sur la force… leur victoire. Mais c’était le tocsin de la Saint-Barthélémy algérienne qui venait de sonner.» Fin de citation.
Le problème algérien devant la conscience démocratique, un ouvrage à lire et à faire lire. Ainsi, la mémoire du docteur Abdelaziz Khaldi sera toujours vivante.
A. B.
(*) Journaliste-historien. Docteur Honoris Causa.
(1) Ali El-Hammami a trouvé la mort dans un accident d’avion survenu le 12 décembre 1949 à Karachi. Il venait de représenter l’Algérie au premier Congrès mondial économique islamique tenu au Pakistan.
(2) Voir A. Belkhodja Ali El-Hammami - Toute une vie pour l’Algérie - éd. Dahlab - Alger - 2009 de même que Idris, unique ouvrage, pour le moment, édité trois fois de suite en Algérie par la SNED, l’ENAL et l’ENAG.
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Posté Le : 06/05/2024
Posté par : rachids