Ce fut le nom de cet abri souterrain à Baghdad ciblé, le 13 février 1991, par l’aviation américaine qui avait cru – ô tromperie ! – qu’il s’agissait de la cache de Saddam Hussein et de son état-major. Ce jour-là, plus de 1500 personnes furent massacrées par une machine de guerre aveugle qui, sur de faux renseignements, avait renoué avec une sinistre tradition ayant prévalu dans la politique extérieure américaine depuis ce qui est communément désigné comme la doctrine Monroe : Wounded Knee où des «peaux-rouges», affamés et réduits à néant, devaient livrer, en 1890, leur dernière bataille contre la soldatesque américaine ; la ville de Dresde, en Allemagne, complètement détruite en janvier 1945 ; Hiroshima et Nagasaki rasées de la surface de la planète, en août 1945 ; Guelma et Kherrata, par exécutant interposé, c’est-à-dire le colonialisme français ; napalm déversé à torrents sur le Vietnam et autres lieux de massacre à travers le monde... Mais, que vient faire ce paysage dantesque dans le monde de la musique '
Il est de tradition dans la poésie irakienne de chanter les grands exploits et les faits de guerre depuis le temps des Manadhiras, qui étaient, en quelque sorte, les vassaux de la Perse avant l’avènement de l’Islam. Mais, cette fois-ci, il fut dérogé à cette ligne de conduite au profit de la musique. Le virtuose du luth, Nassir Chemma, nous donne aujourd’hui à relire en musique Al-Amiria, cette page d’histoire en tragédie majeure. Pourtant, la qualité première de la musique modale orientale, c’est de compter sur le côté lyrique de la musique plutôt que d’être une musique imagée, comme on le constate dans des compositions venues d’autres aires culturelles du monde.
Entre ses mains, le luth, plutôt que de rester cet instrument se confondant uniquement avec la musique orientale, acquiert un statut universaliste, c’est-à-dire, en mesure de se comporter comme un instrument de plein droit dans n’importe quel orchestre symphonique, et ce, grâce à une nouvelle technique de jeu, savamment développée depuis les années trente du siècle dernier par le grand Chérif Mohiédine Haïder (1892-1967).
Nassir Chemma a bien fait d’appeler son poème symphonique, Al-Amiria, en souvenir de cette épisode terrible qui a fait, depuis, le tour du monde grâce à certains grands reporters photographes. On y décèle des traits de mélodies irakiennes venues du fin fond de l’histoire babylonienne, mais aussi, et c’est là l’essentiel, une modernité musicale qui n’est pas sans rappeler certains poèmes symphoniques contemporains.
Effet de vibrato sur le manche du luth, trilles et glissando jusqu’à la rosace pour mettre en relief le vrombissement sauvage des bombardiers américains, cris d’horreur lancés par des enfants et des femmes et puis, un final suivi d’un silence morne. Dans cette nouvelle composition, Nassir Chemma se met dans la peau d’un mystique. Son approche ne diffère pas de celle d’un calligraphe de l’époque classique, celui qui se levait avec l’aube, faisait sa prière avant de se mettre face à son pupitre pour vaquer à ses arabesques. Cela pourrait rappeler aussi, à un certain degré, Le Chasseur maudit, poème symphonique du belge César Franck (1822-1890), Dans les steppes de l’Asie centrale» d’Alexandre Borodine (1833-1887), ou encore la Moldau de Bed'ich Smetana (1824-1884) et même certains traits mélodiques lancés par l’Algérien Cheikh Daghmani, éminent virtuose du Ney.Il est à regretter que ce poème symphonique de Nassir Chemma ne soit pas largement diffusé dans le monde.
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Posté Le : 19/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Merzac Bagtache
Source : www.elwatan.com