Le déclassement des abattoirs d'Alger, prévus pour accueillir une friche culturelle, a provoqué la colère des artistes. Le ministère de la Culture parle, de son côté, de malentendu.Plus de 1000 signatures récoltées par deux pétitions lancées par des artistes d'art plastique contre la décision d'abrogation du projet de classement des abattoirs par la nouvelle ministre de la Culture. Alors que certains accusent le ministère, tels que l'artiste Mustapha Nedjai, qui assure qu'«un pouvoir archaïque ne peut engendrer un Etat moderne», et d'autres pointent du doigt la non-cohésion des artistes, l'affaire reste floue aux yeux de tous. Cette décision, qui a suscité de vives critiques, est revenue au mois de juillet dernier, lors de l'abrogation du projet de classement des abattoirs par la commission intersectorielle, et pour cause «n'étant pas un bien patrimonial, le site n'ouvre pas droit au classement».Cependant, très contrariés, de nombreux artistes ont exprimé leur désarroi et leur incompréhension, à l'image du graphiste et plasticien, Mourad Krinah, qui affirme : «Comme tous les citoyens qui y croyaient, j'ai appris cette nouvelle avec beaucoup de stupéfaction. C'est une grande déception.» Un sentiment largement partagé par l'artiste plasticien Farid Benyaa, qui avoue être «terriblement déçu par cette décision». «Ce projet était l'opportunité de donner une dimension universelle à l'art afin qu'il reprenne la place qu'il aurait toujours dû avoir», explique-t-il. L'artiste, qui voyait en ces abattoirs «un espace qui réunit les artistes de tous les arts confondus», affirme que ces derniers «devaient être un lieu où il y aurait eu une concentration d'artistes, car ces derniers sont éclatés, chacun perdu dans son monde».PressionUne source, qui a déjà travaillé sur des projets avec le ministère de la Culture, assure que ce projet était une «aubaine, il permettait de protéger de la démolition les abattoirs». Gavé par l'inertie des artistes, Ali Tarik Ouamer, administrateur du site Founoune, explique : «Le problème est dans le fait que cette affaire soit restée dans l'air virtuel, car les deux collectifs n'ont pas fusionné. Il y a pas eu de sit-in ni de déplacements.» «Au lieu de chercher à ce que l'Etat leur donne un espace qui fait l'objet d'une expertise, ils devraient d'abord récupérer les espaces qui leur appartiennent, à l'image de la galerie Mohammed Racim qui est toujours fermée par manque de cohésion de groupe», conclut-il. Un certain nombre d'artistes ont lancé, l'année dernière, un appel demandant aux pouvoirs publics de convertir ces lieux en «un espace dédié à l'art et à la culture», à l'exemple des pays voisins, tels que le Maroc.«Malheureusement, dans les pays voisins comme la Tunisie ou le Maroc, l'Etat a de la considération pour les artistes. Chez nous, c'est aux étrangers qu'on accorde cette intention», constate Djahida Houadef, artiste plasticienne. La demande des artistes n'étant pas été prise en considération, Mourad Krinah se désole : «En Algérie, on préfère investir dans des centres commerciaux.» Une autre source attribue cette décision à la cherté du marché immobilier dans la capitale. «Je ne suis pas très étonné que le gouvernement ait pris cette décision en raison de la pression immobilière. La terre est trop précieuse, on ne la donne pas aux artistes», explique la source.CommissionFarid Benyaa, lui, estime : «De par leur superficie et leur architecture, les abattoirs sont toujours convoités par ceux qui ont le pouvoir de les acquérir.» Quelle est donc la vraie raison derrière cette abrogation ' D'une part, «le problème ne vient pas des institutions publiques mais des artistes eux-mêmes», accuse Ouamer Ali Tarik. Pour lui «les institutions marchent en fonction de la pression publique et c'est justement cette pression qui manque». Ce dernier pointe du doigt les artistes algériens qui privilégient «le concept solo» à «la cohésion de groupe et l'intérêt de tous». D'autre part, Mourad Krinah explique : «Le site des abattoirs est au centre de beaucoup de convoitises, tiraillé entre le ministère de la Culture, la wilaya d'Alger et des investisseurs privés.» Et de poursuivre : «Certaines sources affirment que le dossier de l'ex-ministre était mal ficelé et qu'il n'avait aucune chance d'avoir gain de cause.»Une explication confirmée par le ministère : «Cet arrêté était non valide réglementairement. Il a été promulgué concernant un site qui était déjà, et depuis cinq ans, sous l'emprise d'une mesure réglementaire, par décret, portant déclaration d'utilité publique dudit site pour la réalisation du siège du nouveau Parlement.» Un projet qui étonne fortement l'artiste Mustapha Nedjai : «Ils veulent s'installer dans un quartier populaire alors qu'ils sont son contraire !» Par ailleurs, une source anonyme affirme : «Ce qu'a fait Khalida Toumi les a pris de court, ils ne s'attendaient pas à ce qu'elle les classe, il fallait donc absolument arrêter ce classement, car ce terrain est convoité depuis des années. Il y a donc des enjeux.»Cette source très au courant de l'affaire dénonce : «Cette ministre aurait dû se battre pour classer les abattoirs, car c'est une aubaine pour la population algéroise et la culture algérienne, étant donné qu'ils représentent le lieu idéal pour que la culture arrive à la rue. Au lieu de cela, elle l'abroge.» Notre source reste dubitative quant à la rapidité de la réunion de la commission qui a abrogé le projet de classement et qui s'est tenue en un temps record (trois mois). Elle assure qu'«il y a toute une procédure afin d'arriver à cette commission, ça devrait prendre au minimum six mois. De plus, nous sommes en période de vacances (la rencontre a eu lieu en été)». «Comment se fait-il qu'en trois mois, tout le travail, qui devait être fait par la direction de la culture d'Alger, la mairie de Hussein Dey, le secrétariat technique du ministère qui doit faire au préalable un travail pour démontrer que justement les abattoirs ne doivent pas être classés, a été accompli '», s'interroge-t-elle.Selon une source du ministère de la Culture, «il n'y avait pas eu de réunion de la commission.» Pour le ministère, cette histoire est le fruit d'une mauvaise interprétation de certains artistes, car le projet «ne signifiait nullement un classement des ??abattoirs'' sur la liste du patrimoine culturel, mais seulement, comme son nom l'indique, une ouverture d'instance de classement. Car il fallait mettre de la cohésion dans le processus juridique». En somme, explique-t-on au ministère de la Culture, «la décision est venue de plus haut, pour éclaircir une situation de malentendu». «L'objectif du ministère, selon notre source, reste de rendre disponibles des espaces pour les artistes, des espaces nouveaux et d'autres à récupérer. Des négociations sont en cours avec différentes autorités.»
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Posté Le : 03/10/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Ouahib
Source : www.elwatan.com