Algérie

Abdelatif Benachenhou, hier, au forum de "Liberté"



Abdelatif Benachenhou, hier, au forum de
Même si la vérité des prix, aussi incontournable soit-elle, n'est pas pour demain, on peut toujours commencer à en parler..."J'interpelle davantage mes concitoyens que le gouvernement, car il s'agit d'une responsabilité collective", a d'emblée prévenu, hier, le professeur Abdelatif Benachenhou, ancien ministre des Finances et invité de notre rendez-vous hebdomadaire du Forum de Liberté. Dans sa communication intitulée "Sortir des subventions", le professeur en économie s'est voulu didactique à souhait. Il s'est d'abord attelé à définir la "subvention". Que sa quo ' "C'est l'acte par lequel un Etat protège ou renforce le pouvoir d'achat de ses citoyens ou de ses entreprises, soit à travers des transferts de revenus monétaires, soit en subventionnant les prix, soit en pratiquant une politique fiscale favorable au pouvoir d'achat". Bref, les instruments peuvent s'avérer fort nombreux. Instaurées dès l'indépendance du pays, les subventions ont été conçues pour soutenir d'abord la consommation des plus démunis. Ces subventions indirectes étaient censées permettre à la population de vivre dans des conditions décentes et cela en opposition au sort qui lui était réservé, jusqu'alors, par la puissance coloniale. "La Révolution a été faite par les gueux, qu'ils en profitent !", s'est écrié quelqu'un dans la salle. Seulement, autres temps, autres m'urs, la conception "égalitariste" de la société qui avait justifié alors le recours aux subventions à la consommation n'a plus cours. Comme chacun sait, le système des subventions qui repose en Algérie sur un principe d'universalité fait fi des ressources de tout un chacun. Ce qui engendre une plus grande injustice puisque l'homme le plus riche du pays peut accéder à des produits ou services dans les mêmes conditions que le plus pauvre. Ce principe n'ayant pas évolué c'est tout le monde en Algérie - et même les étrangers à pouvoir bénéficier des largesses du pouvoir. Sans compter la contrebande aux frontières. "Les inégalités de revenus sont devenues trop fortes", soutient Benachenhou dans son argumentaire. D'après lui, il est temps d'ouvrir le débat sur une modulation de subventions en fonction des revenus. "La société algérienne est divisée en deux". L'ancien ministre parle ainsi d'inefficacité économique totale et de gaspillage. "La ressource va là où elle ne devrait pas aller." Cette politique de subventions sans discernement a aujourd'hui un coût faramineux. À la question de "combien ça coûte '", l'ancien grand argentier a égrené une multitude de chiffres. Ainsi, les subventions d'origine budgétaire se chiffreraient à 1 995 milliards de dinars, soit 12% du PIB. Si l'on ajoute les subventions dites implicites (notamment pour l'eau, l'électricité et les carburants) soit 1 820 milliards de dinars ou 11,6% du PIB, cela nous donne un cumul de 23,6% du PIB, la somme des subventions que l'Etat algérien distribue aux citoyens. Dans son énumération, le ministre n'a pas oublié les subventions à travers les budgets des collectivités locales, soit quelque 400 milliards de dinars. Bien sûr, on peut toujours additionner sur ce chapitre l'incidence du taux de change du dinar qui, comme on sait, est surévalué, dans notre pays.En mission commandée '"Les chiffres sont complexes. Une équipe et moi avons travaillé durant six mois sur cette question. Notre exercice a consisté à mettre les choses en proportions. On a regardé les chiffres dans les détails et on a pris les décaissements c'est-à-dire ce qui a été réellement dépensé." Interrogé s'il était mandaté par quelque partie pour mener une telle étude, l'ancien ministre des Finances s'est borné à répondre, sur un ton énigmatique, qu'il faisait partie des "insomniaques". Il est vrai que l'état actuel dans lequel se trouve le pays a de quoi donner de nombreuses nuits blanches. Benachenhou qui, semble avoir, lui, une conscience, est venu donc présenter les résultats de son enquête. Il regrette pour cela que le ministère des Finances ait gardé la même méthodologie qu'il avait lui-même instaurée pour le calcul et la mesure des transferts sociaux. "Moi, j'ai changé d'avis mais eux non !" À présent, par exemple, le ministre s'est "repenti" en ne considérant plus les pensions versées aux moudjahidine comme des subventions mais plutôt comme "une dette historique". Il s'agit tout de même de la somme colossale de225 milliards de dinars, soit 1,4% du PIB. Sur ce point précis, d'autres ne verraient pas les choses de la même manière et parleraient, à coup sûr, de salaire de la honte. Car parmi ces moudjahidine figurent certains vrais-faux maquisards qui émargent indûment à cette véritable rente ! Pendant ce temps, d'autres combattants authentiques ou leurs ayants droit continueront à subir un déni de reconnaissance. Une énième situation qui vient battre en brèche "la légitimité révolutionnaire" des tenants du pouvoir. Mais surtout ne nous dispersons pas dans un sujet aussi sensible et revenons à la nouvelle méthode que préconise aujourd'hui Benachenhou pour l'évaluation des transferts sociaux. Pour lui, les subventions accordées au ministère de l'Enseignement supérieur ne peuvent être estimées uniquement sur la base des bourses données aux étudiants. "Cela est largement insuffisant." D'après lui, il y a une nécessité d'évaluer également les services offerts gratuitement, tels l'hébergement, la restauration et le transport universitaire. "Les chiffres, c'est important. Un étudiant nous coûte, chaque année, 500 000 dinars dont 200 000 dinars de prise en charge non pédagogique. Doit-on aller vers un système de bourse et verser les 200 000 dinars à des étudiants ciblés plutôt qu'à tout le monde '" La question est posée. Idem pour le secteur de l'habitat. La subvention du logement correspond globalement à la somme des crédits de paiements alloués aux logements sociaux.Par souci d'exhaustivité, Benachenhou voudrait ajouter aussi l'évaluation des services immobiliers des logements occupés. En d'autres termes, le montant des loyers des biens locatifs publics non honorés. "Est-il écrit, quelque part, qu'on a droit à être logé gratuitement ' Sur 1 400 000 logements, seuls 35% de locataires s'acquittent de leurs loyers nonobstant du fait que le prix de ces loyers est déprimé et n'a rien à voir avec celui du marché." Passant à la croissance effrénée du rythme de consommation de gaz et de pétrole local, l'autre grand problème, l'ancien ministre des Finances emboîte le pas à de nombreux experts. D'aucuns préconisent, en effet, l'abandon de ces politiques de subventions, du moins, dans leur version actuelle et leur remplacement par de nouveaux dispositifs de soutien direct aux catégories sociales les plus démunies. "Dans les 10 prochaines années ou dans les 15 ans à venir, il n'y aura plus de surplus énergétiques exportables. Cela devrait pouvoir signifier quelque chose pour le pays", s'inquiète-t-il."Algérois-rois, Algériens-riens"Au sujet de la consommation de carburants en Algérie, l'invité de Liberté fera une révélation de taille. "40% des véhicules de ce pays circulent à Alger dans un rayon de 50 km : si on appliquait la règle de trois, 1 050 milliards de dinars de subventions sont consommés par la capitale." Benachenhou évoque là "une injustice territoriale" en laissant suggérer que cette capitale qui commande le sort du pays est, bel et bien, le centre de la bêtise nationale. La paix sociale s'achetant dès le pas de leur porte, nos dirigeants, qui ne voient pas plus loin que derrière la vitre de leurs bureaux algérois, se doutent à peine qu'il existe aujourd'hui dans cet immense pays d'autres régions. De toute manière, "Algérois-rois, Algériens-riens" est une boutade aussi vieille que la prise d'Alger en 1830 par les Français. Pour des raisons historiques liées essentiellement à la domination coloniale, Alger a donné son nom à l'Algérie et s'est uni par la force autour de cette capitale.À ce sujet, le professeur pourrait même approfondir sa réflexion en notant que parmi les conséquences directes de l'individualisme ravageur de nos dirigeants, que ce soit pour Dame Coupe d'Algérie ou encore Miss Algérie, tout est fait en sorte pour que l'élu(e) ne sorte jamais d'ailleurs qu'Alger. Une ultime concession donnée aux Algérois, un compromis non dénué d'arrière-pensées politiques... Il faut signaler également que l'hôte de Liberté a livré sa réflexion devant un parterre de personnalités notamment des diplomates et d'éminents économistes. Présent l'ancien P-DG de Sonelgaz, Abdelkrim Benghanem n'a pas manqué d'exprimer en partie son désaccord au cours du débat. Il lui est ainsi difficile d'imaginer, pour sa part, de facturer le kilowattheure à 20 dinars, l'unité. D'après lui, il fallait, coûte que coûte, préserver la paix sociale au sortir d'une période très difficile de notre histoire. Il a ainsi insisté sur l'évaluation du prix de l'intrant. "La différence entre le prix qu'aurait pu vendre à l'étranger Sonatrach et le coût de production est ce qu'on appelle la rente. Pourquoi voulez-vous Monsieur Benachenhou que le citoyen algérien ne bénéficie pas de la rente ' Ce n'est pas par là qu'il faut commencer car ce n'est qu'un transfert, un simple passage...". En fait, l'aspect le plus intéressant de ce débat fort animé est qu'à aucun moment, il n'a été évoqué le fait que l'économie algérienne soit aujourd'hui déconnectée du contexte mondial. Il est vrai que charbonnier est maître chez soi... L'essentiel pour Benachenhou est que le citoyen algérien doit pouvoir se faire une idée. Du Benchmarking qu'il propose. "Ici, on donne le quart des richesses et ailleurs '" serait, pour lui, une question pertinente. "Prenons le cas de l'eau, une denrée rare cédée à un prix dérisoire. Qui doit en profiter ' Les agriculteurs ' Les ménages ' Les industriels ' Le débat n'est pas clos ! En fait, c'est quoi la priorité dans ce pays ' Ou n'y a-t-il pas de priorités '" s'interroge-t-il. Il ne manquera pas de relever la perversion que produit également ce système sur les relations de travail. "Dans un pays qui donne 24% de son PIB sans contrepartie aux citoyens, on ne peut pas parler raisonnablement de contrainte budgétaire. Il n'y a pas trente-six mille manières pour mettre les gens au travail. Il y a la violence de l'esclavage et il ya la contrainte budgétaire. Dans un pays où la contrainte budgétaire est molle, on est tous responsables !""Sortir des subventions et non pas en finir"Benachenhou parle surtout de la nécessité d'une mutation conceptuelle et d'une rupture radicale avec des concepts qui ont longtemps entretenu en Algérie bien des illusions. Aujourd'hui, la réalité économique et sociale a profondément changé. "Sortir des subventions mais d'une manière ordonnée avec un calendrier mis en place". Une telle décision nécessite de connaître avec précision l'effort à consentir par les uns et les autres. Il propose, à cet égard, "une démarche progressive, sélective et territoriale". "Quand je dis que nous avons 14 à 15 ans pour régler nos problèmes, je veux dire que nous avons des ressources pour cela. On ne veut pas de sortie violente ni faire peur à la population." Mais pourquoi personne ne bouge ' "Sur le plan politique, il n'y a ni offre ni demande de réforme. J'ai préféré m'adresser à nous tous plutôt qu'aux gouvernants. 50% de la population tirent profit des 80% des subventions implicites. Je peux vous assurer que cette moitié de la population ne veut pas de changement". Pour lui, c'est d'abord une question de logique forte. À l'en croire, une politique éclairée pourrait consister à rassurer d'abord la population en lui disant que les subventions versées aujourd'hui ne diminueront pas dans un premier temps mais qu'à l'avenir cette évolution sera inévitable. "C'est le principe de fongibilité." C'est aussi une manière de demander aux Algériens d'apprendre à compter sur eux-mêmes. Et on devine déjà que cette remise en cause sera loin de faire l'unanimité notamment chez "les amoureux du peuple" avec qui l'ancien ministre avait déjà eu maille à partir. Si le débat sur la redistribution de la rente n'est certes pas nouveau, il est depuis longtemps déjà un sujet qui fâche. On peut préciser à ce sujet que le professeur a pris la question avec des pincettes en réduisant notamment l'absence de courage politique à un simple "déficit de pédagogie". Et comme l'heure n'est pas encore aux restrictions budgétaires, on voit mal l'actuel gouvernement se passer de la rente énergétique et repenser la politique sociale du pays. Ce serait enlever, assurément, aux dirigeants la possibilité de crier, à hue et à dia, leur extrême bonté quand il s'agit d'évoquer leur générosité à travers les chiffres mirobolants des transferts sociaux. Ce serait également scier la branche sur laquelle est assise toute la nomenklatura qui, elle, notons-le, vit quasiment "à l''il" avec zéro dépense.M.-C. L.




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