Si Mohand u Yahia, le dramaturge et poète, n'est plus à présenter, peu de gens connaissent Abdallah Mohia, l'homme derrière le mythe. Aujourd'hui, plusieurs intellectuels se battent pour que la maison de la culture d'Azazga à Tizi Ouzou porte le nom du grand homme. Idir Mohia, du haut de ses 21 ans, a peu connu son oncle mais empreint d'admiration et de fascination pour lui, c'est auprès de sa famille et des amis du regretté Abdellah qu'il nourrit sa mémoire. «Il y a le dramaturge qui appartient à tout le monde et le tonton que je n'ai pas assez connu, mais dont on m'a beaucoup parlé.» Son oncle, il l'évoque avec sourire en coin, pudeur et nostalgie. Mohia est né le 1er novembre 1950 à Azazga dans une famille originaire du village Ath Eurbah, dans la commune d'Iboudrarène.
Au lycée Amirouche de Tizi Ouzou, déjà, le jeune Abdallah participait à l'élaboration d'une petite gazette dans laquelle il recueillait des proverbes kabyles et a joué dans quelques pièces de théâtre. Pendant près de trois ans, il a assisté aux cours de berbère dispensés par Mouloud Mammeri. Plus tard, il a côtoyé Kateb Yacine et dira de lui qu'«il était son maître à penser», raconte son neveu avec fierté. «C'était un homme très discret et introverti, mais il avait une aura incroyable qui intimidait un peu et un sens aigu de la rhétorique», poursuit Idir, musicien et arrangeur. Il se souvient qu'à l'aube de ses 9 ans, alors qu'il s'était invité à l'une de ses réunions de travail, celui-ci lui avait offert un livre du philosophe grec Platon.
Exil
En 1968, Abdallah rejoint l'université d'Alger pour des études en mathématiques avant de s'exiler en France. «Il avait besoin de prendre du recul par rapport à cette culture, afin d'apprendre et pouvoir apporter davantage à la langue kabyle», témoigne Idir. En effet, à Paris, il intègre le Groupe d'études amazighes créé à l'université Paris VIII et participera à l'élaboration de la revue du groupe, le Bulletin d'études amazighes (BEA) qui deviendra Tisuraf. C'est d'ailleurs pour cette revue qu'il accordera au milieu des années 1980 l'unique interview de sa carrière. A Paris, il s'improvise veilleur de nuit, commerçant dans une petite épicerie ou donne des cours d'amazigh. Au début des années 1980, il constitue un groupe de traduction et d'adaptation et entame la traduction de ce que la littérature a produit de plus sublime vers sa langue maternelle : le kabyle, tout en produisant ses propres écrits. Le médecin malgré lui de Molière, Le ressuscité (Muhand Ucaâban) de Lu Xun ou encore La Jarre (traduction française de La Giara de Pirandello.
«Le génie de Mohia était d'adapter des pièces de théâtre qui n'ont rien à avoir avec la culture kabyle ou algérienne de manière à ce qu'en l'écoutant, on ait l'impression que ça vient de chez nous», raconte Idir, une flamme dans les yeux. «Il avait le talent de trouver les bons mots, voire de les inventer à base de mots qui existaient déjà, et ce, en incluant des subtilités bien kabyles», poursuit-il. C'est sa façon de contribuer au rayonnement de sa langue. Un combat auquel il aura voué sa vie. Il faut croire que son amour pour la langue kabyle et sa grande sensibilité artistique et littéraire étaient profondément enfouis au creux de son âme, puisque peu de temps avant sa mort, alors qu'il souffrait d'amnésie et que l'image même des siens s'embrouillait, Mohia récitait de vieux poèmes, des proverbes, des citations. «C'était très marquant, surtout qu'il évoquait des citations de Nietszche et Spinoza, alors qu'il avait du mal à nous reconnaître...» Donner le nom de son oncle à la maison de la culture de Azazga ' «C'est un bel hommage, même si je suis sûr qu'il n'aurait pas aimé, commente son neveu. C'est dommage que les gens connaissent son nom mais pas ses œuvres. Il a donné des années de travail et j'ai l'impression que son message n'a pas été perçu tel qu'il aurait aimé qu'il le soit…»
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Posté Le : 08/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Nesrine Sellal
Source : www.elwatan.com