Algérie

A propos du livre de Saphia Arezki : L’ANP, une histoire algérienne



A propos du livre de Saphia Arezki : L’ANP, une histoire algérienne
Ce samedi, 8 décembre, le public de la librairie de l’Arbre à dires de Sidi Yahia a rendez-vous avec Saphia Arezki. Cette jeune historienne viendra présenter le livre sur l’armée algérienne qu’elle vient de publier aux éditions Barzakh. Son ouvrage, «De l’ALN à l’ANP, la construction de l’armée algérienne 1954-1991», est sorti d’un travail de recherche et de thèse universitaires qu’elle a présenté en 2014 en France avant qu’elle ne le reprenne, l’été dernier, dans une écriture destinée cette fois au grand public et postfacée par une autre historienne de la jeune génération, Malika Rahal dont on a apprécié en 2017 le travail qu’elle a effectué sur Ferhat Abbas et l’UDMA.

Son auteure explique qu’il répond à une question qu’elle s’était posée au tout début de son intention de recherche - «Comment devient-on militaire et plus spécifiquement officier supérieur de l’ANP entre 1962 et 1991 ?» - et par quels itinéraires passe-t-on pour se retrouver dans la haute hiérarchie du métier des armes et de la conduite des troupes dans notre pays : depuis son indépendance jusqu’au début des années quatre-vingt-dix et la veille de son renversement dans la «guerre civile», terme qu’elle utilise - fort significativement - à la fin de son ouvrage.
La curiosité lui valut de chercher longuement dans un dépôt d’archives françaises et algériennes et de les faire parler en véritable enquêteur, pas du tout découragé par leur densité et leur éparpillement côté français et leur sécheresse côté algérien ; de fouiller dans les états de service d’officiers et de sous-officiers passés par l’armée française avant de rejoindre l’armée de libération nationale, de relire les témoignages, les déclarations et les correspondances sur le sujet des chefs de la révolution anticoloniale, notamment au Caire qui fut, comme on le sait, une destination de formation parmi d’autres pour des individus trop jeunes au moment où ils désertent les bancs d’école pour le maquis ou pour d’autres qui n’avaient jamais servi sous le drapeau français et n’avaient aucune expérience militaire. A ce matériel qu’elle a personnellement épluché s’ajoutent les entretiens qu’elle a réalisés avec des acteurs et des témoins concernés. S’y accorde aussi le corpus important qu’elle était allée chercher dans les travaux d’historiens comme Mohamed Harbi, Gilbert Meynier, Michel Bodin, Fritz Taubert…, de journalistes comme Yves Courrière ; également dans les Mémoires et les récits biographiques et autobiographiques comme ceux de Hocine Ait Ahmed, Abderrazak Bouhara, Hocine Benmaâlem, Rachid Benyelles, Abderrahmane Berrouane, Mohamed Zerguini, Tahar Zbiri et d’autres.
Ce souci de recherche lui permit de voir dans le parcours des hommes qu’elle a choisis de suivre en particulier se dessiner, «quatre voies», résume-t-elle à la fin de son livre. «Certains l’étaient à travers leur engagement dans l’armée française ; d’autres, suite à un engagement précoce dans le mouvement nationaliste, sont devenus des combattants au lendemain du 1er Novembre, et sont, suite à l’indépendance, devenus des militaires de haut rang. Des Algériens, plus jeunes et dotés d’un capital scolaire largement supérieur à la moyenne de l’époque ont rejoint la lutte de libération plus tardivement et ont été envoyés en formation militaire à l’étranger en prévision de l’indépendance et du manque de cadre auquel le nouvel Etat devrait faire face. Enfin, des hommes, n’ayant pas ou très rarement pris part à la guerre du fait de leur jeune âge, sont devenus des militaires par leur engagement dans la nouvelle armée de l’Etat indépendant». L’hétérogénéité de leurs milieux d’origine explique comment la révolution anticoloniale s’est fondue dans les Algériens et comment ils y ont adhéré progressivement jusqu’à la perspective d’un Etat indépendant, alors que la guerre n’était pas encore terminée.
«Lorsqu’au 1er novembre 54 la guerre est déclenchée, ce sont moins de 1000 hommes qui prennent les armes, lesquelles sont à peine quelques centaines», écrit Saphia Arezki. «Sept ans et demi plus tard, lors du cessez-le-feu, plus de 20.000 combattants stationnent à la frontière tunisienne et environ 10 000 du côté, constituant l’armée des frontières», explicite-t-elle dans un descriptif détaillé, truffé d’indications et d’anecdotes sur un processus historique dont l’objectif, pour les chefs qui l’ont mis sur rails , «était double» : «former des gens au combat et les former aussi pour la constitution de l’armée algérienne de demain», poursuit l’historienne qui observe qu’ on peut constater cet aspect par l’intérêt qu’avaient ces responsables à former les jeunes recrues à des métiers d’armes qui ne correspondaient pas aux besoins immédiats de l’ALN au combat. «Les sources ne sont pas exhaustives au sujet des disciplines enseignées, mais on note avec étonnement que peu de formations de combattants dans l’infanterie existent, alors que l’ALN en retirerait des avantages immédiats, ce qui n’est pas le cas des spécialisations dans l’aviation ou la marine. L’un des enjeux sous-jacents à ces formations, établit-elle, est donc bien de préparer des hommes capables de former une armée, une fois l’indépendance acquise».

De nouveaux acteurs et des questions
Rapportée aux traumatismes de la crise de l’été 1962 et du putsch de juin 1965, cette observation, si on ne lit pas attentivement le livre de Saphia Arezki, pourrait faire croire que les chefs de l’ALN à la veille de l’indépendance et durant ses premiers jours n’avaient en tête que le désir brutalement prétorien de s’emparer du pouvoir. Mais l’historienne prend le soin de rappeler que des officiers ont bel été formés pour les besoins de la guerre, notamment ceux qui ont appris à faire voler des hélicoptères et des appareils de transport destinés à la traversée par les airs des barrages militaires devenus infranchissables par la voie terrestre, mais ces militaires algériens ne remplirent jamais de telles missions parce que le temps des hostilités était fini et que le cessez-le-feu était venu. Ils participeront, comme les officiers de marine et d’infanterie, à la «reconversion» de l’ALN en ANP puis à son «développement» en «armée professionnelle», les deux temps parmi les quatre qu’elle retient pour restituer le processus d’édification de l’institution militaire algérienne après ceux des «origines» en 1954 et la Soummam en 1956 surtout – qui a été une «première tentative de structuration et de coordination des forces armées ainsi qu’une certaine centralisation». Mais dont les primats voleront en éclats lors de la réunion du CNRA d’août 1957. Il n’y a, alors, plus de «primauté du politique sur le militaire ni de différence entre l’intérieur et l’extérieur».
Ce bouleversement marquera «profondément» l’armée algérienne à sa «création embryonnaire» à la frontière tunisienne, son «berceau» dit l’historienne qui émet «l’hypothèse selon laquelle pour devenir un officier de premier rang au sein de l’ANP après 1962, avoir été à la frontière tunisienne est un passage quasi obligé, les diverses trajectoires des militaires se croisant presque toutes à un moment donné dans cette région», précisant que «parmi les 27 officiers qui ont occupé la fonction de chef de région militaire entre 1962 et 1992, au moins 14 sont passés par la frontière tunisienne». Tous ont dû mesurer avant tout le monde le poids de Boumediène et le rôle qu’il a eu dès cette époque, à la tête de l’EMG et plus tard, dans la création d’une «armée classique» en utilisant «pragmatiquement les compétences des hommes à sa disposition, tout en prenant garde de ménager les sensibilités des différents groupes en gestation afin de ne pas nuire à l’unité des troupes, toujours précaire». La difficulté, pour lui, est d’instaurer l’équilibre des maquisards de la première heure, des officiers issus de l’armée française (qui n’étaient pas tous des DAF et des déserteurs, mais des militaires en fin de contrat), des gradés formés dans des écoles militaires en Egypte, en Irak, en Syrie, en Chine et, plus tard, en URSS : des hommes et des chefs que les histoires personnelles et les ambitions séparent et créent entre eux des rivalités intenses
et conflictuelles, fratricides. En la surmontant, il devient faiseur de roi avant de le devenir lui-même.
«C’est à sa tête, souligne Saphia Arezki, que Houari Boumediene pénètre en Algérie durant l’été 1962, permettant à Ahmed Ben Bella de prendre le pouvoir et de devenir le premier président de la République algérienne». D’une armée qui n’en a que le nom, composée de combattants souvent illettrés, on passe en moins de huit ans à une véritable armée nationale, même si elle est encore en devenir, et déjà plus puissante que sa voisine tunisienne», relève-t-elle en indiquant au passage que la surreprésentation de l’Est
algérien au sein des corps des officiers – une question qui a marqué l’imaginaire algérien pendant des générations - «s’estompe au fil du temps». A son sujet, poursuit-elle, il apparaît ainsi «qu’au niveau de la troisième génération, celle des techniciens intégrant l’armée après 1962, un certain équilibre s’instaure». Une ANP qui serait une armée «BTS» en référence à ses hauts cadres originaires de Batna, Tébessa et Souk-Ahras relèverait donc du mythe comme celui de la promotion «tapis rouge» entre novembre 1961 et avril 1962 et de laquelle des futurs agents du renseignement sortirent de Russie avec des cours «rudimentaires» en raison de la barrière linguistique.
Ce qui relève moins du mythe, et pour aller vite, sont les changements considérables et pas toujours heureux que l’ANP connaîtra après la mort de Boumediene. «Chadli Bendjedid remplace les ‘’barons du boumediénisme’’ par des hommes plus jeunes, instaurant un nouvel équilibre entre deux groupes d’officiers en ascension». Qui «mettent en œuvre une politique de réorganisation des forces militaires» avant de se trouver impliqués dans les évènements d’Octobre 1988 et la «crise majeure» qui s’ensuivit, ouvrant ensuite la voie à la décennie noire et la guerre contre les groupes islamistes armés. Une séquence moderne de l’histoire militaire algérienne, mais qui fait déjà partie d’un passé qu’il s’agit maintenant d’interroger, note Saphia Arezki. «La première génération de militaires est quasiment éteinte, ceux appartenant à la deuxième génération disparaissent lentement» et «ce sont les militaires de troisième génération qui sont maintenant à la tête de l’ANP». Ces techniciens dont certains sont encore aux commandes «eurent à charge de former une relève qui, elle, n’a pas connu la guerre d’indépendance». Il s’agit d’une «quatrième génération formée dans une configuration politique particulière, dans un contexte de guerre civile qui a forcément impacté la perception de son rôle au sein de la société». Débat ouvert.
Saphia Arezki, «De l’ALN à l’ANP, la construction de l’armée algérienne 1954-1991», préface de Malika Rahal, Editions Bazakh, Alger 201


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