Algérie

Abane Ramdane : un homme, une grande histoire



On ne peut parler du congrès de la Soummam sans citer le nom de son architecte, Abane Ramdane. On ne peut pas non plus évoquer la mémoire de ce grand homme sans s’attarder, inévitablement, sur cette œuvre majeure que furent les premières assises de la Révolution algérienne.

L’homme et l’événement historique se complètent. Se confondent. A l’évidence, novembre 1954 n’était pas tombé du ciel, pas plus qu’il n’était le produit d’une quelconque spontanéité. Derrière les grandes épopées, il y a forcément de grands hommes, des hommes d’exception qui, comme Abane, sont capables de porter et supporter le lourd fardeau qu’est le destin de leurs nations. Cinquante ans après le congrès de la Soummam, Abane Ramdane, dont l’assassinat en 1957 a éclaboussé à ce jour la Révolution, demeure ce rigoureux intellectuel et cet organisateur hors pair dans l’imaginaire collectif des Algériens. La sévérité qu’on lui prête s’est admirablement fondue dans la sagesse proverbiale de son ami Ben M’hidi pour former un duo dirigeant d’une rare efficacité. Et, à l’époque, il n’y avait pas meilleure recette pour mettre sur rail un mouvement insurrectionnel qui prétendait vouloir briser le joug colonial, mais qui a péché par son improvisation. Vint alors Abane Ramdane… Déjà rassembleur avant le déclenchement de la Révolution en prenant sur lui de faire rallier les courants récalcitrants à l’action armée, à l’image des oulémas et des communistes, le talent d’organisateur de Abane Ramdane a fini par faire l’unanimité parmi les dirigeants de la cause nationale. Conscient de l’importance d’une architecture organisationnelle pour la lutte armée, Abane souhaitait tenir le congrès de la Soummam juste après le déclenchement, soit le 20 août 1956. Mais les retards accusés dans l’établissement des contacts, notamment à l’étranger, conjugués à certaines résistances ont fini par avoir raison de la fougue de Abane. Ce ne fut cependant que partie remise puisque, une année, jour pour jour, ce dernier réussira son coup avec son complice Larbi Ben M’hidi en tenant ce fameux congrès qui, non seulement avait tracé le chemin de la Révolution, mais également scellé le destin démocratique de la jeune nation algérienne. Au-delà des décisions politico-militaires adoptées lors de ces assises, il faut sans doute souligner le grand mérite de Abane Ramdane et ses collaborateurs d’avoir su et pu tromper la vigilance de l’armée coloniale en allant se nicher là-haut sur les hauteurs de ce petit village d’Ifri, à Béjaïa, à l’abri des regards, pour décider du sort d’une Révolution. C’est là tout le génie de ces hommes que l’Algérie indépendante d’aujourd’hui ne remerciera jamais assez. Grâce à ce congrès historique, la résistance des Algériens contre l’occupant a désormais son organisation, sa pyramide de commandement et ses structures politiques et militaires. A partir du 20 août 1956, la Révolution était effectivement en marche… De Abane à... La lutte s’organisa sur tous les fronts à travers la mise en place de plusieurs structures qui allaient faire office d’un véritable Etat dans un Etat, plutôt un désordre colonial. Il est question d’un Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) composé de 34 membres qui faisait fonction de parlement et d’un Comité de coordination et d’exécution (CCE) composé de 5 membres qui assurait la tâche d’un gouvernement. Une telle architecture épouse parfaitement celle d’un Etat moderne avec ses lois et ses institutions. Au plan politique, Abane Ramdane a fait adopter le principe de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Ces résolutions stratégiques lui valurent des inimitiés déclarées de certains responsables qui comprirent que la révolution commençait à leur échapper. L’enjeu étant l’avenir politique de l’Etat algérien post-indépendance. Alors que Abane et ses compagnons avaient abattu leurs cartes à Ifri en faveur d’une République démocratique et sociale, d’autres eurent déjà engagé une course effrénée pour le pouvoir. Un pouvoir sans partage. Le fossé qui séparait les deux conceptions de l’Etat algérien s’élargissait au fur et à mesure que s’aiguisaient les appétits et s’entrechoquaient les positions. Ce terrible bras de fer qui opposait le métronome Abane Ramdane aux militaires, notamment les trois B — Boussouf, Bentobal et Krim Belkacem —, connut une fin tragique avec la liquidation sans état d’âme de Abane, le 27 décembre 1957 à Tétouan, au Maroc. Cette fin brutale de celui qui était sans doute promis à être le premier président de la jeune république a replongé la révolution dans les incertitudes et ouvert la voie aux grands dérapages. Dès lors, l’assassinat est devenu une pratique politique bien ancrée dans les mœurs algériennes et le coup d’Etat une culture de pouvoir. Aujourd’hui, un demi-siècle après la tenue de ce congrès de la Soummam et la mort de son artisan, les Algériens rêvent encore de cet Etat démocratique et social que les pouvoirs successifs s’évertuent maladroitement à célébrer sans jamais oser franchir le pas. Cet Etat-là reste un mythe tout autant que l’assassinat de celui qui l’a pensé.




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