«La véritable
mission des prédicateurs est de s'immerger dans les lieux de débauche où votre
présence est plus utile pour soulager la détresse spirituelle des naufragés de
l'alcool et des victimes de tous les fléaux sociaux. Votre rôle n'est-il pas de
sensibiliser le maximum de personnes aux préceptes de l'Islam et de gagner leur
cœur pour rallier leur esprit vers le droit chemin par les vertus du dialogue,
la persuasion par la force de l'exemple et le pouvoir de conviction. Ceux qui
fréquentent déjà la mosquée n'ont guère un grand besoin de votre aide pour
pratiquer leur religion, ils y viennent d'eux-mêmes ».
Ces paroles ont
été déclamées dans le style polémiste qui faisait son originalité par le
légendaire Mouloud Kacem Naît Belkacem,
alors au firmament de son érudition lors d'une de ses inoubliables conférences.
Le parterre où bourgeonnaient déjà les apprentis intégristes de l'époque et
futurs gardiens du temple, sidéré par cette culture religieuse frisant
l'insolence, se garda d'opposer la moindre argutie à cette vérité tellement
elle était singulière mais rationnelle.
C'était le KO
magistral comme savait si bien l'assener cet Algérien pur-sang devant un aréopage
d'illustres savants venus des quatre coins du monde animer l'un des fameux
séminaires de la pensée islamique qu'organisait périodiquement le pays avant de
sombrer dans la médiocrité de l'archaïsme.
De compromis en
compromission on a laissé le champ libre à ceux qui veulent régenter notre vie,
jusqu'à la manière de s'habiller ou la longueur de la barbe.Quelques
îlots de résistance aux assauts du derwichisme
s'échinent encore à… sauver de la déchéance les derniers lambeaux du niveau
culturel qui nous restent… du temps où notre culture et notre université
forçaient le respect!
Quant à prétendre
rejoindre le parangon des autres pays où l'éducation des générations est
l'affaire la plus sacrée et la plus protégée c'est carrément de la
mystification avec le système d'enseignement actuel lourdement discrédité par
la forfaiture des techniques d'évaluation. Le dernier classement international
de notre pays en queue du peloton n'a parait-il provoqué aucune ride sur
l'océan de la sérénité proverbiale de notre gotha culturel. Comme on peine à
proposer des alternatives audacieuses pour sortir du bricolage on succombe aux
sirènes du charlatanisme et son programme de choix : la batterie des
restrictions des libertés individuelles : la yajouz !
La première
trouvaille est tout indiquée : L'origine de nos malheurs vient du vin et de la
bière, et la panacée est toute trouvée : On n'a qu'à fermer les bars et
persécuter les adeptes de Bacchus pour gagner la clémence de Dieu et arracher
peut être quelques Nobel de passage.
Pour cela il faut
interdire tout genre de boisson alcoolisée (pour les lampistes surtout) alors
que notre frontière est une véritable passoire et que l'Europe est plus proche
que nos villes du Sud pour nous approvisionner en abondance.Sans
oublier nos propres usines qui tournent à plein rendement pour nous désaltérer
avec le produit bien de chez nous.
A voir de plus
prés les contours de cette curieuse dévotion qui s'intéresse un peu trop aux
affaires juteuses on découvre avec effroi les objectifs réels de cette
revendication et l'étendue de ses conséquences.
Quelqu'un
rapporte comment la quiétude de son village a brusquement basculé un jour à
cause de ces interdits qui aboutissent systématiquement à la multiplication du
mal qu'on voulait combattre.A quelques rues de son
domicile il y avait un bar ou se rendaient discrètement les quelques buveurs de
boissons alcoolisées pour s'adonner à leur péché mignon et regagner leur foyer
en se faufilant sous les murs pour ne pas être vu. Personne ne s'est jamais offusqué
auparavant de l'existence de cet endroit qui n'avait connu aucun incident pour
perturber la sérénité des riverains.Les deux bords,
aussi bien les amateurs des vapeurs éthyliques que les fidèles de la mosquée se
respectaient mutuellement et vaquaient normalement à leurs affaires. Jusqu'au
jour où quelqu'un qui en voulait au barman pour un litige des plus ordinaires
lui monta une cabale entraînant dans son sillage un petit groupe de barbus qui
ne se fit pas prier pour rappeler aux autorités que l'alcool est « beaucoup haram ».Les « vertueux » ne pouvaient plus supporter
l'existence de ce lieu maléfique accusé d'être la cause principale de la
tiédeur religieuse ! L'Autorité doit exécuter la sentence sinon …
Dans le souci de
sauvegarder la paix sociale au prix de reniements qu'on regrettera toujours en
retard, on ferma le bar aussi sec.
Quelques jours
après cette courageuse décision, les rues du village et même la campagne
environnante commençaient à être jonchées de drôles d'objets inconnus jusque là
: des canettes, des bouteilles et des berlingots en cartons en plus des restes
des kémias jetées en pleine nature. C'était les
témoignages des beuveries en plein air.
Au bout d'un
certain temps, et grâce à cette leçon de chose grandeur nature, nos garnements
ont fini par connaître toutes les marques de vin et de bière commercialisées
dans la région et vous diront, sans l'ombre d'une hésitation, quelle est la
marque qui a la cote en ce moment.Une initiation
précoce en quelque sorte.
On les retrouve
partout, dans le parc de loisirs où elles sont certainement plus nombreuses que
les fleurs et même dans les encoignures des cours et perrons des établissements
scolaires et sociaux. Le meilleur coin que se disputent plusieurs groupes
cependant c'est le jardin du tribunal juste en face du commissariat. Là c'est
le lieu de rendez-vous des gros bras qui exhibent ostensiblement en pirouettant
leur cran d'arrêt menaçant à la vue des gens trop curieux. Question d'afficher
impudiquement la haute opinion qu'ils ont de la communauté et de ses lois !
Le soir, les
jeunes véhiculés migrent vers des contrées plus hospitalières à leur goût pour
faire la fête et terminer la soirée, au retour, par un tonitruant rodéo dans la
ville endormie.Des fois ces virées nocturnes
s'achèvent malheureusement dans le drame des accidents et des rixes d'ivrognes.
Les non motorisés
ont l'embarras du choix entre les bars ambulants aménagés dans des fourgons
garés un peu à l'abri du regard ou certaines demeures qui se sont transformées
en tavernes clandestines
Pour les pauvres
c'est le recours au redoutable « zembrito » et autres
préparations alambiquées et parfois funestes. Le village jadis paisible, est
devenu une coupe gorge la nuit, livré à une bande de voyous. Gare à celui qui
s'aventure dans l'obscurité, il a toutes les chances de tomber, au détour d'un
pâté de maisons, entre les griffes de jeunes loubards éméchés.
Résultat des
courses on a fermé un bar réglementé et contrôlé et où le problème était
localisé et circonscris et on a de ce fait provoqué la propagation du mal par
l'éclosion de mille autres clandestins gérés en sous- traitance
par de pauvres chômeurs alors que les fonds sont détenus par des barons bien
tapis dans l'ombre.Parfois par ceux-la même qui
reprochent au reste de la société d'être d'affreux infidèles condamnés à la
géhenne.
En réalité c'est
une construction diabolique pour échapper au fisc et à toutes les obligations
légales de l'activité commerciale. Déployer son activité en boostant
les ventes dans un cadre informel ou l'on reste les seuls à décider de
l'organisation et de l'animation du réseau des ventes et surtout des prix à
pratiquer sans aucune contrainte de charge. Une technique redoutable qui a été
étendue à d'autres créneaux au détriment de l'état qui n'a plus aucun moyen de
récupérer les taxes et du consommateur qui va subir de plein fouet la spirale
infernale des prix.Un autre objectif aussi important
: engluer les services de sécurité dans des tâches marginales pour les dérouter
des poursuites de délits et de crimes autrement plus dangereux
Cette stratégie
est étayée par une batterie de moyens de coercition, principalement la
corruption, pour que les services concernés ferment l'Å“il et laissent durer le
plaisir le plus longtemps possible !
Quotidiennement
la presse signale la saisie de quelques caisses, ce qui n'empêche guère que de
l'autre coté des convois entiers de containers se baladent
d'une frontière à l'autre sans connaître le moindre répit. Il n'y a jamais eu
autant de consommation d'alcool que depuis son interdiction. On se trouve à
l'antipode de l'intention religieuse du départ avec laquelle on a pu mobiliser
les foules de crédules à suivre et soutenir la revendication d'assainissement
moral de la société. Boire ou ne pas boire a toujours été une affaire de
conviction purement personnelle qui ne peut être traitée que par une éducation
de longue haleine avec la contribution de toutes les parties : parents, école,
mosquée, société, environnement etc. Toutes les expériences basées sur
l'interdiction ont lamentablement échoué et ont le plus souvent produit l'effet
contraire.
Rappelons-nous la
période de la prohibition aux Usa et tous les événements peu glorieux auxquels
elle a servi de trame. Vouloir empêcher d'une manière autoritaire quelqu'un de
faire quelque chose c'est la meilleure formule pour l'inciter à vous défier et
chercher pour affirmer l'inviolabilité de son territoire d'autres moyens qui
peuvent être plus nocifs aussi bien pour lui que pour son entourage. S'il faut
être un sacré rigolo pour rêver de standardiser dans un même moule toute
l'humanité que penser de celui qui utilise le prétexte religieux pour des
visées purement mercantiles ?
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Posté Le : 01/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amara Khaldi
Source : www.lequotidien-oran.com