Algérie

A votre santé… !



«La véritable mission des prédicateurs est de s'immerger dans les lieux de débauche où votre présence est plus utile pour soulager la détresse spirituelle des naufragés de l'alcool et des victimes de tous les fléaux sociaux. Votre rôle n'est-il pas de sensibiliser le maximum de personnes aux préceptes de l'Islam et de gagner leur cÅ“ur pour rallier leur esprit vers le droit chemin par les vertus du dialogue, la persuasion par la force de l'exemple et le pouvoir de conviction. Ceux qui fréquentent déjà la mosquée n'ont guère un grand besoin de votre aide pour pratiquer leur religion, ils y viennent d'eux-mêmes ».

Ces paroles ont été déclamées dans le style polémiste qui faisait son originalité par le légendaire Mouloud Kacem Naît Belkacem, alors au firmament de son érudition lors d'une de ses inoubliables conférences. Le parterre où bourgeonnaient déjà les apprentis intégristes de l'époque et futurs gardiens du temple, sidéré par cette culture religieuse frisant l'insolence, se garda d'opposer la moindre argutie à cette vérité tellement elle était singulière mais rationnelle.

C'était le KO magistral comme savait si bien l'assener cet Algérien pur-sang devant un aréopage d'illustres savants venus des quatre coins du monde animer l'un des fameux séminaires de la pensée islamique qu'organisait périodiquement le pays avant de sombrer dans la médiocrité de l'archaïsme.

De compromis en compromission on a laissé le champ libre à ceux qui veulent régenter notre vie, jusqu'à la manière de s'habiller ou la longueur de la barbe.Quelques îlots de résistance aux assauts du derwichisme s'échinent encore à… sauver de la déchéance les derniers lambeaux du niveau culturel qui nous restent… du temps où notre culture et notre université forçaient le respect!

Quant à prétendre rejoindre le parangon des autres pays où l'éducation des générations est l'affaire la plus sacrée et la plus protégée c'est carrément de la mystification avec le système d'enseignement actuel lourdement discrédité par la forfaiture des techniques d'évaluation. Le dernier classement international de notre pays en queue du peloton n'a parait-il provoqué aucune ride sur l'océan de la sérénité proverbiale de notre gotha culturel. Comme on peine à proposer des alternatives audacieuses pour sortir du bricolage on succombe aux sirènes du charlatanisme et son programme de choix : la batterie des restrictions des libertés individuelles : la yajouz !

La première trouvaille est tout indiquée : L'origine de nos malheurs vient du vin et de la bière, et la panacée est toute trouvée : On n'a qu'à fermer les bars et persécuter les adeptes de Bacchus pour gagner la clémence de Dieu et arracher peut être quelques Nobel de passage.

Pour cela il faut interdire tout genre de boisson alcoolisée (pour les lampistes surtout) alors que notre frontière est une véritable passoire et que l'Europe est plus proche que nos villes du Sud pour nous approvisionner en abondance.Sans oublier nos propres usines qui tournent à plein rendement pour nous désaltérer avec le produit bien de chez nous.

A voir de plus prés les contours de cette curieuse dévotion qui s'intéresse un peu trop aux affaires juteuses on découvre avec effroi les objectifs réels de cette revendication et l'étendue de ses conséquences.

Quelqu'un rapporte comment la quiétude de son village a brusquement basculé un jour à cause de ces interdits qui aboutissent systématiquement à la multiplication du mal qu'on voulait combattre.A quelques rues de son domicile il y avait un bar ou se rendaient discrètement les quelques buveurs de boissons alcoolisées pour s'adonner à leur péché mignon et regagner leur foyer en se faufilant sous les murs pour ne pas être vu. Personne ne s'est jamais offusqué auparavant de l'existence de cet endroit qui n'avait connu aucun incident pour perturber la sérénité des riverains.Les deux bords, aussi bien les amateurs des vapeurs éthyliques que les fidèles de la mosquée se respectaient mutuellement et vaquaient normalement à leurs affaires. Jusqu'au jour où quelqu'un qui en voulait au barman pour un litige des plus ordinaires lui monta une cabale entraînant dans son sillage un petit groupe de barbus qui ne se fit pas prier pour rappeler aux autorités que l'alcool est « beaucoup haram ».Les « vertueux » ne pouvaient plus supporter l'existence de ce lieu maléfique accusé d'être la cause principale de la tiédeur religieuse ! L'Autorité doit exécuter la sentence sinon …

Dans le souci de sauvegarder la paix sociale au prix de reniements qu'on regrettera toujours en retard, on ferma le bar aussi sec.

Quelques jours après cette courageuse décision, les rues du village et même la campagne environnante commençaient à être jonchées de drôles d'objets inconnus jusque là : des canettes, des bouteilles et des berlingots en cartons en plus des restes des kémias jetées en pleine nature. C'était les témoignages des beuveries en plein air.

Au bout d'un certain temps, et grâce à cette leçon de chose grandeur nature, nos garnements ont fini par connaître toutes les marques de vin et de bière commercialisées dans la région et vous diront, sans l'ombre d'une hésitation, quelle est la marque qui a la cote en ce moment.Une initiation précoce en quelque sorte.

On les retrouve partout, dans le parc de loisirs où elles sont certainement plus nombreuses que les fleurs et même dans les encoignures des cours et perrons des établissements scolaires et sociaux. Le meilleur coin que se disputent plusieurs groupes cependant c'est le jardin du tribunal juste en face du commissariat. Là c'est le lieu de rendez-vous des gros bras qui exhibent ostensiblement en pirouettant leur cran d'arrêt menaçant à la vue des gens trop curieux. Question d'afficher impudiquement la haute opinion qu'ils ont de la communauté et de ses lois !

Le soir, les jeunes véhiculés migrent vers des contrées plus hospitalières à leur goût pour faire la fête et terminer la soirée, au retour, par un tonitruant rodéo dans la ville endormie.Des fois ces virées nocturnes s'achèvent malheureusement dans le drame des accidents et des rixes d'ivrognes.

Les non motorisés ont l'embarras du choix entre les bars ambulants aménagés dans des fourgons garés un peu à l'abri du regard ou certaines demeures qui se sont transformées en tavernes clandestines

Pour les pauvres c'est le recours au redoutable « zembrito » et autres préparations alambiquées et parfois funestes. Le village jadis paisible, est devenu une coupe gorge la nuit, livré à une bande de voyous. Gare à celui qui s'aventure dans l'obscurité, il a toutes les chances de tomber, au détour d'un pâté de maisons, entre les griffes de jeunes loubards éméchés.

Résultat des courses on a fermé un bar réglementé et contrôlé et où le problème était localisé et circonscris et on a de ce fait provoqué la propagation du mal par l'éclosion de mille autres clandestins gérés en sous- traitance par de pauvres chômeurs alors que les fonds sont détenus par des barons bien tapis dans l'ombre.Parfois par ceux-la même qui reprochent au reste de la société d'être d'affreux infidèles condamnés à la géhenne.

En réalité c'est une construction diabolique pour échapper au fisc et à toutes les obligations légales de l'activité commerciale. Déployer son activité en boostant les ventes dans un cadre informel ou l'on reste les seuls à décider de l'organisation et de l'animation du réseau des ventes et surtout des prix à pratiquer sans aucune contrainte de charge. Une technique redoutable qui a été étendue à d'autres créneaux au détriment de l'état qui n'a plus aucun moyen de récupérer les taxes et du consommateur qui va subir de plein fouet la spirale infernale des prix.Un autre objectif aussi important : engluer les services de sécurité dans des tâches marginales pour les dérouter des poursuites de délits et de crimes autrement plus dangereux

Cette stratégie est étayée par une batterie de moyens de coercition, principalement la corruption, pour que les services concernés ferment l'Å“il et laissent durer le plaisir le plus longtemps possible !

Quotidiennement la presse signale la saisie de quelques caisses, ce qui n'empêche guère que de l'autre coté des convois entiers de containers se baladent d'une frontière à l'autre sans connaître le moindre répit. Il n'y a jamais eu autant de consommation d'alcool que depuis son interdiction. On se trouve à l'antipode de l'intention religieuse du départ avec laquelle on a pu mobiliser les foules de crédules à suivre et soutenir la revendication d'assainissement moral de la société. Boire ou ne pas boire a toujours été une affaire de conviction purement personnelle qui ne peut être traitée que par une éducation de longue haleine avec la contribution de toutes les parties : parents, école, mosquée, société, environnement etc. Toutes les expériences basées sur l'interdiction ont lamentablement échoué et ont le plus souvent produit l'effet contraire.

Rappelons-nous la période de la prohibition aux Usa et tous les événements peu glorieux auxquels elle a servi de trame. Vouloir empêcher d'une manière autoritaire quelqu'un de faire quelque chose c'est la meilleure formule pour l'inciter à vous défier et chercher pour affirmer l'inviolabilité de son territoire d'autres moyens qui peuvent être plus nocifs aussi bien pour lui que pour son entourage. S'il faut être un sacré rigolo pour rêver de standardiser dans un même moule toute l'humanité que penser de celui qui utilise le prétexte religieux pour des visées purement mercantiles ?








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