Algérie

A quoi servent les festivals ?



Ces dernières années, les festivals succèdent aux festivals dans un environnement culturel extrêmement pauvre.Comme si la représentation artistique ne pouvait se résumer qu?à ce type de manifestations surréalistes qui auraient droit de cité dans un univers marqué par une grande activité.Ce qui n?est malheureusement pas le cas aujourd?hui où la chose culturelle est tragiquement absente malgré les discours laudateurs des responsables du ministère de la Culture, peut-être peu informés de la situation réelle de nos maisons de la culture aphasiques, de nos théâtres fermés presque toute l?année, de notre cinéma se trouvant aux abonnés absents, de nos rares bibliothèques sans fonds renouvelés, des galeries d?art condamnées à une tragique aphonie.Le temps se conjugue désormais à un futur antérieur trop illusoire, marquant les lieux dramatiques de l?absence. On entend parler, de plus en plus, d?institutionnalisation des festivals, sans même s?interroger sur l?impasse des structures culturelles, aujourd?hui obsolètes à tel point que les centres culturels français semblent recevoir, dans les grandes villes, beaucoup plus de monde que l?ensemble des espaces dépendant du ministère de la Culture. A Alger, les médiathèques d?un établissement de wilaya, EPIC Arts et Culture, paraissent tenir le coup en diversifiant les activités et en entreprenant un travail de proximité.C?est dans ce contexte aphone que pullulent de nombreux festivals censés être des espaces festifs, cérémoniels, donnant à voir des productions sérieuses, engendrant une sorte de marché ou au moins permettant de faire un véritable état des lieux qui ne reproduirait pas la même rengaine des précédentes sessions du festival. Certes, quelques festivals comme ceux du Raï ou du Gnaoui, résultant d?une culture ordinaire et d?une présence artistique normale, pourraient réunir une large population et provoquer une certaine euphorie. Comment est-il possible d?organiser un festival international du cinéma à Oran, dans un pays où il n?y a plus de cinéma, ni de salles de cinéma, ni d?entreprises s?occupant de l?art et de l?industrie cinématographiques. Ce serait une rencontre fermée entre personnes bien pomponnées, bien brillantinées, excluant la grande masse qui sait désormais que les autres s?amusent avec l?argent public. Cette privatisation de l?espace public est aussi palpable dans des activités organisées au Palais de la culture. N?est-il pas surréaliste d?organiser des festivals annuels comme celui du théâtre professionnel alors que tout le monde sait que dans des théâtres fermés, sans formation ni recyclage, ni ouverture, non interrogés, on puisse avoir des productions médiocres ennuyant des membres de jury obligés de distribuer des palmes à des pièces qui n?en ont pas ? A Annaba, lors d?un festival dit local (sic) du théâtre, la grande partie des pièces était tellement fade qu?il fallait classer sans avoir le droit de déclasser les productions proposées qui auraient été autre chose, si les animateurs avaient profité de recyclage ou de stage dans des théâtres étrangers sérieux. Dans ce contexte d?anomie culturelle, marqué par l?absence, est-il sérieux, comme l?ont recommandé les rédacteurs des « recommandations » du colloque du festival du théâtre professionnel, d?occuper les espaces disponibles des villages, d?organiser un festival de masse sous la tutelle d?une ligue arabe qui ne réussit même pas la gageure de se réunir ni à faire vivre son ALECSO aujourd?hui défunte sans être officiellement morte. Il faudrait, tout simplement, accorder à nos « recommandationnistes » la circonstance atténuante d?un enthousiasme mal émoussé en leur rappelant que les théâtres publics existants ne sont occupés que moins de cinquante jours par an et que, dans d?autres pays arabes, il n?y a presque pas de salles de théâtre, ni de troupes. Commençons par le commencement. Occupons les salles existantes avant de chercher autre chose. Brook, Ranconi, Mnouchkine, Attoun, Boal, Alloula, Assaf, Kateb Yacine en savaient quelque chose, et qui avaient compris que ce choix était illusoire. Avignon fait appel à l?extérieur parce qu?il n?y a pas, tout simplement, de lieux disponibles pour accueillir les centaines de troupes qui y passent. Ainsi, jusqu?à présent, les festivals et les rencontres artistiques sont organisés sans une définition préalable d?une démarche cohérente et d?objectifs clairs. Cette situation singulière montre le peu de sérieux qui marque le territoire culturel et touristique frappé d?une sorte d?anarchie et de gabegie indéfinissables. A quoi sert un festival ? Quels sont ses moyens de financement ? Quels sont ses objectifs ? C?est à partir des réponses sérieuses données à ces questions qu?on envisage de mettre en oeuvre la préparation d?une manifestation qui absorbe de l?argent et qui ne peut nullement être exclusivement considérée comme une opération de prestige. Cette propension à vouloir organiser des manifestations sans déterminer au préalable les champs possibles de rentabilité, symbolique et/ou matérielle, ne participe nullement d?une bonne gestion de la chose publique. La culture devrait être un service public qui interpelle la collectivité et donne à voir une certaine image du pays aujourd?hui vivant une misère sans précédent.L?Algérie a connu des festivals qui n?apportent absolument rien. Des manifestations organisées ici et là comme un certain « mois théâtral » ou même des festivals de cinéma comme celui de Annaba, qui aurait pu profiter à la ville et aux gens de la région dans un pays où le cinéma vit à cloche-pied, sans aucune définition des objectifs, n?a laissé aucune trace dans l?imaginaire collectif. De l?argent tout simplement jeté par la fenêtre des institutions de l?Etat d?autant plus que le public est souvent clairsemé et les troupes programmées avaient été souvent averties, à la dernière minute comme, d?ailleurs, l?organisation du festival de Timgad qui est le lieu de désespérants retournements de situations, de quiproquos et de conflits dont parfois l?élément moteur est l?argent. Comme il y a beaucoup d?argent, les choses se compliquent et l?appât du gain grandit comme pour cette hypothétique et trop opaque manifestation, Alger, capitale de la Culture arabe, qui a donné à voir des conflits sans fin, des courses infinies pour la dominer et gagner le gros lot.Le festival de Mostaganem, qui est à sa quarante et unième édition, a permis aux troupes du théâtre d?amateurs de vivre et de trouver, dans cette manifestation, un terrain de prédilection où se cristallisent échanges d?idées et d?expériences. Le Festival panafricain d?Alger (1969) a, certes, consommé des sommes colossales mais a donné une extraordinaire image de l?Algérie qui a séduit beaucoup de monde. C?est un des objectifs d?un festival qui doit obéir à une logique et à une démarche cohérente s?inscrivant dans une vision globale. En Tunisie, par exemple, les festivals participent d?une politique globale définie par le gouvernement dans le cadre d?une grande politique de promotion touristique. Même les pays européens ne conçoivent pas l?espace « festif » comme un univers « gratuit » ou un lieu de prestations de services. La production des biens symboliques est l?espace privilégié d?un véritable festival qui devrait être organisé dans un environnement adéquat, loin de cette propension à faire de la culture une opération comptable alors que celle-ci est non quantifiable. Le festival est également une opération économique et une réalité culturelle. Les organisateurs de ce type de manifestations devraient diversifier leurs sources de financement et définir les contours économiques et commerciaux qui rapportent à la ville, à la wilaya et au pays, sur les plans économique et symbolique. Ce n?est qu?ainsi que les choses fonctionnent. A quoi sert cette course aux festivals qui, le temps de quelques journées, donne l?illusion de l?ancrage, d?ailleurs trop virtuel, de la pratique culturelle ? Ne serait-il pas temps de réfléchir sérieusement à un projet culturel sérieux investissant les lieux de l?imaginaire et épousant les contours sociologiques d?un pays qui rame entre lame et lamelle, perdant une mémoire désormais meurtrie et une Histoire atrophiée. Ce serait, peut-être, une bonne chose de demander aux participants au Prix Mustapha Kateb, organisé par le ministère de la Culture, de déposer au TNA, à la Bibliothèque nationale ou au niveau des archives nationales les copies authentifiées des pièces des théâtres arabes (autres qu?algériennes), produites de 1954 à 1962, traitant de la question algérienne, la trentaine dont une quinzaine serait des textes aboutis, c?est-à-dire entre trois et cinq actes, dont il est question dans les déclarations, si réellement elles existent. Le festival, qui devrait être l?aboutissement d?un processus et d?une pratique culturelle, se transforme en une sorte d?arbre cachant mal une forêt trop vierge.


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