L'ancien ministre
des Finances algérien, Abdelatif Benachenhou, délivre
une enquête intéressante intitulée «Entrepreneurs algériens», dans laquelle il
décortique les trajectoires du privé algérien. Petit détail, il s'agit d'un
rapport commandé par la Banque
mondiale. Il ressemble à s'y méprendre à une suite du livre du ministre sur
l'essor de l'investissement étranger en Algérie (2007). Enquête.
«Le vrai départ de
la prospérité du secteur privé date de 2000». Cette phrase sentencieuse, qui
tombe dès la première page de l'enquête «Entrepreneurs algériens» trahit
presque déjà son auteur. Maghrebemergent présent à
Washington pour les rencontres du printemps du FMI et de la Banque mondiale a recueilli
toutes les publications récentes sur la région et parmi elles cette intrigante
enquête sur quelques itinéraires remarquables d'entrepreneurs algériens. Le
rapport «Entrepreneurs algériens» a contribué à la confection d'un livre
essentiel dans les dernières productions de la Banque mondiale, celui sur
le secteur privé dans le monde arabe intitulé «des privilèges vers la
compétitivité». Il restait à retrouver son auteur. Les nombreux chefs
d'entreprise approchés pour les besoins du rapport ont permis de révéler le nom
surprenant de Abdelatif Benachenhou, l'ancien
ministre des Finances qui a quitté le gouvernement Ouyahia
en avril 2005. La pige de Abdelatif Benachenhou à la Banque mondiale est
d'autant étonnante que le ministre en fonction entretenait
une relation extrêmement tendue avec cette institution, bloquant ses programmes
en Algérie. Le sujet sur lequel a été sollicité le professeur Benachenhou par le département Moyen-orient Afrique du Nord
(Mena) de la Banque
mondiale, paraît tout aussi inattendu. L'ancien ministre des Finances n'était
pas réputé entretenir des relations suffisamment suivies avec les entreprises
privées algériennes qui lui donnent une «légitimité» pour en dresser des
monographies «vendables». Le président du FCE du moment s'était, en privé, félicité
de son départ du gouvernement en avril 2005. Le ministre Benachenhou
était hostile à l'engagement d'un plan de dépenses publiques en soutien à la
croissance. Il avait notamment retardé le lancement du tronçon Khemis Miliana-Oued Fodda de l'autoroute Est-Ouest, réalisé
par un consortium où figure l'ETRHB de Ali Haddad. La
construction du rapport «Entrepreneurs algériens» est tout à fait similaire à
celle du livre, fort documenté, de Abdelatif Benachenhou
qu'il a édité en 2007 sur les IDE en Algérie. Il laisse à penser que le
professeur a réussi à «vendre» à la
Banque mondiale, peu rancunière, un projet personnel qui
coïncidait avec la préoccupation du moment de l'institution de Washington sur le
secteur privé dans le monde arabe.
Le professeur plus
consensuel que le ministre
L'enquête
«Entrepreneurs algériens» ne livre rien de sensationnel sur les parcours des
capitaines d'industrie en Algérie. Elle est toutefois très utile par la
typologie qu'elle propose dans les hypothèses de travail, par la documentation
précise qu'elle livre dans les monographies par entreprise, et aussi par
certaines «articulations intuitives» qui rappellent tout de même l'excellence
académique de l'auteur. Le rapport identifie «six trajectoires principales des
patrons des grandes entreprises algériennes». La trajectoire familiale, la
politique, l'universitaire, celle de l'émigration, celle du secteur public, et
celle à partir de 1991, de l'ouverture. L'enquête propose même une trajectoire
de l'aventure «l'entreprise est un prétexte pour s'enrichir sans cause, en
trichant avec tout le monde : les banques, les impôts, l'administration des
domaines, la législation des changes, etc.» «Il peut arriver que le même chef
d'entreprise soit à la croisée de deux ou même trois trajectoires. C'est rare».
L'enquête rapporte, dans la rubrique «les fils de famille», une présentation
bien informée des deux groupes Hamoud Boualem et Zetchi (Faïenceries) pour
relever que l'arrivée de la concurrence étrangère dans leurs métiers les a
tirés vers le haut. Il évoque l'expérience de Omar Ramdane
dans la rubrique «les fils de Novembre», et celle de Cevital
dans celle des «enfants gâtés de l'ouverture». Des tournures personnelles
peu conforment au style prudent des rapports de la Banque mondiale qui
laissent beaucoup à penser à un usage différent de la première rédaction.
Epaad, Stratégica, Khalifa, Tonic…
Le professeur Benachenhou a fait aussi de mauvaises pioches dans son
enquête en mettant Epaad et Stratégica
dans le panel des réussites qu'il décortique. La première est en faillite et la
seconde, pourtant amie, est traquée par le pouvoir politique algérien. L'enquête
propose aussi «une analyse économique» du scandale Khalifa et du collapsus Tonic
emballage, deux cadavres de l'ère où l'auteur du rapport était aux affaires. Dans
sa conclusion l'auteur de «Entrepreneurs algériens» écrit «il faut faire de
l'entreprise un objet permanent de la politique économique et accorder de la
considération aux entrepreneurs et à leurs propositions». Il déplore que
«l'attention et l'énergie des politiques et des fonctionnaires sont totalement
accaparées par la dépense publique. Il faut réaliser voilà le leitmotiv. Les
problèmes de l'entreprise locale et le renforcement de sa contribution à la
croissance sont marginalisés. La crise de l'offre va perdurer, celle du
développement des entreprises aussi». Ahmed Ouyahia
et Abdelaziz Boutéflika apprécieront.
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Posté Le : 03/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Kadi Ihsane
Source : www.lequotidien-oran.com